La crise de ces derniers jours chez Renault est par bien des points symbolique du système économique dans lequel nous vivons.
Le groupe automobile Renault est le quatrième mondial. Nationalisé en 45, il devient une société anonyme dans les années 90, mais aujourd’hui l’État n’en possède plus qu’une faible part. Récemment, pour des raisons conjoncturelles, il a toutefois porté sa participation de 15 % à 19,74 %. L’entreprise vend 2,7 millions de véhicules par an et malgré la crise ramasse quelques profits. En 2014, il a triplé ses bénéfices (1,998 milliard d’euros contre 695 millions en 2013) et souhaite faire mieux en 2015.
C’est dans cette situation et au lendemain du scandale Volkswagen, qu’éclate cette affaire Renault. Il fallait bien que cela sorte un jour, tout le monde s’en doutait. Le déclencheur sera donc les militants CGT du site de Lardy. C’est justement le centre technique de Renault qui assure toutes les activités de mise au point et de test (2 pistes d’essais et environ 250 bancs d’essai). Ce centre emploie 1 500 salariés et 500 sous-traitants à juste titre inquiets. Contradictoirement, Renault annonçait « un plan de 50 millions € afin de réduire les émissions de NOx de ses moteurs Diesel » tout en diminuant les effectifs en parallèle. Raisonnablement, ils pensaient ne pas atteindre ces objectifs sans embauche complémentaire. Dans son tract, l’organisation syndicale explique cela et s’étonne aussi, au détour d’un encadré, d’une descente de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sur le site. Elle s’interroge, d’autant plus que l’employeur n’a pour l’instant pas informé les salariés de Lardy sur le sujet. Les médias feront le reste et le cours de l’action baisse. Ces syndicalistes, non contents de déchirer les chemises des DRH, de retenir des patrons voyous en otage, sont maintenant accusés d’une « déroute boursière d’une ampleur exceptionnelle : une chute qui a atteint 20 % en quelques heures, effaçant ainsi l’équivalent de 4 milliards d’euros pour les actionnaires. »
L’État, parfait dans son rôle d’agent de service du patronat en général et du groupe Renault en particulier, va rassurer ces pauvres actionnaires. Depuis Berlin, Emmanuel Macron rappelle que la situation de Renault n’est « en aucun cas comparable » à celle de Volkswagen. Ségolène Royal intervient à son tour : « il n’y a pas de logiciel de fraude » ; toutefois les analyses ont montré un « dépassement de normes » pour le CO2 et l’oxyde d’azote sur des véhicules de la marque. En fait, il y a bien un hic : ces analyses faites nous apprennent que les résultats mesurés à ce jour ne sont pas bons !
Il est vrai que, pour l’instant, les tests effectués ne sont pas représentatifs de la réalité, puisqu’ils le sont en laboratoire, sur tapis roulant et à vitesse réduite ! Les normes imposent des émissions d’oxyde d’azote (NOx) ne dépassant pas 60 mg/km pour les véhicules à essence, et 80 mg/km pour les diesels. Aujourd’hui avec des mesures plus conformes à la réalité, on commence à s’apercevoir que les rejets seraient de 3 à 5 fois supérieurs. Un test commandité par une association environnementale montrait par exemple que l’Espace 1.6 dCi émettait en moyenne onze fois plus d’oxyde d’azote que la norme. Ces importants dépassements ont amené, ce 19 janvier, le groupe français à rappeler 15 000 véhicules pour les vérifier et les régler correctement. Pour le CO2, c’est la même histoire. Alors que la limite est de 130 grammes par kilomètre parcouru, une étude montrerait qu’ils seraient de 40 % supérieurs.
Oui cette histoire est assez représentative de notre monde. Tous les ingrédients sont là :
1. Un impérieux besoin de revoir nos modes de déplacement dans une logique de réduction de nos émissions (pollution et gaz à effet de serre). Manifestement les diminutions ne sont pas à l’ordre du jour des industriels qui se contentent, comme excuse, de fabriquer et vendre quelques voitures électriques. Rappelons les chiffres : pour 2015, 17 240 véhicules électriques tous constructeurs confondus ont été commercialisés en France, dont 5 970 Renault et 1 600 Nissan, soit 3 millièmes de la production annuelle de l’entreprise !
2. Tout cela se heurte à une logique de profit d’un secteur industriel accroché à ses privilèges et qui se paie des lobbyistes très actifs. Plutôt que « de bien faire », tout va être fait pour moins bien contrôler le travail. Le laxisme de la règlementation à mettre en place, d’ailleurs bien souvent élaborée par les constructeurs eux-mêmes, une fois approuvée par l’administration, permet des largesses ainsi qu’une prolixe communication sur l’image.
3. L’État, absent, reste cantonné au service de ces entreprises et au maintien de la paix sociale. Pas d’ambition réglementaire, mais tout ce qu’il faut pour atténuer les « contraintes » existantes, pour « libérer », rassurer les actionnaires et sécuriser leurs profits !
4. Des humains qui, au milieu de cela, essaient de survivre, de défendre leurs emplois et de sauver notre terre. Nous l’avons vu lors de la COP21, seuls les citoyens sont en capacité se mobiliser et prendre en charge la défense de notre planète. En tout cas, il n’est plus possible qu’une organisation syndicale locale soit tancée parce qu’elle relate une vérité que voulait taire la direction. Cela est d’un autre âge au moment où de plus en plus de voix s’élèvent pour donner une protection aux lanceurs d’alertes.
C’est intéressant qu’une organisation syndicale ait fait éclater l’abcès. Comme nous ne sommes pas au terme des révélations en la matière, il serait pertinent qu’une commission composée de syndicalistes, d’associations écologistes, dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire, soit chargée de faire un rapport sur les réalités des nuisances et soit source de propositions pour des protocoles de contrôle. L’indépendance de ce groupe serait garantie, pour qu’il ne soit pas un instrument de plus entre les mains des lobbys des constructeurs et de leurs actionnaires.
René Durand