Le mouvement indépendantiste est confronté au retour brutal du colonial. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a effectivement affirmé, à la suite du président Macron, que le processus de décolonisation est clos avec le 3ᵉ référendum et la question de l’indépendance écartée.

L’enjeu réel du congrès du FLNKS

Le mouvement indépendantiste dénie toute valeur à ce troisième référendum appelé à une date imposée en pleine crise du Covid. Il y a donc rupture et sortie de l’État français de sa position de neutralité instaurée par les accords Matignon et de Nouméa, en faveur des loyalistes. Si cette position est claire et partagée par le FLNKS, son congrès en janvier devrait le confirmer. Cependant, les congrès de l’Union Calédonienne (UC) et du Palika qui se sont tenus à la mi-novembre ont fait apparaître une divergence dans le cadre d’un projet commun sur la marche à suivre et devrait être l’enjeu réel de ce congrès.

Une divergence
Réunion du FLNKS

Réunion du FLNKS

L’explicitation de cette divergence est que l’UC affirme avec Daniel Goa que la souveraineté est non négociable et que des réunions bilatérales n’auront lieu que si l’État engage des discussions sur une entière souveraineté et un calendrier afférent. Il ne participera à aucune réunion de travail sur l’avenir « dont les sujets relèvent des compétences transférées irréversiblement, car constitutionnalisées ». Le refuser « aurait des conséquences irréversibles sur la paix dans le pays ». Le Palika défend l’objectif d’accession à une indépendance en partenariat, s’inquiétant des propos de la province Sud, dominée par les loyalistes, d’un « département » d’Outre-mer et d’ouverture du corps électoral en rupture des accords de Nouméa de 1998. Cette position « signifierait la fin de la reconnaissance de l’identité kanak et son droit à l’autodétermination concédé aux autres calédoniens… une politique assimilationniste qui met fin à une identité propre du pays ».

Des négociations

Le projet d’indépendance association reste donc sur la table de la négociation et sera l’unique objet de rencontres bilatérales, avec cependant une double proposition : ouvrir, avec l’État français, une période de transition jusqu’en 2024 pour arriver à la pleine souveraineté (date de fin constitutionnelle des accords de Nouméa). Au-delà de cette période, un nouveau référendum d’autodétermination serait proposé, « le travail de préparation prendra du temps, un délai raisonnable de cinq ans peut être envisagé… Il conviendra ensuite de déterminer si cette association avec la France est définitive, temporaire ou encore renouvelable ».

Des divergences stratégiques

Il ne semble pas y avoir de désaccord sur l’objectif commun d’affirmation de la souveraineté et sur le refus d’un « référendum de projet » annoncé de façon unilatérale par l’État français. Ce dernier a dissous le comité des signataires pour promouvoir un comité des partenaires, et refuse le retour à un corps électoral élargi lors des élections provinciales à venir. La divergence porte essentiellement sur la stratégie de négociation avec l’État français. Pour l’UC, c’est l’affirmation, dès maintenant, de la tenue d’un réel 3ᵉ référendum avant 2024 comme seul objet à discuter et non négociable, car son refus par l’État français serait un retour à la situation institutionnelle d’avant les accords et un risque pour la paix. Pour le Palika, l’affirmation des transferts de souveraineté à accélérer laisse ouverte la négociation avec l’État français sur l’accès à l’indépendance dans une temporalité plus longue. C’est ce que le prochain congrès du FLNKS devra trancher, avec en particulier le rôle du RDO océanien et de l’UPM mélanésien, dont l’action pour l’indépendance a le soutien des autres îles du pacifique sud et de la Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Des incertitudes
Usine de Koniambo

Usine de Koniambo

Un des éléments sous-jacents, à évaluer à mon sens, est la stratégie du Palika. Ce parti qui dirige la province Nord – à la suite des accords de Matignon et de Nouméa inscrits dans la Constitution française – pense la négociation en termes économiques. Il s’attache à protéger et développer l’usine de nickel de Koniambo, avec l’appui de l’État français. De même, Jacques Lalié qui préside les Loyautés, bien que membre de l’UC, pense industrie touristique. Si l’UC tient la présidence du Congrès, sa position institutionnelle reste incertaine en termes de négociation, d’autant que l’Éveil océanien qui l’a soutenu se replie sur l’indépendance, mais pas maintenant. Le rôle du Sénat coutumier qui revendique plus de pouvoir régalien reste également un facteur d’affirmation, avec le Palika, de la seule identité kanak comme base de toute négociation ouverte, là où l’UC associe les victimes de l’histoire que sont tous les natifs comme acteurs d’une indépendance. L’UC appelle à une pleine souveraineté en 2025 et annonce instaurer un réseau dans le pays pour réunir les calédoniens autour du projet d’indépendance, tout en se référant au soutien de l’ONU.

Attentisme et inquiétude

Dans les échanges sur place, j’ai constaté un certain attentisme et l’inquiétude dans les populations, car il s’agit bien de la paix qui est en jeu. Le mouvement syndical, en particulier l’USTKE et les luttes qu’il mène, affirme avec le Parti travailliste une indépendance de conquêtes sociales, mais sera-t-il déterminant comme mobilisation décisive ? Les deux premiers référendums et le bon résultat croissant du vote indépendantiste ont conduit la présidence Macron à mettre fin aux accords de décolonisation vers un colonialisme économique indo-pacifique (nickel + espace maritime et ses richesses).

De profondes transformations
Centre culturel Tjibaou

Centre culturel Tjibaou

Case traditionnelle Kanak

Case traditionnelle Kanak

Un triple phénomène a cependant transformé la situation de la colonisation de peuplement en Nouvelle-Calédonie. Premièrement, en 5 ans, 18 000 personnes – européen·nes non natif·ves, mais installé·es de longue date (fonctionnaires, enseignant·es, travailleurs et travailleuses de la santé) – sont parti·es. Ce phénomène a entraîné une baisse de la population électorale. Deuxièmement, la crise sociale issue de la période Covid, la crise de l’emploi dans l’industrie du nickel et la baisse du niveau de vie provoquée par les coûts du fret et par une bourgeoisie qui contrôle l’import-export. Troisièmement, l’ampleur, dans la crise sociale, d’une jeunesse kanak en rupture de scolarisation et éloignée de l’emploi. S’y ajoute le fait, pour une partie de la jeunesse kanak scolarisée, que la question de l’avenir, la place et l’écologie et l’interconnaissance culturelle rejoint celle des jeunes européen·nes né·es en Nouvelle-Calédonie. Celles et ceux-là tendent à penser projet commun en tant que calédonien·nes et plutôt que de rester dans leurs appartenances ethniques respectives.

 
 
Une suite à écrire

Ce sont donc de nouvelles générations qui vont potentiellement écrire la suite indépendantiste en tant que calédonien·nes d’origines multiples.

Ce commentaire n’indique pas une prise de position d’ENSEMBLE! sur ces divergences dans le mouvement indépendantiste, mais tente d’éclairer la situation, dans le soutien total à une réelle lutte d’indépendance qui mette fin au colonialisme en Kanaky.

Jean-Pierre Martin