Nicolas Sarkozy – qui a toujours été « un ami de Vladimir Poutine » – a publié un long entretien dans « Le Figaro » du 16 août1Nicolas Sarkozy: « Nous avons besoin des Russes et ils ont besoin de nous »(article réservé aux abonné·es). Il y plaide pour une Ukraine « neutre » et des référendums censés « entériner » l’annexion de la Crimée.2Pluie de critiques contre Nicolas Sarkozy après ses propos sur une Ukraine « neutre »
Par Francis Sitel – Le 19 août 2023
Par rapport à ce que dit Sarkozy, deux attitudes sont possibles.
L’une est de considérer que cela n’a aucune espèce d’importance, car tel est le sort des has been.
L’autre est de s’y intéresser, en fonction de l’idée que le personnage conserve une réelle influence, inversement proportionnelle à l’actuelle médiocrité intellectuelle de la droite (que l’Ex ne se fait pas faute de souligner).
Si l’on opte pour le deuxième choix, le long entretien que Sarkozy a donné au Figaro invite à bien des commentaires. Mediapart s’est livré à une partie du travail 3Interview de Sarkozy au « Figaro » : Mediapart rectifie les questions et les réponses (article réservé aux abonné·es). Même si chacun de ses propos nécessiterait critique, ceux concernant l’Ukraine méritent une attention particulière.
Sarkozy se targue de sa longue fréquentation de Poutine (des « dizaines de conversations ») et d’avoir su le convaincre en 2008 de retirer ses chars parvenus à 25 kilomètres de Tbilissi. Et plus généralement d’une connaissance de l’âme slave : « Les Russes sont des Slaves. Ils sont différents de nous. La discussion est toujours difficile et a suscité beaucoup de malentendus dans notre histoire commune. Malgré cela nous avons besoin d’eux et ils ont besoin de nous ».
Voilà qui lui donne autorité pour défendre des positions originales au regard du quasi-consensus existant au sein de la sphère dirigeante. Indication que celui-ci est certainement plus fragile qu’il ne paraît.
Si quelques mots suffisent à Sarkozy pour se démarquer de Poutine – « Poutine a eu tort. Ce qu’il a fait est grave et se traduit par un échec » –, c’est toute une argumentation qui est mobilisée pour, de fait, s’opposer à une politique occidentale qui se veut de soutien « jusqu’au bout » à l’Ukraine.
Sarkozy insinue que la position de Macron s’est modifiée sous « la pression des pays européens de l’Est », et qu’elle oublie de prendre en compte que « les intérêts européens ne sont pas alignés sur les intérêts américains ».
À la guerre, Sarkozy oppose la diplomatie et la négociation. La guerre conduit à une impasse. Sarkozy ironise (?) sur le « jusqu’au bout » occidental : « Mais que veut dire ce « jusqu’au bout » ? S’agit-il de récupérer le Donbass ? De reprendre aussi la Crimée ? Ou bien d’aller jusqu’à Moscou ? ».
La diplomatie doit conduire à un compromis, possible dès lors qu’on en appelle à la raison, présente de part et d’autre. Sarkozy dit ce qu’il pourrait être. Pour la Crimée, valider l’état de fait : « s’agissant de ce territoire, qui était russe jusqu’en 1954 et dont une majorité de la population s’est toujours sentie russe, je pense que tout retour en arrière est illusoire ; même si j’estime qu’un référendum incontestable, c’est-à-dire organisé sous le contrôle strict de la communauté internationale, sera nécessaire pour entériner l’état de fait actuel ».
Quant aux « territoires disputés » (sic) de l’est et du sud, – « les Ukrainiens, et c’est bien normal, vont chercher à reconquérir ce qui leur a été injustement pris » – , Sarkozy se garde bien de préciser s’il se réfère à 2014 ou de 2022, et ne dissimule pas qu’il lui paraît douteux qu’ils y parviennent. Dès lors, la solution sera de recourir… à des référendums sous contrôle international.
Et enfin le clou : l’Ukraine n’a pas à intégrer ni l’Union européenne ni l’OTAN. Elle doit rester neutre !
Même si Sarkozy n’est plus, pour la droite, l’autorité qu’il fut, reconnaissons son sens du chamboule-tout. Il vient de poser des thèmes sur lesquels tout un chacun à droite, et sans doute au-delà, sera appelé à se prononcer.
Bref, peut-être, comme le dit Sarkozy, que les Russes ont besoin de nous et que nous avons besoin des Russes. Ce qui est sûr, c’est que les Ukrainiens n’ont pas besoin de Sarkozy.