Les services de l’État et la Cour de comptes en particulier arrivent parfois à découvrir la réalité. Ils arrivent même à la dire à haute voix, au nom d’une « nécessité de vérité » qui ne trompe personne ! Ainsi, dans un rapport publié le 21 janvier dernier, l’honorable institution va donner des leçons de bonne gestion environnementale à l’État. Comme si, pour celui-ci, cela était important ! Tout va continuer comme avant, tout le monde s’en moque !
La Cour est d’accord sur les conséquences dramatiques de la pollution de l’air sur la santé publique. Elle avance une valeur comprise entre 17 000 et 42 000 décès prématurés par an en France ce qui « représenterait un coût économique au minimum compris entre 20 et 30 milliards d’euros, les chiffres variant selon le polluant examiné et les pathologies qui y sont liées. ». Elle rappelle enfin que les diverses enquêtes réalisées montrent « que la qualité de l’air est devenue la préoccupation environnementale première pour 42 % des Français, devant le réchauffement climatique (34 %). ».
Ainsi, les émissions de certains polluants particulièrement dangereux resteraient élevées. Si la production de particules fines a chuté pendant un temps, ce n’est plus le cas aujourd’hui, le ralentissement étant freiné par l’importance des véhicules diesel dans le parc automobile et la contribution du chauffage domestique, en particulier le chauffage individuel au bois. Les oxydes d’azote (les NOx) diminuent eux aussi, mais notre pays n’a pas atteint les objectifs fixés par la réglementation européenne, cela s’expliquant, notamment, par la hausse du trafic automobile (+ 32 % depuis 1990) et la « diésélisation » du parc (de 15 % en 1990 à 63 % en 2012).
La Cour reconnait que les politiques mises en œuvre n’ont pas toujours été conduites à terme. L’exemple caricatural du transport routier vient immédiatement. En la matière, non seulement certaines mesures n’ont pas été prises, mais pire encore, les gouvernements ont reculé sur d’autres. Et de citer l’écotaxe de Sarkozy (qui ne visait que les particuliers et exemptait les entreprises), l’affaire des portiques en voie de démontage et plus récemment la question de la circulation alternée dans Paris et sa proche couronne. Dans d’autres cas (par exemple le diesel ou le chauffage au bois), la nécessité de limiter nos émissions de gaz à effet de serre a amené notre système libéral à favoriser des technologies qui en contrepartie produisent des polluants atmosphériques nocifs à court terme (dioxyde d’azote ou les particules fines).
La Cour note enfin que certains secteurs : résidentiel,tertiaire et agricole, restent en revanche peu concernés par les politiques engagées « alors qu’ils représentent une part croissante dans les rejets de certaines substances polluantes. » La difficulté de mettre en œuvre la sacro-sainte politique du « pollueur-payeur » semble en être la raison. Les exemples sont nombreux de manquements à ce principe (discutable par ailleurs), l’État lui-même ne se l’appliquant pas !
Le rapport se termine par nombre de recommandations faites aux administrations. Parmi tant d’autres, il demande que soient mises en place des mesures permettant à la France de respecter les objectifs européens, de mettre en cohérence les calendriers des actions, de les chiffrer et les financer dans des logiques « pollueur-payeur », de rendre obligatoire la surveillance de la présence dans l’air des pesticides les plus nocifs, de taxer le gazole et l’essence afin de rééquilibrer la fiscalité de ces deux carburants, de revoir les taux des taxes sur les poids lourds, d’identifier par une pastille les véhicules selon leurs émissions pour permettre de rapides mesures de restriction de circulation, etc.
Même si elles semblent justifiées, les actions proposées ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Rien, par exemple sur la pollution de l’air liée à l’activité aéroportuaire, alors que les mesures effectuées aux abords des plate-formes montrent régulièrement l’état catastrophique de la situation.
Rien comme dispositions incitatives positives d’aide aux particuliers pour diminuer les émissions liées à leurs logements (et parmi eux, ceux des plus humbles, alliant ainsi lutte contre la précarité énergétique et pollution de l’air).
Rien comme mesures (et leur financement) pour renforcer, développer les transports publics des personnes ou des marchandises.
Etc.
La Cour des comptes n’est pas un organe spécialement attaché aux enjeux environnementaux : la faiblesse de ses propositions ne saurait étonner. Mais le constat qu’elle dresse constitue une alerte supplémentaire ; oui, la pollution affecte des millions de personnes et en tue des milliers ; oui, les gouvernements successifs ont reculé devant les lobbys patronaux ; oui, la lutte contre la pollution implique une modification profonde des modes de production, de transports et de vie. Autrement dit, un changement de société.
René Durand. Le 2 février 2016.