Sébastien Leroux met le doigt sur un aspect du macronisme dont on parle peu ou pas : le mal fait à la démocratie française. Celle-ci est dans un état plus que moribond. Les sept ans de mandat d’Emmanuel Macron l’ont mise en danger en l’asséchant jusqu’à la vider de son contenu.
Sept ans de sécheresse démocratique et maintenant ?
Par Sébastien Leroux, géographe. Le 30 juin 2024
Le 7 juillet au soir, dans quelle situation la prochaine Assemblée Nationale trouvera-t-elle la démocratie française ? Dans un état plus que moribond… Les sept ans de mandat d’Emmanuel Macron l’ont mise en danger en l’asséchant systématiquement jusqu’à la vider de son contenu.
Le président ne l’appréhende que dans sa dimension procédurale en laissant systématiquement de côté ce que le philosophe Cornélius Castoriadis1https://www.wikiwand.com/fr/Cornelius_Castoriadis appelait la « démocratie comme régime », c’est-à-dire la démocratie dans sa dimension vivante.
Observons comment cette dernière a été affaiblie.
En dehors de la présidence et du gouvernement, toutes les institutions porteuses du politique ont été négligées. Les collectivités territoriales, les syndicats, les instances indépendantes (le défenseur des droits par exemple), etc., ont été considérées comme parts négligeables et rarement intégrées dans le cadre de discussions constructives visant à des compromis.
Parallèlement, les nombreuses formes de contre-pouvoirs ont été fragilisées. L’opposition massive en nombre et en durée à la réforme des retraites n’a pas fait bouger d’un iota le gouvernement. C’est toute la légitimité à exprimer une opposition en cours de mandat qui a été balayée d’un simple revers de la main.
Ensuite, l’expression démocratique au sein d’un espace public a été systématiquement criminalisée. La gestion par la répression du mouvement des gilets jaunes, la systématisation des nasses policières pendant les manifestations, l’augmentation des procédures bâillons à l’encontre des journalistes, la criminalisation de l’action syndicale, toutes ces actions visent à affaiblir les contre-pouvoirs.
Des simulacres de démocratie participative
Enfin, Emmanuel Macron a fait appel à des simulacres de démocratie participative. Cette dernière n’a été mobilisée que pour donner le change, singer la démocratie. Le grand débat national suite au mouvement des gilets jaunes n’a abouti à rien. Les propositions de la convention climat n’ont été que très partiellement reprises et celles sur la fin de vie éteintes par la dissolution. En mobilisant les outils de la démocratie participative pour ne rien en faire, le président les a systématiquement vidées de leur sens.
L’éthos démocratique, celui qui permet aux citoyennes et citoyens de s’exprimer, d’échanger et de délibérer autrement que par l’intermédiaire des élus du Parlement, ou le temps d’une élection, a donc souffert. Mais les procédures démocratiques elles-mêmes ont été fragilisées, car elles sont devenues caricaturales.
Contentons-nous de faire le point sur les deux dernières années.
Le président a, dès sa réélection, perdu sa majorité. Au lieu de basculer dans un parlementarisme de coalition, il a systématiquement dénigré les oppositions dans des procès en républicanisme : soit les députés sont républicains et votent les lois proposées par le Gouvernement, soit ils ne les votent pas et ne sont pas républicains.
L’effet a été totalement délétère et a participé tout à la fois au brouillage du sens des valeurs républicaines, à l’affaiblissement du front républicain et à l’expression de la colère des députés.
Une dévitalisation du Parlement
Les procédures du parlementarisme rationalisé (dont le 49.3.) lui ont permis de gouverner, mais au prix d’une dévitalisation du Parlement assez évidente.
La multiplication des réformes, leur passage en force et leur application extrêmement rapide sont permises par les procédures…
Mais ne pas laisser aux institutions la possibilité de mettre ces dernières en place correctement, ne pas laisser du temps aux fonctionnaires pour s’en emparer et ne pas mesurer leurs effets a largement participé à la fragilisation des services publics. La dernière réforme du CAPES qui confond vitesse et précipitation ou les multiples réformes du lycée professionnel en sont des exemples assez représentatifs.
Des procédures réduites au rôle d’outils
Enfin, la dissolution a fini par montrer la manière dont Emmanuel Macron considère les procédures démocratiques, de simples outils au service de son hubris.
Il a le droit de penser que « consulter » le chef du gouvernement, le président du Sénat ou la présidente de l’Assemblée nationale consiste à passer un coup de fil… Il le peut, c’est permis par la procédure.
Il a le droit de convoquer des élections dans un délai de trois semaines (campagne la plus courte de l’histoire de la 5ᵉ république) et de penser que trois semaines suffiront largement aux partis pour s’organiser, au débat public de s’opérer sereinement et aux électeurs et électrices de faire des choix éclairés. Il le peut, c’est permis par la procédure…
Ainsi, depuis sept ans, l’ensemble de la geste macronienne aura asséché systématiquement la démocratie. S’il n’a ici que poursuivi des tendances qui le précèdent, il a toutefois largement accéléré le processus.
À quelques jours d’une possible arrivée au pouvoir de l’extrême droite, Emmanuel Macron sera aussi comptable d’avoir préparé systématiquement l’affaiblissement de toutes les possibilités de s’y opposer.
Depuis 1944, la démocratie française n’a jamais paru aussi fragile.
Notes
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