Le 25 février 2014, Manuel Valls a annoncé aux organisations syndicales et patronales un projet de loi sur le « dialogue social », portant sur les Instances Représentatives du Personnel (IRP)[1] et les règles de négociations dans les entreprises. Ce projet serait présenté en conseil des ministres fin mars-début avril suivi d’un débat au parlement pour viser une adoption cet été.
Le président du Medef, Pierre Gattaz, a salué un « esprit de réforme qui va dans le bon sens »… impossible de donner tort à M.Gattaz, les propositions de Manuel Valls ont été une version à peine édulcorée de celles du Medef.
Le gouvernement veut perpétuer la méthode « fourre-tout » de la régression sociale de la loi Macron en incluant dans cette loi des dispositions concernant les intermittents du spectacle et fusion RSA activité et Prime Pour l’Emploi.
Avec ce projet, le gouvernement porte son zèle à servir les exigences du Medef à un niveau encore plus élevé. En effet, les négociations sur le « dialogue social » entre organisations syndicales et patronales avaient pourtant échoué il y a quelques semaines, le front syndical ne s’était pas fissuré et aucune confédération n’accepta les propositions du Medef…[2] Or, à la sortie de la réunion avec M.Valls, Laurent Berger, de la CFDT, saluait « l’avancée et la victoire pour les salariés » que constitueraient la création des commissions TPE (on se demande bien pourquoi, voir la suite) et la perspective d’un « dialogue social moins formel. »… alors même que le formalisme des règles d’information-consultation et de négociation sont souvent des protections pour les syndicalistes. La CFTC et la CFE-CGC ont globalement exprimé les mêmes positions au contraire de la CGT et FO qui ont exprimé leur opposition.
Sous couvert, de « rationalisation » « simplification » etc… le gouvernement porte une nouvelle attaque contre des instruments qui peuvent être utilisés par les salariés, leurs représentants et les organisations syndicales.
En effet, les instances représentatives du personnel ont fondamentalement vocation à remplir un rôle antinomique avec le capitalisme, le « dialogue social » entre parties dont les intérêts fondamentaux sont antagonistes. Toutefois, ces instances peuvent servir de point d’appui pour des équipes syndicales dans le cadre des relations de force souvent dégradées, ni plus, ni moins… Ce qui est déjà souvent appréciable, particulièrement dans une période difficile.
Valls emboîte le pas de Gattaz, le chef du Medef sur les points suivants :
– Par la survalorisation de « l’accord d’entreprise » au détriment des accords de branche, ou des accords nationaux. Sous la rhétorique d’une plus « grande proximité avec le terrain », à la suite du Medef et à l’instar de Sarkozy, le gouvernement renverse la hiérarchie des normes juridiques avec une prime au plus petit échelon. La force des travailleurs étant leur nombre, ce renversement aura tendanciellement pour effet d’affaiblir les équipes syndicales. Là, où ces équipes seront en difficultés, elles auront plus de mal à s’opposer à des accords au rabais… et à s’affaiblir encore plus jusqu’à créer de nouveaux déserts syndicaux.
– Par la volonté de regrouper les procédures d’information-consultation autour de trois thèmes (sur la situation économique et financière de l’entreprise, sur sa situation sociale, sur ses orientations stratégiques), portant le danger d’une diminution des capacités des représentants des salariés à connaître la marche de leurs entreprises via des expertises.
– Par la possibilité de fusion, par accord d’entreprise, des différentes instances des salariés en une instance unique. Ce rêve du Medef répond à la haine du grand patronat contre les CHSCT et la menace qu’ils représentent d’être poursuivis en justice pour le non-respect des réglementations. Même si cette instance unique resterait compétente pour agir en justice, la nécessité de la prise de décision par une instance fusionnée s’occupant d’un grand nombre de questions rendra le recours à la justice encore plus difficile qu’aujourd’hui… Surtout que cette fusion risque fortement de s’accompagner d’une diminution des moyens alloués aux élus des salarié-e-s. Cela aura pour conséquence d’avoir des représentant-e-s complètement ensevelis par les obligations de leurs mandats, perdant de plus en plus le contact avec les salarié-e-s qu’ils représentent…. Un danger mortel pour le syndicalisme.
– Par un projet de représentation des salariés des Très Petites Entreprises (moins de 11 salariés) complètement vidé de tout sens. Dans ces entreprises, la loi ne prévoit aucune représentation du personnel… Le gouvernement annonce remédier à cela. Mais, là aussi, François Asselin de la CGPME (confédération de patrons de PME) a raison, de son point de vu, en déclarant le texte « aurait pu être beaucoup plus cruel » : cette représentation prendrait la forme d’une commission paritaire à l’échelle des régions (bonjour la proximité !!!) composée de 10 représentants salariés/ 10 représentants patronaux, qui aurait une « fonction de conseil » et n’aurait pas de » droit d’ingérence sur la marche de l’entreprise ». Enfin, les modalités de désignation des représentants salariés dans ces commissions ne sont pas décidées.
La logique du gouvernement aligné sur le Medef est celle de la réduction de toute instance du personnel à un « frein » pour l’emploi, l’investissement etc… Il faudrait « simplifier », « rationaliser » ces instances avaient la moindre conséquence réelle sur la capacité du grand patronat à investir. Comme si, les entreprises du CAC 40 (à l’instar de leurs homologues des principaux pays capitalistes) ne disposaient pas la plupart d’un océan de trésorerie. Cette compréhension est, exactement, celle du Medef. C’est-à-dire une simple rapacité à la petite semaine n’arrivant même pas à se hisser au niveau des exigences du capitalisme, se fixant pour tâche de l’heure le ratiboisage de droits syndicaux. Il s’agit pourtant de la réalité du grand capital français contemporain, monstre aussi sénile que puissant.
Aucun doute : le projet de loi sur le « dialogue social » est la deuxième lame du projet de loi Macron, son complément. Mettre en échec l’un signifie mettre en échec l’autre.
Suren
[1] Il existe de nombreux descriptifs des IRP, en voici une assez complète de la CGT santé http://www.sante.cgt.fr/Les-instances-representatives-du
[2] Au sujet des négociations, voir https://www.ensemble-fdg.org/content/obstination-du-medef-et-chec-des-ngociations