Nous avons eu la chance de pouvoir rencontrer Faruk Doru, représentant du parti DEM (Parti de l’Égalité et de la Démocratie des Peuples) en Europe. Il a bien voulu répondre à nos questions tant au sujet de la répression en Turquie, que des élections à venir ou de la situation au Rojava. Nous l’en remercions.

Questions au représentant du parti DEM

Propos recueillis par Gilles L. de notre collectif lyonnais, le 3 février 2024.

 

Bonjour Faruk. Est-ce que tu peux en quelques mots te présenter et dire quelles sont tes fonctions ?

J’étais le représentant du HDP (Parti de la Démocratie du Peuple)1Parti démocratique des peuples en Europe, avant la présidentielle de mai 2023 et maintenant, je représente le DEM en Europe (Parti de l’Égalité et de la Démocratie des Peuples)2Le HEDEP, anciennement Parti de la Gauche verte (YSP), a officiellement changé son acronyme pour « Parti DEM ». Le HDP existe toujours, mais on a décidé de ne plus organiser d’activités politiques en son nom. Ses dirigeants sont toujours en procès et nous voulons attendre la fin de ces procès contre eux. Il y a aussi un procès politique monté par l’État turc en vue de l’interdiction du HDP : sa raison politique est de nous condamner pour notre décision de nous solidariser avec le peuple kurde en Syrie. Tout spécialement parce que nous avions en tant que HDP appelé à cette solidarité quand les Kurdes luttaient contre DAESH à Kobané, ce pourquoi la Turquie avait ouvert les procès contre les dirigeants du HDP.

Parle-nous maintenant de la situation en Turquie : comment les choses se présentent-elles à quelques mois des élections locales de fin mars notamment ?

Le 31 mars auront lieu les élections municipales. En tant que parti politique, nous présentons des candidats dans toutes les régions du Kurdistan où nous avons 60 à 70 % des intentions de vote. Dans certaines grandes villes de Turquie, notre parti peut aussi gagner les élections avec des alliances politiques. Dans les années passées, on a soutenu inconditionnellement les partis sociaux-démocrates turcs qui ont gagné Istanbul, Ankara, Izmir et plusieurs autres grandes villes en Turquie, ce qui a gêné Erdoğan. Pour les élections prochaines, nous avons dit que nous n’allions plus soutenir aucun parti « gratuitement » : si on arrive à la signature d’un accord officiel et public, nous allons soutenir les candidats dans les villes que nous ne pouvons pas gagner seuls comme Istanbul, Izmir, Ankara, etc. Ce pourrait être un candidat social-démocrate ou un candidat unique d’autres partis. Si nous n’arrivons pas à un accord politique avec d’autres partis, nous présenterons nos candidats dans toutes les villes de Turquie sous l’étiquette du DEM.

Avec la répression qu’organise le régime, allez-vous pouvoir participer « normalement » à ces élections ?

Mais nous n’avons jamais participé « normalement » aux élections ! Il y a toujours eu des arrestations. Il y a toujours eu des pressions politiques, des fraudes électorales. Et maintenant, en plus de ça, nous avons un grand problème avec la concentration des forces militaires dans les villes kurdes stratégiques. Les militaires votent dans leurs garnisons. Donc, le gouvernement a déplacé des milliers de militaires qui vont voter dans les villes importantes pour le pouvoir, mais aussi dans de petites villes de la frontière avec le Kurdistan de Syrie. Là où il y a par exemple 10 000 électeurs, le gouvernement a envoyé 5 000 militaires, ce qui va évidemment fausser les résultats électoraux ! En plus de cela, il y a aussi de fausses inscriptions [sur les listes électorales]. Ces procédures de l’État turc sont illégales et nous avons intenté des procès. Mais, comme toutes les procédures judiciaires sont aux mains de l’AKP, il n’y a aucun changement.

Pour les résultats, avez-vous l’espoir de faire de bons scores ou bien cela va-t-il être « juste » comme aux présidentielles ?

Nous allons faire de bons scores au Kurdistan. Mais, dans les conditions que je viens d’évoquer, il y aura des manipulations totalement antidémocratiques, notamment avec le déplacement des militaires. Ce n’est pas « un peu »  truqué, c’est « totalement » truqué !

Peux-tu nous dire maintenant quelques mots sur la situation au Rojava, avec les agressions turques qui se poursuivent continuellement ?

Au Rojava, l’État turc commet vraiment un crime contre l’humanité. Le ministre des Affaires extérieures (ancien chef des services secrets) a déclaré publiquement à la presse qu’ils allaient attaquer les infrastructures du Rojava. Ce gouvernement a bombardé massivement toutes les infrastructures vitales du Rojava, que le peuple a mis des années à construire : les centrales électriques, les installations pour l’approvisionnement en eau, les installations pétrolières, tout ce qui est essentiel pour l’économie du Rojava. Et sans aucune protestation internationale, bien que la présence des États-Unis et de la Russie dans la région soit une réalité. En agissant de cette façon, le gouvernement turc veut pousser la population à quitter le territoire et ramener tous les djihadistes de Turquie dans cette région. Donc c’est vraiment un crime contre l’humanité. Les Kurdes du Rojava sont en difficulté. Ils subissent un embargo international de tous les côtés. Les entrées et les sorties sont très difficiles. Malgré cela, le peuple continue à vivre, continue à lutter contre toutes ces menaces, toutes ces attaques criminelles de l’État turc dans cette région.

Est-ce que l’on peut parler de génocide ou bien cela te semble-t-il exagéré ?

Moi, je pense que c’est un génocide. Le gouvernement turc a déjà pratiqué un génocide dans la ville kurde d’Afrin. Oui, c’est un génocide, quand on nettoie totalement un endroit de sa population par une politique de bombardements et de déstabilisation. C’est un nettoyage ethnique, c’est un génocide qui d’ailleurs a été reconnu par le Parlement européen. La population d’Afrin était à 90 pour cent kurde. Aujourd’hui, les Kurdes d’Afrin ne sont plus que 10 à 15 pour cent de la population.

Un dernier point sur la solidarité dont vous avez besoin, que vous attendez des gouvernements, des partis, des populations

Pour l’instant, vraiment, nous n’avons pas une solidarité énorme de la part des États : aucun ne reconnait l’existence du Rojava. Les États présents – les américains et les russes – sont là pour protéger leurs propres intérêts, et si demain leurs intérêts changent, ils partiront. La Turquie entend occuper davantage encore du territoire kurde dans cette région.
Nous avons besoin de la solidarité des groupes progressistes, car notre projet politique pour cette région, ce projet que nous appelons le Confédéralisme Démocratique n’est pas seulement un projet démocratique pour les Kurdes, c’est un projet démocratique pour tous les peuples de la région. Et par exemple au Rojava, on voit la participation des arabes, des minorités ethniques comme les arméniens ou les assyro-chaldéens. Et je pense que c’est ce projet-là qui est attaqué principalement par tous les États antidémocratiques, fascistes de la région. Pour toutes ces raisons-là, nous avons besoin d’une solidarité internationale de toutes les forces démocratiques progressistes.

Merci Faruk et bon courage pour la suite de ta mission !
Notes