Notre camarade Danièle Mauduit, propose un « texte outil » plutôt qu’un article. Elle souhaite apporter un éclairage sur ce qui se joue autour des pesticides et de la mutagenèse. Elle rappelle le rôle que joue le complexe agro-industriel. Le débat sur les enjeux ne fait certainement que commencer !

Pesticides et mutagenèse, les enjeux vitaux qu’on nous cache !

Par Danièle Mauduit. Le 13 novembre 2023.

La France est le premier utilisateur de pesticides de l’Union Européenne et le quatrième dans le monde. Les pesticides sont présents dans nos assiettes, dans l’air que l’on respire, l’eau que l’on boit… Les pesticides sont partout, la chimie tire les ficelles !

La mutagenèse permet d’activer ou de neutraliser des gènes et de provoquer des mutations « contrôlées » par les sélectionneurs des firmes du génie génétique, non sans danger…

Il est question de prolonger l’autorisation d’épandage du Roundup et d’assouplir la législation anti OGM

1) les pesticides mettent en danger l’habitabilité de la planète

Ils sont pour la plupart directement issus du pétrole dont l’effet biocide est bien connu. Les solvants ajoutés pour contrôler le dosage se révèlent hautement toxiques, certains cancérigènes.

Les pesticides tuent

Ils sont fabriqués pour ça. Lors des guerres comme armes chimiques, par les firmes comme Monsanto qui a produit, tour à tour et avec profit, l’agent orange, défoliant de la guerre du Vietnam, le kit OGM-Roundup.

Dès 1962, Rachel Carlson a sonné le tocsin avec le « printemps silencieux ». Le chant des oiseaux disparaît : les pesticides empoisonnent les graines, tuent les insectes…

1962, c’est l’accélération d’une modernisation industrielle qui fait de l’agriculture le débouché des industries mécaniques et chimiques, le « minerai » des industries agro-alimentaires.

Cette modernisation génère un engrenage biocide qui se poursuit. Pour rentabiliser un matériel de plus en plus lourd et complexe, les parcelles sont agrandies, les exploitations concentrées, les paysans expulsés.

Les cultures sont spécialisées et standardisées par une sélection en laboratoire qui abandonne les semences populations au profit de semences homogènes produites industriellement.

La diversité mise au point par des millénaires de sélection paysanne – adaptant les plantes au terroir – fait place aux quasi-monocultures. C’est aux territoires de s’adapter pour ouvrir de vastes marchés aux semenciers. Les agroécosystèmes sont détruits. Les nouvelles cultures fragilisées.

Engrais de synthèse et pesticides deviennent les béquilles vitales et rentables de cette modernisation. Les sociétés grossissent, bénéficiant d’une politique qui marginalise toute modernisation paysanne, pourtant bien réelle.

Épandage de pesticides © CD78-N.DUPREY

Épandage de pesticides © CD78-N.DUPREY

Les pesticides tuent

Malgré la fabrique du doute, les dégâts ne peuvent plus être niés.
« Un pesticide neurotoxique pour l’insecte est aussi un neurotoxique pour les insectes non visés et pour l’humain. » Philippe Piard (Nature et Progrès).

Selon l’Indice de Planète Vivante, entre 1970 et 2018, la taille moyenne des populations de vertébrés sauvages a décliné de 69 %. Les effectifs de plus de 32 000 populations de mammifères, d’oiseaux, d’amphibiens, de reptiles et de poissons ont chuté des 2/3.

Cette perte de biodiversité transforme les sols les plus fertiles en substrats stériles dépendants de la chimie et inefficaces pour remplir leurs fonctions écosystémiques naturelles : production de biomasse, stockage d’eau, d’éléments minéraux et de matières organiques, accueil des êtres vivants… Toutes fonctions nécessaires aux cycles permettant le maintien de la vie sur Terre.

Les pesticides tuent

Ceux qui épandent, les riverains des zones d’épandage, ceux qui consomment sont les plus touchés. Des zones de soja OGM d’Amérique latine aux régions viticoles, les études médicales, les statistiques, les témoignages, les procès remportés contre Monsanto l’attestent.

Les scientifiques indépendant·es, les études de l’Inserm et de l’Inrae le confirment. Les pesticides sont dangereux pour la santé animale et humaine.

Une expertise collective publiée par l’Inserm en 2013 et 2021 établit « une présomption forte d’un lien entre l’exposition [professionnelle] aux pesticides et six pathologies : lymphomes non hodgkidiens, myélome multiple, cancer de la prostate, maladie de Parkinson, troubles cognitifs, bronchopneumopathie chronique obstructive et bronchite chronique ».

La maladie de Parkinson, les hémopathies malignes et le cancer de la prostate sont reconnues maladies professionnelles du fait de l’exposition aux pesticides. Secrets Toxiques p83

Au-delà des agriculteurs, les maladies chroniques explosent. La Caisse Nationale de l’Assurance Maladie annonce 21 millions de personnes atteintes en 2018 et une projection de 23 millions en 2023. De 2003 à 2019, le nombre de cancers pédiatriques (0-19 ans) a augmenté de 18 % soit 6 fois plus vite que la croissance démographique de cette classe d’âge…

Ajoutons les malformations, la baisse de la fertilité…

Alors pourquoi les États européens sont-ils amenés à se prononcer sur la ré-autorisation du Roundup pour les dix années à venir ?

2) Quand l’EFSA sème le doute…

L’autorisation du glyphosate, substance active du Roundup devait expirer le 15 décembre 2022. Mais l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) a rendu, en juillet, un avis favorable  à la prolongation de l’herbicide.

Un système d’homologation-passoire

La réglementation sur les pesticides exige que les effets à long terme de produits commercialisés soient évalués avant toute mise sur le marché. Mais, aucun test de cette nature n’est réclamé aux industriels lors du dépôt de la demande d’autorisation.

Les agences de régulation qui autorisent les pesticides considèrent qu’il y a trois types d’ingrédients dans les pesticides  — les substances actives — les coformulants chargés d’assurer la stabilité du mélange — les impuretés. Ils sont séparément et diversement contrôlés, sans évaluation des effets cocktails. Sans procéder elles-mêmes aux analyses de toxicité, elles s’appuient sur les dossiers des industriels.

L’arrêt d’octobre 2019 de la Cour de justice de l’Union européenne dit que les procédures d’évaluation des pesticides ne sont pas correctement appliquées par les autorités sanitaires, notamment sur les effets cocktails et les effets à long terme.

Siège de l'EFSA à Parme

Siège de l’EFSA à Parme

Conflits d’intérêts : EFSA une agence de régulation sourde d’une oreille

Le 19 février 2013, le Programme des Nations unies pour l’en­vironnement (PNUE) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publient leur rapport. Leur conclusion est claire : Les perturbateurs endocriniens constituent « une menace globale » sur la santé, « qui impose de trouver une solution ».

L’EFSA tergiverse, Bayer téléphone à Barroso. L’interdiction des perturbateurs endocriniens sera reculée… au nom des intérêts de l’industrie chimique et du commerce international. D’après le Canard enchaîné du 27- 07-2015.

L’EFSA est l’agence dont les conclusions déterminent les prises de position de l’Union européenne en matières de pesticides. Or, ses avis, appuyés sur les données des industriels de la chimie, sont formulés par des experts. Mais, une grande part d’en eux est liée aux industriels via « des animations de colloques, des travaux de recherche ou des boulots de consultant, et les chèques qui vont avec » (Canard enchainé, art cité)

Or, ces avis convergent avec les priorités économiques d’une Europe qui a choisi le complexe agro-industriel et ses orientations.

Le grain de sable : les scientifiques indépendants et les mobilisations

En octobre 2020, sort l’étude de G.E. Séralini et G. Junkers qui dévoile la présence de poisons cachés dans les pesticides sans glyphosates destinés à remplacer le glyphosate interdit dans les jardins et les espaces publics par la loi Labbé.

Présentés comme des produits de biocontrôle, d’origine naturelle inoffensive, ils contiennent de l’arsenic, du plomb, du nickel et des hydrocarbures hautement cancérigènes dont la présence n’est pas mentionnée sur l’étiquette.

Alertés, ni l’ANSES, ni le ministère de l’Économie ne font retirer les pesticides incriminés. Contrairement à la loi. Ces produits ont été autorisés par l’EFSA.

Le 23-12- 2020 M. Rieussec-Fournier, initiateur de la campagne Secrets Toxiques, anime une réunion de parlementaires français et européens. Le 25-02-2021, une lettre ouverte de 119 parlementaires (PS-EELV-FI) amorce la mise sous pression de l’EFSA.

En novembre 2022, le chef de l’EFSA Bernhard URL, admet devant les parlementaires européens que l’EFSA n’avait pas de méthodologie pour évaluer les effets synergiques.

Pourquoi la remise en cause actuelle de l’interdiction du glyphosate ?
3) Les exigences du complexe agro-industriel : pesticides et mutagenèse
Que sont les promesses électorales devenues ?

Le 19 septembre 2019, la Commission européenne propose de renouveler l’autorisation d’épandage du glyphosate pour 10 ans ! Si sa proposition de mesures d’accompagnement « atténuation des risques » souligne combien elle prend ces risques en connaissance de cause, cela ne change rien à l’irresponsabilité qui la guide : les pesticides sont toxiques, quelle que soit la dose !

Les précautions cosmétiques du gouvernement français discréditent un Président Tartuffe qui s’était engagé à interdire le glyphosate au plus tard en 2021. Que le centre international de recherche sur le cancer l’ait classé « cancérigène probable «  dès 2015, ce que l’Inserm confirme, l’EFSA maintient qu’il n’y a « aucun sujet de préoccupation concernant son utilisation, ni pour l’environnement, ni pour la santé humaine ».

Action lors d'un congès de la FNSEA

Action lors d’un congès de la FNSEA

FNSEA et ministre de l’Agriculture s’enferment dans le « déni scientifique » et ressassent le même refrain « j’voudrais bien, mais j’peux point »

Le syndicat qui cogère la politique agricole défend bec et ongles le maintien des pesticides. Il truque les chiffres en présentant à la baisse une consommation en hausse constante. Il réclame l’extension d’une agriculture de précision appuyée sur la robotique, le numérique et la génétique pour réduire les quantités nécessaires, sans soucis du coût humain et écologique d’un tel choix.

La proximité entre le ministre Marc Fesneau et la FNSEA n’est pas sans rapport avec le revirement élyséen. Leur argument « on ne peut s’en passer » est repris , amplifié sur les médias « chiens de garde ». Il répond aux pressions des lobbies…

De la marginalisation de l’agroécologie à l’autorisation de la mutagénèse ?

L’agroécologie paysanne est l’alternative qui permet de nourrir le monde sans pesticides. Sur 25 % des terres cultivées, elle nourrit 70 % de la population mondiale avec des rendements de biomasse supérieurs à ceux de l’agriculture industrielle, sauf sur les sols détruits des pays riches, cf. J. Caplat.

Toute la politique agricole nationale et européenne pratique la recette du pâté d’alouette : un cheval pour l’agriculture industrielle, une alouette pour la bio paysanne, confinée dans sa niche de consommateurs solvables et militants.

Ce refus de doter l’agriculture bio des moyens nécessaires à son développement alors même que l’agriculture industrielle est sur-subventionnée est une volonté assumée par les ministres de l’Agriculture au prétexte de nourrir les pauvres.

Du coup, les agriculteurs et agro-managers ont beau jeu de clamer « on ne peut pas faire sans les pesticides »  et d’appeler à grands cris l’aide des avancées technologiques : robotique, numérique, génétique pour réaliser la transition agricole. Au cœur de ces exigences, un assouplissement de la législation pour soustraire la mutagenèse de la réglementation qui régit les OGM (par transgenèse et mutagenèse).

La mutagenèse : les lobbys à l’offensive1https://reporterre.net/Nouveaux-OGM-en-Europe-cinq-points-pour-comprendre et https://reporterre.net/Nouveaux-OGM-l-offensive-des-lobbies

En juillet 2018, la Cour de Justice de l’U.E. a conclu que les organismes obtenus par mutagenèse sont des OGM. Le 7 février 2020, le Conseil d’État a décrété que les nouvelles techniques de mutagenèse devaient être soumises à la réglementation OGM.

Le complexe agro-industriel ne désarme pas. La mutagenèse qui n’introduit pas de gène étranger serait indispensable à la transition écologique . Quels sont ses arguments ?

Elle permet de créer des variétés plus résistantes et résilientes : l’agriculture paysanne le fait déjà à moindre coût écologique. Son défaut ? C’est à moindre profit pour les multinationales concernées.

En effet, la mutagenèse ouvrirait de vastes marchés et des perspectives de profits mirobolants aux firmes. Mais, l’édition du génome issue de la biologie synthétique « démultiplie la puissance de l’intrusion des scientifiques dans les processus biologiques et ouvre de nouvelles portes à l’appropriation de la vie sur Terre par l’industrie biotechnologique », alerte H. Tordjman dans son livre La croissance verte contre la nature.

Donner aux firmes un tel pouvoir qui s’étend aux domaines médical, militaire, pharmaceutique… est irresponsable.

Il s’agit d’une nouvelle étape de dépossession des paysans de leurs pratiques millénaires. Celles qui consistaient à adapter leurs graines à leur terroir en choisissant chaque année quelles graines garder pour les semis de la campagne suivante.

Une nouvelle étape de dépossession de la population sur le contenu de son assiette avec des menaces sur l’ensemble de la chaîne alimentaire. Une nouvelle étape de dépossession des connaissances agronomiques et et génétiques. Une nouvelle étape de dépossession des populations du Sud.

Quand une firme de biotechnologie y découvre un « gène » intéressant et dépose un brevet, le risque est grand que les populations locales ne puissent plus accéder librement à leur ressource.

Or, même si des accords internationaux assurent une faible protection contre ces risques, la dématérialisation des semences, considérée comme de l’information génétique, permettrait de les contourner.

Malgré une pétition de 420 000 signatures portée à la Commission européenne, celle-ci fléchit face aux attaques des lobbies.

Le 7 février 20232« La mutagenèse aléatoire in vitro exclue des règles de l’UE sur les OGM » Euractiv 8 février 2023 par Natasha Foote, la Cour de justice de l’UE (CJUE) a conclu que les organismes obtenus par mutagenèse aléatoire in vitro, une technique de modification génétique, sont exclus des règles de l’Union régissant les organismes génétiquement modifiés (OGM), une décision saluée par les acteurs du secteur mais critiquée par les groupes écologistes.

Agroécologie

Agroécologie

Mercredi 5 juillet3https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/07/05/la-commission-europeenne-veut-dereguler-les-nouveaux-ogm_6180664_3244.html, la Commission européenne a présenté sa proposition de loi pour encadrer les « nouvelles techniques génomiques » (NGT) qui permettent de modifier le matériel génétique des plantes sans forcément introduire un gène d’une espèce différente, comme c’est le cas pour les OGM de première génération, fondés sur la transgenèse.

Les enjeux sont colossaux et exigent des réponses à la hauteur. Les choix en cours par le gouvernement et l’U.E. mettent en péril la biodiversité et l’habitabilité de la planète.

On sait pourtant faire autrement : l’agroécologie paysanne alliée au droit à l’alimentation4Agroécologie et droit à l’alimentation, Rapport présenté à la 16ᵉ session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, 8 mars 2011 par Olivier De Schutter peut assurer le rétablissement de l’équilibre des écosystèmes nécessaire à la fertilité des sols et la démocratie alimentaire. Ces objectifs sont portés par le projet Pour une Sécurité Sociale de l’Alimentation.

 

* La technique CRISP-Cas9 offre de grandes possibilités de manipulation génétique, irréversibles mais non sans danger : certains gènes peuvent être activés, suractivés, d’autres éteints.

En novembre 2018, naissent deux petites jumelles chinoises dont le génome avait été modifié par CRISPR-Cas9 avant implantation in utéro. La désactivation opérée du gène CCR5 opérée protégerait de l’infection par le VIH, mais limiterait les réponses immunitaires au virus de la grippe.

Ce cas relaté par H. Tordjman souligne combien il est insensé de confier aux transnationales, dont le retour sur investissement reste la priorité, la possibilité de créer une nouvelle Genèse.

Sources :
Battentier Andy-Rieussec-Fournier Martin Secrets Toxiques – éditions Jouvence société – 2023
Caplat Jacques : L’agriculture biologique pour nourrir l’humanité – éditions Actes Sud – mars 2012
Tordjman Hélène : La croissance verte contre la nature – éditions la Découverte – juin 2021

Notes