Hypothèses stratégiques pour une NUPES forte et gagnante

Le débat a commencé sur une « dissolution » de l’Assemblée, dans les médias, mais aussi dans les réunions NUPES locales et dans les groupes LFI. Donc, il n’est pas inutile de réfléchir, tout en gardant une grande prudence (et modestie).

La dissolution fait partie de ces évènements politiques brutaux qui peuvent se produire dans la situation générale. Celle-ci accumule des facteurs de catastrophes (crise énergétique aggravée, pannes, intensification de la guerre en Ukraine, etc.) et d’emballement.
La NUPES est-elle prête pour une dissolution ? Dit autrement : la gauche antilibérale et écologique est-elle à ce stade en capacité de l’emporter ? Ce n’est pas l’hypothèse la plus probable. Ce qui signifie qu’il ne faut pas pour le moment souhaiter qu’elle ait lieu (je n’ai pas toujours pensé cela, par exemple sous Hollande).

La gauche n’a pas encore reconquis tout le terrain perdu
Sur les retraites, une motion de censure gagnante est assez peu probable. Si elle est déposée, peut-être faudra-t-il la soutenir, car il est difficile de se dérober à ce geste. Sur les retraites à points, en 2019, nous avions évoqué l’hypothèse d’un référendum, qui serait peut-être cette fois plus facile à gagner parce que le projet Macron est caricatural (celui de 2019 était enrobé d’une propagande « universaliste », même si personne ne comprenait). Donc il serait certainement bon d’y réfléchir.

D’une manière générale, il est important que le message de la NUPES apparaisse comme portant des contre-projets, faisant l’objet de campagnes sur le terrain, afin de conquérir de nouveaux soutiens. La séquence électorale a révélé que l’espace de la gauche et de l’écologie a été cette fois éclairé, et même consolidé, mais qu’il n’est pas encore en position d’attirer à lui toutes les abstentions massives. La crise du projet émancipateur est loin d’être surmontée (elle vient de loin), et la victoire électorale à gauche est incertaine si elle n’est pas portée par un mouvement citoyen et social qui transcende le seul aspect politico-électoral. Comme l’explique Roger Martelli : « Frôlant les 50 % parmi les votants ouvriers, la droite extrême domine une gauche qui peine à atteindre le tiers des votants issus des catégories populaires. Il est toujours loin le temps où vote de gauche et vote ouvrier se superposaient régulièrement dans les sondages… » (revue Les Possibles d’Attac). Il ajoute : « … le risque le plus grand est de voir la montée des ressentiments pousser un peu plus les catégories populaires vers le triptyque « illibéral » de l’inquiétude, de la protection nationale et de la clôture ».

Il n’y a donc pas qu’une seule opposition à Macron, il y en a deux, en comptant le RN. Le nouveau fait sur le RN, outre le score du 2ᵉ tour de MLP, c’est l’incrustation territoriale (89 députés). Dans un contexte de situation angoissante, ou la colère potentielle peut prendre le chemin du ressentiment, de la haine des plus faibles que soi, ou des plus pauvres, on ne peut exclure que le RN polarise. Certes, François Ruffin a réussi à l’emporter dans une circo où le RN était bien plus fort à la présidentielle : 65% à Fixecourt pour lui à la Législative, alors que MLP avait fait aussi 65% à la présidentielle, c’est de ce fait un renversement complet. Mais est-ce généralisable ? Ce n’est pas certain. Il y a énormément de travail à faire pour redonner « aux droits universels », « pour tous et sans condition » (dixit Ruffin dans son livre : « Je vous écris du front de la Somme », Les liens qui libèrent) une hégémonie dans le monde du travail et des « classes populaires » (comme on dit maintenant). Exemple récent : il y a beaucoup de luttes sur les salaires dans les entreprises, y compris dans le privé (Stellantis, chimie, Groupama…), mais la journée du 29, si elle regagne un potentiel par rapports aux ratés de mars 2022, est loin d’avoir fait le plein dans les manifestations (y compris peut-être le plein des grévistes). Cela veut dire que la dimension interprofessionnelle du syndicalisme reste très affaiblie, ce qui est un mauvais signe politique. Certes, rien n’est écrit, et une brutalité dont Macron est coutumier peut changer les choses (puisque son propre camp est divisé), mais ce n’est pas mécanique.

Dans une telle situation, la priorité doit aller à la construction assidue de la NUPES dans les territoires, dans la mobilisation populaire et citoyenne, dans le dépassement du cartel des partis. Il ne faut pas que la NUPES soit un objet politique lointain, placé en haut dans la sphère politique, mais un outil que tout le monde peut faire sien, dans la moindre localité ou commune. Donc il est crucial que les batailles parlementaires soient appropriées localement. C’est certes un travail de grande ampleur.

Pas de transition écologique possible sans appropriation démocratique
Il y a une raison supplémentaire, et non des moindres, pour enraciner la NUPES partout. C’est l’absolue nécessité d’associer les batailles écologiques aux batailles sociales. Or sur ce point la résistance de la société, même si la prise de conscience a fait un bond cet été, reste forte. L’écologie n’est pas un ajout à ce que nous faisions jusqu’ici. C’est une modification complète du paradigme de la civilisation industrielle.

Notamment, l’écologie bouleverse le rapport au travail réel, à la matière, aux procédés, aux techniques, à l’imaginaire de l’industrie, des produits, de leurs qualités intrinsèques (un « beau produit », un « bel outil » donne de la fierté au travail bien fait, mais il peut être néfaste pour la société). Le travail doit être repensé, alors qu’il est déjà en pleine crise : effets du COVID, télétravail ambivalent, recherche de sens, refus pour les jeunes de faire n’importe quoi, même avec un CDI.

Comment imaginer qu’on va reconvertir l’industrie automobile (même dans la fausse solution de l’électrique) sans crise ? Ou qu’on va arrêter le nucléaire sans une conviction profonde des travailleurs et travailleuses concerné-es ? Il faudra globalement une planification, certes, mais elle devra comprendre un volet démocratique absolument essentiel. Cela veut dire du temps pour discuter et délibérer du travail, écouter de nouvelles idées. Tout cela peut être très angoissant. Les résistances au collectif Plus jamais ça dans les syndicats d’industrie (pas seulement à la CGT) s’expliquent en partie parce qu’on ne change pas d’un seul coup un siècle de pratiques industrielles. Cela implique au moins deux choses :
• Une Sécurité sociale professionnelle qui maintient le salaire, car l’outil et le poste de travail seront modifiés. Il s’agit d’arracher et de faire vivre une Sécurité sociale universelle, basée sur la conquête de la richesse par le monde du travail.
• Le droit à une délibération sur le travail, c’est-à-dire une réduction du temps de travail dit « productif » (dans la novlangue néo libérale), et pour avoir du temps passé à discuter de ce qu’on va faire et pourquoi il faut le faire. Dans le collectif des Ateliers Travail et Démocratie (où dialoguent chercheur-euses et syndicalistes), il a été imaginé que dans la RTT à 32 heures, il faudrait au moins une heure ou deux dédiées à anticiper le changement du travail. Sinon, le risque est de fuir le travail insupportable (exemple : par le seul chiffrage de la semaine de 4 jours : celle-ci peut être défendue, car limitant les transports nocifs, mais il est prouvé aussi qu’elle accroit la productivité), et de le laisser se dégrader aux mains des managers.

Ce qui est valable pour les entreprises l’est aussi pour les territoires et les modes de vie. La transition écologique nécessite à la fois un plan national et une appropriation sur le lieu où nous vivons, sur la terre ou la ville où nous habitons. Ainsi le magazine Reporterre établit une cartographie des luttes écologistes locales avec au moins 300 collectifs en 2021, et commente : « … ce recensement démontre la vivacité des contestations locales, un véritable mouvement social décentralisé encore inconscient de lui-même ». Effectivement, ce mouvement n’émerge pas assez sur la scène nationale.

Par ailleurs, l’installation d’éoliennes est souvent critiquée ou refusée si elle vient d’en haut. Mais il commence à y avoir des exemples où des communes (et donc des élu-es et habitant-es) se regroupent pour produire leur électricité et parviennent à mettre en commun avec la population mobilisée les problèmes, les compromis, les solutions.

Cette auto-organisation/autogestion des installations techniques non émettrices de GES est absolument indispensable si on veut réussir la transformation. Rien n’est plus efficace à long terme que la démocratie, même si elle est très exigeante, lente au début, et parfois semée d’embuches ou de contradictions.

Pourquoi pas imaginer une Coordination des Assemblées NUPES et des Assemblées territoriales de gauche et écologistes ?
Reprenons : Il y a dans l’air du temps l’hypothèse de la « dissolution » et d’une bataille nationale pour imposer une nouvelle chambre. Cette hypothèse peut surgir sans qu’on l’ait cherché.
Mais il serait bon qu’on imagine dès maintenant un autre type de contre-pouvoir. Basé sur une généralisation des assemblées NUPES qui se coordonneraient sur les circo, mais aussi avec les communes et villes de gauche, pour former une esquisse de pouvoir alternatif, basé sur la démocratie citoyenne et territoriale. Un « parlement » en lien avec celui de la NUPES ?

Donc au total :
• Lutte pour de nouveaux droits dans le travail et dans les services publics, avec des temps de délibération
• Des assemblées qui se coordonnent – celles de la NUPES et les assemblées de gauche déjà actives dans plusieurs agglomérations et communes – et qui pourraient dialoguer pour des politiques alternatives, contre le macronisme.

Jean-Claude Mamet

04-10-2022