Le candidat Macron a promis une « réforme » des retraites où « 1 € versé donne les mêmes droits à tout le monde ». Aujourd’hui, il annonce un système de retraite « universel, juste et solidaire » et a chargé un Haut-Commissariat à la Réforme des Retraites (HCRR) de déterminer ce futur système et de l’expliquer aux partenaires sociaux pour les convaincre.
Après six mois de concertation, le HCRR a présenté le 10 octobre les 19 principes de la loi retraite qui devrait être votée fin 2019, après les Européennes :
– Le nouveau système, dit universel de retraite, remplacerait les 42 régimes de retraite existants (régimes de base et régimes complémentaires obligatoires) qui devraient appliquer le système à points : les cotisations permettent d’acheter des points qui s’accumulent tout au long de la carrière et le nombre de points acquis, ainsi que la valeur du point, déterminent le montant de la pension. Ce serait la fin des systèmes actuels, dit en annuitées, qui calculent la pension à partir des meilleurs salaires (le dernier pour les fonctionnaires, la moyenne des 25 meilleures années pour le privé), afin de réduire les inégalités en éliminant du calcul les années de galère. Le système à points prend en compte toute la carrière, il augmente les inégalités, pénalise les plus précaires, les carrières heurtées, les temps partiels… C’est la vision du monde de Macron, il y a ceux qui ont réussi, ont de belles carrières et de belles retraites, et ceux qui ne sont rien.
Ce serait la fin des régimes à prestations définies qui permettent de prévoir, de calculer la pension en connaissant le salaire pris en compte et la durée de cotisations. Ils seraient remplacés par un régime unique à cotisations définies : on sait ce que l’on cotise, on ne peut pas connaître le montant de la pension qui dépend de la valeur du point, déterminée chaque année.
– Les salarié-es du privé cotiseraient pour leur retraite environ 28 % de leur salaire, soit le même taux qu’actuellement pour la retraite de base et la complémentaire, jusqu’à 10 000 € mensuels. Les 300 000 personnes qui gagnent plus ne cotiseraient pas au-dessus et n’accumuleraient pas de droit. Les fonctionnaires cotiseraient aussi 28 %, mais pas les indépendant-es, libéraux, agriculteurs… qui cotiseraient moins : le système n’est pas vraiment universel ! Pour ces derniers, faibles cotisations signifient faibles pensions, souvent rattrapés par le minimum de pension, alimenté par les cotisations des salarié-es : pour 1 € cotisé, les indépendant-es auraient plus de droits que les autres ! Le système est injuste et inégalitaire.
– Afin que ce système ne jette pas dans la misère les plus précaires, des points seraient attribués au titre de la solidarité, pour la période de maternité, pour le début du chômage, pour une partie de la maladie, de l’invalidité… Ces points seraient payés par le Fonds Solidarité Vieillesse, la Sécu, l’UNEDIC, voire l’État. Ces solidarités devraient rester dans le cadre de l’enveloppe financière actuelle, soit un maximum de 20 % de la masse des pensions. Elles ne suffiraient pas pour compenser la prise en compte des mauvaises années dans le calcul de la pension. L’avenir n’est pas garanti, rien n’empêche un gouvernement de diminuer petit à petit les points attribués pour ces solidarités, au nom des économies budgétaires.
– Le système « devra assurer sa solidité, sa stabilité et sa viabilité sur le long terme » et respecter la « règle d’or » de maintien des dépenses de retraite dans la limite de 14 % du PIB. La même masse des pensions se répartirait entre un nombre de plus important de personnes en retraite (le papy-boom jusqu’en 2035), la pension de chaque personne diminuerait, mathématiquement !
Pourquoi cette réforme maintenant ?
L’équilibre des systèmes de retraite n’est pas en danger, grâce (ou plutôt à cause) de toutes les « réformes » précédentes depuis 30 ans. Si une personne partant en retraite en 2040 calculait sa pension avec les règles qui étaient en vigueur avant 1986, elle aurait une pension double : les « réformes » ont divisé la pension par 2 ! Cela ne se sent pas énormément jusqu’à maintenant, car les nouveaux retraité es ont connu de belles carrières ascendantes mais, de plus en plus, vont arriver en retraite des personnes ayant commencé à connaître la galère et devant survivre avec le minimum. Le Conseil d’Orientation des Retraites a calculé que cela ferait baisser le poids des retraites dans le PIB.
Macron veut imposer maintenant son système à points pour accélérer la baisse du poids des retraites, arriver plus vite dans la moyenne européenne. Ce serait très facile, il suffirait chaque année d’augmenter très peu la valeur du point qui détermine la pension, c’est cette méthode que le gouvernement veut appliquer aux retraité-es en 2019 et 2020 : le PLFSS 2019 ignore les mots « retraite » et « pension », les remplace par une « allocation sociale » revalorisée selon les décisions du gouvernement et les possibilités budgétaires. Avec ces très faibles revalorisations, les retraité-es, entre 2018 et 2020 perdront l’équivalent d’un mois de pension !
Au-delà des retraites, qui séparent déjà les les solidarités et les droits acquis par les cotisations, qui diminuent les cotisations au profit de l’augmentation de la CSG, c’est toute la Sécu et ses recettes assises par les cotisations qui sont visées. Macron a commencé à baisser les cotisations (les « charges » selon lui) et veut les faire disparaître.
Une forte mobilisation s’impose
Les gouvernements précédents ont réussi à faire passer leurs « réformes » en divisant, le privé en 1994, le public en 2003, les régimes spéciaux en 2008. Aujourd’hui, Macron attaque tout le monde en même temps, il pense gagner par une bonne communication en faisant croire à un système universel, juste et équitable. La bagarre de la communication commence, nous devons la gagner. C’est possible, la même « réforme » a commencé il y a trois ans en Belgique, où les mobilisations syndicales et citoyennes ont réussi à stopper, à faire reculer l’application de la loi.
Le gouvernement tente de persuader les organisations syndicales en divisant, en les recevant une par une en bilatérale sur chaque sujet. Les communiqués de ces organisations montrent qu’il n’a une oreille attentive que de la part du syndicalisme d’accompagnement, la CFDT juge les discussions riches, est écoutée, voit un probable projet porteur de progrès social.
A l’inverse, apparaît un début de front syndical qui refuse le recul social, qui défend le principe de la Sécu « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». La CGT dénonce la volonté de réaliser des économies sur les retraites, les risques de baisse des pensions pour les salarié-es les plus fragiles, l’évolution des solidarités, restreintes et ciblées sur des individus. FO refuse le système à points, la valeur du point calculée de façon à respecter les équilibres en diminuant les pensions, montre que 1 € ne donne pas les mêmes droits. Solidaires détaille en quoi le système Macron n’est ni universel, ni simple, ni juste, dénonce l’objectif politique de diminuer les retraites, rappelle ses revendications pour améliorer les systèmes actuel sde retraite. La FSU insiste sur le recul social pour les fonctionnaires, défend le code des pensions et demande des négociations dans la fonction publique.
Les bases d’un rejet majoritaire du recul social existent, il pourrait se formaliser par des rencontres entre ses organisations que le HCRR divise en les recevant une à une, séparément. La CGT a franchi un premier pas en ce sens en invitant toutes les autres organisations à participer à un colloque européen avec le témoignage de 4 pays sur le recul social des retraites. Neuf organisations de retraité-es, six syndicats (CGT, FO, CFTC, CFE-CGC, Solidaires, FSU) et trois associations (FGR-FP, LSR, Ensemble & solidaires-UNRPA) ont appelé à l’action le 18 octobre, et six autres organisations y ont appelé de leur côté, dont l’UNSA. Elles ne veulent pas l’application aux retraité-es de ce que prévoirait la loi retraite de 2019, une très faible revalorisation de leur « allocation sociale » au lieu d’une revalorisation automatique selon l’inflation de leur pension. Neuf, puis quinze organisations de retraité-es, c’est un bon début, elles ont mis dans la rue des dizaines de milliers de retraité-es, maltraité-es, révolté-es.
Maintenant que les grands principes du système Macron sont affirmés officiellement, nous avons la responsabilité, avec d’autres, de créer un grand mouvement de défense et d’amélioration des systèmes actuels de retraite et de l’ensemble de la Sécu. Le sujet sensible des retraites et de la Sécu peut devenir l’outil de mobilisation de toute la société et de toutes les forces, associatives, syndicales et politiques, opposées à Macron.
Patrick Heyrick