Notre camarade Pierre Khalfa a publié, dans le blog de Mediapart, un article qui tente de dépasser l’émotion devant les crimes de guerre du Hamas et d’autres groupes palestiniens comme ceux du gouvernement israélien. Pour cela, il revient sur les racines historiques de ce conflit colonial.
Pas de paix sans justice
Par Pierre Khalfa. Le 2 novembre 2023.
Pas de paix sans justice, une fois de plus ce slogan s’inscrit dans la réalité des chairs meurtries, des civils tués, des prises d’otages dans ce qui semble un engrenage sans fin d’une violence qui semble ne jamais devoir s’arrêter. Dépasser l’émotion devant les actes de terreur du Hamas et les représailles aveugles et meurtriers de l’État d’Israël contre la population civile de Gaza, avec une catastrophe humanitaire en route, est une nécessité absolue si nous voulons sortir de cet engrenage. La qualification précise de tous ces actes relève du droit international et ce doit être aux juristes de nous dire quelle est celle qui devrait être retenue en la matière — crime de guerre, crime contre l’humanité, voire génocide — et la Cour pénale internationale est là pour en punir les auteurs. Mais qualifier ces actes, les condamner au nom d’une morale humaniste pour laquelle une vie vaut tout autre vie, pour nécessaire que cela soit, est totalement insuffisant si nous ne les restituons pas dans une profondeur historique qui seule permet de les déchiffrer.
Contrairement à ce qu’affirme une macronie de plus en plus à droite, une droite de moins en moins républicaine et l’extrême droite, nous ne sommes pas dans une guerre de civilisations dans laquelle Israël représenterait la démocratie et les Palestiniens la barbarie islamiste. Et face à cette barbarie, nous dit la Présidente de l’Assemblée nationale, « rien ne doit empêcher Israël de se défendre », justifiant ainsi, de fait, les bombardements israéliens sur Gaza. Nous ne sommes pas non plus dans un conflit religieux qui opposerait juifs et musulmans. La majorité des juifs, même s’ils sont attachés affectivement à Israël, n’y vivent pas et ne veulent pas aller y vivre au grand dam des gouvernements israéliens successifs. Quant aux Palestiniens, ils ne sont pas tous musulmans et la société palestinienne est d’une grande diversité.
Un conflit entre colonisés et colonisateurs
Nous sommes dans un conflit politique qui oppose des colonisateurs aux colonisés. Comme l’avait écrit Maxime Rodinson dès 1967 dans la revue Les Temps modernes, article qui à l’époque fit beaucoup de bruit, Israël est un fait colonial. Ce n’est pas le seul. Les États-Unis, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande sont, eux aussi, des pays issus de processus de colonisation et le fait colonial s’est transformé en fait national. Il y a aujourd’hui un fait national israélien dont l’existence ne peut être niée. Cependant, l’État d’Israël a trois caractéristiques bien particulières. Tout d’abord, c’est le génocide des juifs par les nazis qui justifie in fine la fondation de l’État d’Israël. Les puissances occidentales qui ont refusé à l’époque d’accueillir les juifs persécutés puis les survivants de la Shoah se sont ainsi débarrassés à bon compte du « problème juif » sur les Palestiniens. Ensuite, l’État d’Israël, État juif, est donc fondé sur une base ethnico-religieuse, fait encore aggravé par le vote en juillet 2018 d’une loi fondamentale proclamant celui-ci « État-nation du peuple juif ». Au-delà, de la discussion sans fin de savoir qui est juif — ce qui a amené des chercheurs israéliens à essayer de trouver un « gène juif » -, comment qualifier de démocratique un État fondé sur de telles bases qui inévitablement font des non-juifs des citoyens de seconde zone ? Enfin, alors que les États-Unis, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande ont certes très difficilement et très imparfaitement commencé à rendre justice aux populations autochtones, l’État d’Israël, non seulement, n’a pas entamé le moindre retour critique sur son passé, mais a continué un processus de colonisation qui s’est même accentué ces dernières années.
[…]