La loi travail a de nouveau mis l’accent sur celles et ceux que l’on appelle « bénéficiaires du RSA » terme qui suppose que ces personnes jouissent de bénéfices dus à leur situation d’inactivité. Ce discours sur les assisté·es profiteur·euses qu’il faut remettre au boulot n’est pas nouveau, mais il s’inscrit dans un contexte très actuel.

Affiche ATD "On ne vit pas si mal au RSA"

Affiche ATD « On ne vit pas si mal au RSA »

Favoriser la précarité

Bien loin d’être seulement un gadget pour satisfaire le conseiller départemental de droite moyen et son électorat soucieux de la chasse aux pauvres, cette mesure de contrôle des RSA est un outil dans une politique actuelle qui a commencé avec la réforme de l’assurance chômage.

Il ne s’agit pas de fournir massivement de la main d’œuvre gratuite. Le « recul » du gouvernement sur l’obligation de 15h de travail /semaine est dû à l’impossibilité de concrétiser une telle perspective. Il s’agit de déstabiliser un peu plus le « marché du travail » par des dispositions qui rendent possible l’utilisation du travail gratuit obligatoire quand le besoin patronal s’en fait sentir. Pour le reste, on en revient à ce fameux contrat avec obligation de suivi qui existe depuis la mise en place du RMI ; outil de contrôle social des pauvres plus que mesure d’action sociale émancipatrice.

Un changement toutefois : l’obligation d’inscription à Pôle Emploi (ou France travail) qui permettra de sanctionner les « fainéant·es », c’est-à-dire celles et ceux qui n’accepteront pas un petit boulot ou les formations bidon ou ne se rendront pas aux convocations.

C’est là que la dématérialisation va provoquer son effet d’exclusion quand il faudra se réinscrire et/ou mettre fin à une suspension. Le non recours au RSA est déjà proche de 30 % des bénéficiaires. Il est à craindre que ces nouvelles contraintes – qui en rendent l’accès encore plus difficile – ne mettent pas fin au non recours malgré les discours gouvernementaux sur l’accès aux droits.

Ce d’autant plus que les régressions en matière d’indemnisation du chômage obligent déjà à des multiples démarches et accroissent l’opacité du système. Quand le chômeur ou la chômeuse arrive au bout de l’indemnisation et se retrouve au RSA, il ou elle est déjà épuisé·e et largement découragé·e. Ce n’est pas pour rien que les phénomènes de découragement ne font pas l’objet de recherches de la part de Pôle Emploi. Elles seraient pourtant nécessaires s’il y avait une volonté de s’attaquer à ces « dysfonctionnements ».

Pourtant, des témoignages existent : « Complexité des démarches, épuisement, renoncement… Ils expliquent pourquoi ils ne demandent pas les aides sociales auxquelles ils ont droit »

Ces mesures sur le RSA viennent compléter celles sur l’indemnisation chômage de ces dernières années. Il s’agit de créer, multiplier les outils réglementaires et législatifs. Ceux-ci visent à combattre la dégradation du rapport des forces patronal lié à une crise du travail qui crée des difficultés (réelles ou fantasmées) de recrutement et pourrait contribuer à une augmentation des salaires (au moment où les grèves se multiplient et où le mauvais exemple allemand risque de donner des idées…).

Ceci devrait permettre de créer du commun entre les salarié·es en emploi, les précaires, les chômeur·euses et les pauvres, etc. et de combattre la stratégie de Macron qui vise à diviser les différentes fractions du salariat. Mais, pour cela, il faudrait que la gauche propose une alternative à la précarisation et à la dégradation du travail.

Mais pauvreté, précarité, chômage, salariat pauvres sont invisibles dans l’espace public et les rancœurs ne profitent qu’au RN… faute d’une gauche qui donne toute sa place à ces invisibles.

Cachez cette pauvreté que je ne saurais voir !

Toutes ces dispositions – et leur mise en scène idéologique – complètent les discours sur les succès du gouvernement en matière d’emploi. Dussopt s’est ainsi vanté des chiffres du chômage que vient de publier l’INSEE : +0,3 % (soit +92 400 emplois), plus d’un million depuis l’arrivée au pouvoir de Macron.

Mais ce discours triomphaliste vise à rassurer certaines fractions du salariat, lui donner espoir en l’avenir néolibéral radieux. Mais, comme tous les discours macroniens, il se situe dans un monde virtuel qui masque la réalité.

Les emplois créés peuvent être à temps partiel ou très partiel. Mais, pour les intéressé·es, la différence est forte. Les créations d’emplois représentent moins de 0,1 % des chômeur·euses à temps plein. À ce rythme, il faudra des centaines de trimestres pour le plein emploi. Pari risqué quand les politiques publiques sont récessives.

Il est des motifs artificiels à cette progression de l’emploi. Ainsi, un tiers des emplois créés sont des contrats en alternance. Leur coût est considérable sous forme d’aides. Ceci permet les effets d’aubaine, donc la précarité de ces emplois.

Le gouvernement s’appuie sur L’INSEE qui note un recul de l’intérim. Mais l’emploi intérimaire ne représente pas la totalité des emplois précaires. Loin d’engager la réduction de la précarité, toutes les mesures gouvernementales visent à son développement.

Le chômage devient de plus en plus un chômage à temps partiel. Cela permet au gouvernement d’afficher de bons chiffres, mais ne permet pas aux personnes de vivre décemment. Le plein emploi sera, pour beaucoup, un plein emploi précaire En fait, il s’agit, avec la loi travail, d’une étape supplémentaire dans la recomposition néolibérale du salariat.

Dès lors, le rapport de l’observatoire des inégalités, rendu public le 8 juin, remet les choses au point dans « ce contexte paradoxal avec, d’un côté une amélioration de l’emploi depuis 2015 et de l’autre, une forte inflation et un risque de déclassement pour les salariés peu qualifiés qui subissent de fortes pertes de pouvoir d’achat » (Louis Maurin).

L’édition 2023 du « Rapport sur les inégalités en France » met, en effet, à jour une fracture sociale persistante où les 10 % les plus aisés captent 25 % des revenus quand les 10 % les plus pauvres n’en ont que 3,5 %.

Tout le monde reconnaît aujourd’hui que l’inflation frappe différemment les revenus les plus bas, que l’inflation alimentaire sur les produits de première nécessité est encore supérieure à l’inflation, ce qui ne peut qu’aggraver les inégalités par rapport à la situation décrite dans le rapport, la crise du logement social aussi. Le recul des services publics et la protection sociale détériore le patrimoine collectif de celles et ceux qui n’en ont pas.

Bref, le fossé entre classes sociales est toujours une réalité même si elle est niée dans le discours macronien et dominant dans les médias. Les mensonges sur les personnes au RSA contribuent, dans le discours politico-médiatique à gommer ces inégalités, à les faire disparaître derrière la responsabilité individuelle des perdant·es.

Se battre contre ce que subissent les personnes au RSA ne relève donc pas du caritatif et de l’humanitaire (nécessaires) mais de la réaffirmation de la solidarité des classes populaires, d’un modèle de société qui ne laisse personne au bord du chemin. C’est aussi se prémunir contre les dégâts de la récession qui vient !

Le 13 juin 2023
Étienne Adam