Notre camarade Jean-François – globe-trotter militant – nous livre, dans ce nouvel article, ses impressions sur son dernier voyage à Montréal. Il est l’auteur de « globe-trotter, carnets de voyage d’un bourlingueur militant », 2007, Éditions L’Harmattan et de « Quand les voyages et le militantisme se rejoignent », 2017 (deux tomes).

Quelques impressions de Montréal

Par Jean-François Le Dizès. Le janvier 2024

Après mes séjours à Montréal en 1994 et en 2012-2013 ainsi qu’après mon parcours du Canada en scooter de l’Atlantique au Pacifique en 2009, j’ai séjourné une nouvelle fois à Montréal durant 17 jours. Hébergé successivement chez trois de mes anciens élèves d’Algérie, tous immigrés dans cette ville depuis plusieurs décennies, j’ai surtout eu des contacts au sein de la communauté algérienne. Malgré le froid, je me suis assez promené dans les rues de la capitale économique du Québec.

Montréal 1 © J-F Le Dizès

Montréal 1 © J-F Le Dizès

La grève des services publics

Pays plutôt socialement calme, le Québec peut connaître parfois des mobilisations importantes, comme ce fut le cas lors du printemps Érable en 20121Très longue grève des étudiant·es contre l’augmentation des droits d’inscription dans les universités. Même chose, lors de la méga-manifestation de 2021 à Montréal pour la défense du climat, qui a rassemblé – m’a-t-on dit – 500 000 personnes (la province du Québec possède 8,3 millions d’habitant·es2Québec).

Ce fut encore le cas en cette fin d’année 2023, où les enseignant·es des premier et second degrés ont fait une grève générale d’un mois. La présence de piquets de grève à l’entrée des établissements scolaires a contribué à la réussite de ce mouvement. Les grévistes ont aussi bloqué durant une matinée le port de Montréal. Résultat : une augmentation de salaire de 17,4 % échelonnée sur cinq ans !

Comme en France, pour des raisons de faibles salaires et de mauvaises conditions de travail, le Québec connaît une pénurie d’enseignant·es. En plus du bourrage des classes, l’administration peut exiger des enseignant·es l’accueil jusqu’à trois élèves handicapé·es par classe, et ce, sans personnel supplémentaire.

De même, les hôpitaux sont surchargés. Durant mon séjour, à cause d’une épidémie de grippe, ils ont dû accueillir 47% de plus de patient·es que leur capacité3Statistique Canada. Pour les mêmes raisons que pour les enseignant·es, les autorités québécoises rencontrent des difficultés de recrutement de personnels paramédicaux.

En même temps que les enseignant·es, les infirmières se sont mises en grève pour une durée indéterminée afin d’obtenir notamment des augmentations de salaire. J’ai pu lire sur leurs pancartes « salaires, vie professionnelle, charge de travail, Y A DES LIMITES ». Pour tenir compte des urgences médicales, la grève n’est pas générale, mais le 9 janvier, jour de mon départ, la grève, qui durait déjà depuis plus d’un mois et demi, continuait !

Pour remédier à cette pénurie de personnels, les autorités, au lieu de s’attaquer aux causes du mal, cherchent à faire venir des employé·es des pays étrangers. Ainsi, j’ai rencontré une Camerounaise – nouvellement arrivée de son pays – qui allait se former pour devenir enseignante au Québec. L’une de mes anciens élèves, infirmière, m’a dit que ses collègues étaient de toutes nationalités d’origine.

La ruée des immigrés

Ainsi, au Québec, il n’arrive pas que des migrant·es de faible qualification, mais aussi, par exemple, des ingénieur·es. Un de mes anciens élèves, ingénieur lui aussi, m’a dit que ses collègues de même qualification étaient de toutes nationalités d’origine. Les immigré·es me sont apparu·es, en proportion, nettement plus nombreux·ses que lors de mon dernier séjour à Montréal.

En effet, non seulement au Québec, mais aussi sur l’ensemble du Canada, l’immigration coule à flot. En 2023, il est arrivé officiellement 948 000 migrant·es en âge de travailler4Le quotidien « Le Devoir ». À ce chiffre, il faut ajouter l’arrivée de nombreux clandestin·es, notamment en provenance de l’Amérique latine via les États-Unis, dont la frontière avec le Canada, longue de plus de 6 000 kilomètres, est loin d’être hermétique.

Le fait qu’en dix mois, la police ait intercepté 68 000 migrant·s illégaux5Le quotidien « Le Devoir » laisse supposer que beaucoup d’autres sont passés entre les mailles du filet. Telle contrôleuse d’hygiène d’un abattoir m’a dit que le personnel de celui-ci était latino-américain. À Montréal, les migrants viennent de quatre continents. À Montréal-ville (2 millions d’habitants6Montréal), 33% de la population est née à l’étranger7Statistique Canada.

Le fait que les quatre plus nombreuses nationalités étrangères (dans l’ordre haïtienne, algérienne, française et marocaine) ne représentent que 28% de l’ensemble des étrangers8Statistique Canada montre bien leur très grande variété. Chacune de ces communautés a son propre quartier.

Parmi les immigrés, très nombreux sont ceux qui ont déjà obtenu la nationalité canadienne ; les conditions d’obtention étant essentiellement linguistiques. C’est ce qui explique que le taux d’habitants du Québec pouvant converser en français est resté stable depuis 2010 à 94%9Le quotidien « Le Devoir ». Mais le taux de ceux ayant le français comme langue maternelle a, depuis cette date, régressé de 77,1% à 74,8%10Le quotidien « Le Devoir ».

En les comparant à leurs homologues de France, les immigrés montréalais me sont apparus bien mieux dans leur peau. Ils ne cherchent pas physiquement à ressembler aux « autochtones ». Le port du voile islamique est autorisé dans les écoles. Les reconduites à la frontière sont relativement rares.

Parce que beaucoup de ces immigrés sont arrivés à un âge moyen, ils sont nombreux à être obligés de travailler bien au-delà de l’âge légal de la retraite (65 ans) pour ne pas vivre dans la misère.

La construction de logements sociaux ne suivant pas l’augmentation de la population laborieuse, ce sont les immigrés non diplômés qui trinquent et ceux-ci sont de plus en plus nombreux à dormir sous tente. Alors que les hivers sont particulièrement froids, sur l’ensemble du Québec, ils sont 10 000 dans ce cas11Le quotidien « Le Devoir » et 50% plus nombreux que cinq ans auparavant12Le quotidien « Le Devoir ».

Montréal 2 © J-F Le Dizès

Montréal 2 © J-F Le Dizès

La priorité à l’économie

Comme d’autres gouvernements, celui du Québec est entré dans la course aux subventions aux entreprises capitalistes pour les attirer sur son territoire. Sont principalement concernés les secteurs des mines, des batteries, de l’exploitation forestière et du bâtiment.

Certes, 424 000 emplois ont été créés sur l’ensemble du Canada en 202313Le quotidien « Le Devoir » (le Canada a 40 millions d’habitants14Canada). Mais comme c’est moitié moins que le nombre de nouveaux travailleurs étrangers officiels, le taux de chômage a augmenté cette année de 19%15Le quotidien « Le Devoir » pour atteindre 5,8% de la population active16Le quotidien « Le Devoir ».

Et du coup, ce sont les services publics (Éducation, santé, logement…) qui trinquent !

Cependant, les transports publics de Montréal se sont, depuis mon dernier séjour, bien améliorés : avec un maillage de très nombreuses lignes de bus au départ des stations des quatre lignes de métro, le réseau est convenable. De plus, il est maintenant gratuit pour les résidents de plus de 65 ans.

De son côté, dans un pays où il tombe en moyenne par an 286 cm de neige par an17https://www.skiinfo.fr/quebec/bulletin-neige, le service de déneigement des rues est très efficace. J’ai pu voir qu’après une notable chute de neige, en moins de 24 heures, la ville était très carrossable.

Au Québec, les concessions d’exploration minière, notamment pour l’or, connaissent un boom. Couvrant désormais 10% du territoire18Le quotidien « Le Devoir », elles empiètent parfois sur les réserves fauniques ou sur les terres cultivables.

À voir les intérieurs des logements, j’ai eu l’impression que les Montréalais suivent de plus en plus le modèle de vie consumériste étasunien.

Une situation écologique en demi-teinte

Le Québec a, à l’égard de l’environnement, une position ambigüe.

En effet, en dehors des villes, les transports humains sont basés sur l’automobile, les trains étant extrêmement rares.

Et le Québec est, comme le reste du monde, frappé par le dérèglement climatique. Montréal a connu pour la première fois depuis des décennies un Noël sans neige. Durant l’été dernier, les chaleurs ont produit des feux de forêts qui ont brûlé 4,5 millions d’hectares de bois19Le quotidien « Le Devoir » ; plusieurs villes ont dû être évacuées. Le Québec a aussi connu en 2023 des pluies torrentielles exceptionnelles qui ont engendré des glissements de terrains.

À côté de cela, Montréal est une ville peu dense, laissant de la place à des terres dégagées. J’ai pu voir que les écureuils s’y promenaient à volonté.

Pour protéger son atmosphère, les autorités locales ont interdit le chauffage au bois. Les Québécois ont prouvé qu’ils étaient capables de battre le pavé en masse pour la défense du climat, mais aussi capable, avec succès, de contrer la filière hydrocarbure.

Un courant alternatif

Il y a aussi, au Québec, ici ou là, des actions contre la pollution de l’eau engendrée par l’agriculture industrielle.

Il existe aussi tout un courant écolo-autogestionnaire, dont le « Bâtiment 7 » à Montréal, que j’ai visité, est l’exemple le plus élaboré. Géré et animé par des militants, il comprend une épicerie vendant des produits plus ou moins bios et plus ou moins en circuits courts, une cafétéria, une bibliothèque, des ateliers pour apprendre à réparer des vélos, des automobiles, à faire de la menuiserie ou de la soudure. C’est en 2019, après une lutte qui a duré neuf ans, que ce lieu autogéré a commencé ses activités dans un bâtiment désaffecté de la compagnie de chemin de fer, de 8 300 m² de surface, dénommé Bâtiment 7.

Dans d’autres lieux autogérés « multiservices » de Montréal, il peut y avoir un « ciné-quartier », un magasin de gratuité d’habits d’occasion…

Notes