Mme Taubira, lors de son arrivée au ministère de la justice, avait promis une réforme de fond de la justice.
En février 2013, une conférence de consensus avait été installée par la ministre de la justice sur la prévention de la récidive. Cette initiative avait été saluée par ceux et celles qui attendaient une réforme de la justice rompant avec la logique des lois sécuritaires votées sous l’ère Sarkozy.
Aujourd’hui, cette réforme intervient alors que, contrairement à ce qu’affirment les pourfendeurs de la réforme Taubira, la justice est de plus en plus dure, condamnant à tour de bras à des peines d’emprisonnement ferme, en appliquant, les peines planchers. Les juges ont intégré un système judiciaire de plus en plus répressif. Le parquet est omni présent, menaçant de faire appel s’il n’obtient pas les quantum de peine demandés. Le quantum moyen de la peine pour un même délit a augmenté de 2/3 en 20 ans.
Et pourtant combien de mission parlementaires ont conclu à la nocivité de la détention et ont mis en avant la nécessité de développer les peines alternatives à l’incarcération !
Les prisons sont surpeuplées : 68643 détenus au 1er mai 2014 pour 57 000 places en 2013 ! Des matelas sont installés par terre dans les cellules rendant encore plus insupportables les conditions de détention.
L’incarcération des mineurs ne cessent aussi d’augmenter, provoquant une surpopulation carcérale aussi dans les établissements pénitentiaires pour mineurs et les centres de jeunes détenus. La mise en cellule individuelle, obligatoire pour les mineurs, ne pourra bientôt plus être respecté.
Mais force est de constater que le gouvernement a retardé l’examen du projet de la réforme pénale et en a restreint l’étendue.
En effet, n’y figurent pas la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, pourtant attendue par les professionnels de la justice des mineurs et la création d’une libération conditionnelle d’office aux deux tiers de la peine, mesure préconisée par la conférence de consensus pour éviter les sorties sèches. L’abrogation de la rétention de sûreté (donnant la possibilité de garder en prison des criminels une fois qu’ils ont purgé leur peine) est renvoyée à plus tard.
Les lobbies sécuritaires veillent et répandent chaque jour des contre vérités, se contentant de réclamer la construction de nouvelles prisons. C’est l’unique leitmotiv des députés UMP qui ferraillent à l’Assemblée, avec comme seul argument le laxisme supposé de la Garde des Sceaux. Ils sont à la manœuvre pour contrer la loi proposée par Mme Taubira, loi pourtant édulcorée après les arbitrages du président Hollande, intervenus après la passe d’arme de l’été 2013 entre Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur et Mme Taubira.
Si la suppression des peines plancher figure dans la loi, on est loin d’une réforme pénale de fond qui aurait réellement permis de tourner la page de l’ère Sarkozy. Ceci dit, ne boudons pas notre satisfaction de voir supprimer les peines planchers pour les majeurs comme pour les mineurs.
La mesure phare de cette loi est la création d’une nouvelle peine, la contrainte pénale qui s’effectuera en dehors de la prison.
Contrairement à ce qu’affirment les opposants à la loi, le CLEJ *(Comité liberté égalité justice) dans un document intitulé « Combattre les idées reçues autour de la loi pénale! » dit la chose suivante : « En réalité, la contrainte pénale ne concernera pas tous les délinquants. Elle pourra être mise en œuvre en cas de délit seulement (par exemple : vol simple, conduite en état d’ivresse, défaut d’assurance, usage illicite de stupéfiants etc.). En revanche, elle ne concernera pas les personnes ayant commis un crime (viol, meurtre etc.).
La contrainte pénale ne remplacera pas la peine de prison. Rien n’obligera les juges à la prononcer : même dans les cas où elle serait applicable, ils pourront toujours choisir de prononcer une peine de prison si, après évaluation, la contrainte pénale ne s’avérait pas la sanction la plus adaptée à la situation et à la personnalité de l’auteur de l’infraction. »
Pour nous, il est dommage que la contrainte pénale qui comportera différentes obligations pour le condamné soit adossée à la prison. En effet, comme pour le sursis mise à l’épreuve, le juge pourra donc faire incarcérer le condamné qui ne respecterait pas les obligations qui lui ont été fixées.
Des députés veulent aller plus loin dans la réforme en proposant des amendements mais se heurtent à un gouvernement qui refuse de faire bouger le texte
Pourtant, ce dernier devrait avoir le courage de résister aux discours mensongers et populistes d’une droite sécuritaire qui réclame toujours plus d’enfermement et de prisons.
Si cette loi vise à favoriser les alternatives à l’incarcération, elle aurait pu être l’occasion de casser la spirale de l’enfermement, notamment en abrogeant bon nombre de dispositions mises en place sous l’ère Sarkozy, comme la peine de sûreté, la création de nouveaux délits visant à sanctionner les pauvres et surtout modifier de fond en comble l’échelle des peines.
Nous sommes aussi pour la suppression de la comparution immédiate, procédure expéditive qui ne garantit pas les droits d’une défense correcte, et qui condamne bien plus lourdement pour un même fait qu’un tribunal correctionnel. Ce sont en général les pauvres et les exclus qui pâtissent de cette justice-là !
Une réforme de la justice permettant l’instauration d’une justice donnant toute sa place aux alternatives à l’incarcération, la prison restant l’exception.
Anne Leclerc
* ACAT-LDH-SM-SAF-GENEPI-OUIP-CGT PJJ6 CGT pénit-SNEPAP/FSU-SNPES/PJJ/FSU