Thomas Vescovi et Dominique Vidal pointent les erreurs d’analyse sur les conséquences du 7 octobre. Ils insistent sur le nécessaire renouvellement de la direction palestinienne qui aura besoin d’un appui international fort. Le nouveau veto des seuls États-Unis illustre un double standard diplomatique insupportable. Dans ce contexte, la France et l’Union européenne, devraient jouer un rôle bien plus actif.
Premières leçons d’une catastrophe
Par Thomas Vescovi et Dominique Vidal. Le 23 décembre 2023, publié par Palsol n°87
L’attaque du Hamas, le 7 octobre 2023, et la guerre lancée depuis par Israël contre Gaza resteront sans nul doute une des pages les plus noires de l’histoire de la Palestine. Jamais depuis 1948 des combattants étrangers n’avaient pénétré sur le territoire d’Israël et n’y avaient assassiné autant de Juifs. Jamais non plus la bande de Gaza n’avait été victime d’une offensive aussi destructrice et meurtrière.
Si personne ne pouvait prévoir une opération palestinienne d’une telle ampleur, elle n’est pas pour autant surprenante compte tenu du niveau de pourrissement de la question palestinienne dans lequel Israéliens et communauté internationale se complaisent depuis plus d’une décennie. Tout n’a pas commencé le 7 octobre, mais c’est pourtant en prenant cet évènement comme point de départ que les erreurs d’analyse s’accumulent.
La première porte sur la nature du gouvernement israélien. Beaucoup d’observateurs ont sous-estimé le changement qualitatif qu’a représenté sa constitution fin 2022. L’ex-Premier ministre Ehoud Barak n’a pas hésité à qualifier de « fasciste » la coalition formée autour d’un Likoud radicalisé (32 députés), allié à deux partis ultra-orthodoxes (18 députés) et, pour la première fois, à trois partis suprémacistes, racistes et homophobes (14 députés). Benyamin Netanyahou a même offert aux dirigeants de ces derniers des ministères essentiels : à Itamar Ben Gvir la Sécurité nationale, à Bezalel Smotrich les Finances et surtout la tutelle sur la Cisjordanie.
La deuxième erreur, c’est la sous-estimation des dangers de la politique de cette coalition pour les Palestiniens, avec le cap mis sur l’annexion des Territoires occupés et l’expulsion de leurs habitants, ainsi que la remise en cause du statu quo sur les Lieux saints. Mais aussi pour les Israéliens, via la marginalisation du dernier garde-fou de la démocratie, la Cour suprême, et l’accentuation du caractère théocratique de leur État. Enfin, pour la région, la menace d’une opération militaire contre l’Iran s’ajoutant au risque d’une troisième Intifada.
Le « deux poids deux mesures » est la troisième erreur. Autant de ceux qui, au nom du droit des Palestiniens à la résistance, refusent de condamner les crimes de guerre, voire contre l’Humanité, perpétrés le 7 octobre ; que de ceux qui continuent d’invoquer le droit d’Israël à se défendre pour justifier les crimes de guerre commis à l’encontre des Palestiniens de la bande de Gaza. Or, c’est précisément l’ensemble des politiques mises en place pour la « sécurité » des Israéliens (assassinats, blocus, arrestations…), au détriment de celle des Palestiniens, qui a pu motiver la préparation d’une attaque si violente.
La quatrième erreur concerne la nature du Hamas : que ses crimes relèvent du terrorisme, entendu comme méthode d’action, ne signifie pas qu’il s’apparente à Daesh. Il s’agit d’abord d’un mouvement islamo-nationaliste, créé en 1987 par les Frères musulmans palestiniens. Afin de « diviser pour mieux régner », les services israéliens ont laissé l’organisation se développer pour morceler la résistance palestinienne, et affaiblir le Fatah d’Arafat. Le Hamas finit par remporter les élections de 2006, puis, l’année suivante, par prendre violemment le pouvoir à Gaza. Netanyahou facilita même, à partir de 2018, son financement par le Qatar pour éviter la faillite économique de Gaza.
Si la stratégie du Hamas ne s’embarrasse pas des droits humains, elle n’en est pas moins aussi rationnelle que cruelle. Ainsi l’opération terroriste du 7 octobre avait-elle quatre objectifs essentiels : faire voler en éclat la politique israélienne d’invisibilisation des Palestiniens ; démontrer aux Israéliens, par la terreur, leur situation d’insécurité ; marginaliser l’Autorité palestinienne ; empêcher le ralliement de l’Arabie saoudite aux accords d’Abraham.
La cinquième erreur concerne la comparaison de la « surprise » de 2023 avec celle de 1973. Le choix par le Hamas de la date anniversaire de l’offensive des armées égyptienne et syrienne ne doit rien au hasard. Mais comparaison n’est cependant pourtant pas raison. Une guerre entre trois armées n’a rien de commun avec un conflit asymétrique. En revanche, il est vrai que Netanyahou, comme autrefois Golda Meir, n’a pas cru aux avertissements en provenance d’Égypte : à l’époque Tsahal avait été sérieusement bousculée sur le canal de Suez et le Golan ; cette fois, elle a laissé quasiment sans défense les kibboutzim proches de la bande de Gaza.
Une autre différence frappe : alors qu’en 1973 les Israéliens ne s’étaient retournés contre Golda Meir qu’après-guerre, au point que la droite finira par accéder au pouvoir quatre ans plus tard, en 2023 l’union militariste semble aller de pair avec une mise en accusation de Netanyahou : d’emblée 86 % le jugent responsable de la catastrophe sécuritaire (et même 79 % des électeurs de la coalition au pouvoir) ; 56 % des sondés exigent sa démission immédiate. Et les partis au pouvoir, en cas d’élections législatives anticipées, tomberaient de 64 sièges (sur 120) à… 41.