Après avoir accordé à la FNSEA 600 millions de réduction de charges pour calmer les producteurs de porc et de lait en difficulté de trésorerie, le gouvernement va-t-il accorder les trois milliards pour le plan pluriannuel demandé par la même FNSEA et par l’agrobusiness, demande appuyée aujourd’hui par plus de mille tracteurs dans Paris ? Ce serait poursuivre sur la voie qui a conduit à la crise actuelle.

Cette crise de l’élevage, porcin et laitier pour l’essentiel, provient du cumul de deux causes dont sont responsables les politiques agricoles de la France et de l’UE, de plus en plus libérales au service des firmes et d’une partie des exploitations, les plus grandes et les plus artificialisés. La cause directe se situe dans la chute des cours pour les deux productions, elle-même aggravée en élevage porcin par la hausse des coûts de l’alimentation achetée qui représentent jusqu’à 60 % du coût total dans la majorité des élevages en hors sol. Cette baisse des prix s’inscrit dans une instabilité des marchés et des prix dans un contexte de plus en plus libéralisé et très concurrentiel au sein de l’UE, en raison, pour une part, des différences dans les règles sociales et fiscale entre l’Allemagne et la France. Habituelle en porc, cette évolution a été fortement aggravée en lait du fait de la récente suppression des quotas qui a tété annoncée par tous les responsables français (Fédération des producteurs laitiers, membre de la FNSEA) et européens comme une nouvelle chance pour les producteurs qui pourraient ainsi « faire ce qu’ils veulent ». Beaucoup d’entre eux ont suivi ce message : investissements (robot de traite, fusion d’exploitations, …) artificialisation supplémentaire de l’alimentation des troupeaux. Ils sont donc très sensibles à la baisse des prix (-14 % en France et -21 % en Allemagne entre mai 2014 et mai 2015) en raison de l’endettement et de la hausse de leur coût unitaire.
Ainsi, ce sont les éleveurs « industriels » de porcs, souvent endettés et les producteurs de lait en phase d’investissement qui ont à supporter les choix et les incitations des multinationales et des politiques, alors qu’ils croyaient ainsi améliorer leur situation, éventuellement au détriment des voisins. Les producteurs laitiers, moyens et petits, sont aussi très sensibles à court terme à cette baisse des prix et de leur revenu. De plus, ils ont à craindre que le développement des élevages de plus grande taille, à la peine pour certains actuellement, constitue à terme une concurrence encore plus redoutable, une fois cette crise passée.

La FNSEA et Xavier Belin son président, à la fois acteur et bénéficiaire de la crise en tant que président d’Avril-ex Sofiproteol, donc juge et partie, ont été largement débordés par un mouvement basiste aux formes d’action discutables (épandage de fumier, …) mais comme d’habitude non pénalisées. La proposition de blocage de Paris le 3 correspond à une tentative de reprise en mains du mouvement. Cette reprise pourrait s’avérer difficile tant les propositions de la FNSEA, au-delà du report des charges et de l’allégement des contraintes environnementales, toujours appréciés chez les productivistes, visent à favoriser les grandes fermes et accroitre l’automatisation des abattoirs. Elles poursuivent dans la voie productiviste pour accroître la compétitivité face à l’accroissement de la concurrence, alors que l’agriculture et l’agroalimentaire français ont d’autres voies possibles et nécessaires.
Le gouvernement a accordé quelques centaines de millions pour alléger les charges ce qui est surtout favorable aux producteurs les plus productivistes tout en pénalisant la protection sociale. Il souhaite l’arrêt de blocus vis-à-vis de la Russie, le développement de l’étiquetage pour valoriser l’origine France et le stockage, timide revendication à l’échelle Européenne ! Dans le même temps, la France qui a adopté la suppression des quotas … négocie TAFTA après avoir validé le mandat de l’UE.

Comme l’a revendiqué la Confédération paysanne dans son communiqué du 23 juillet; il y a urgence à harmoniser [vers le haut] les normes fiscales et sociales dont les disparités entre pays sont lourdes de conséquences dans des marchés en excédent au sein d’un espace de marché unique de plus en plus concurrentiel. A moyen terme, l’Europe doit rétablir des régulations, notamment pour le secteur laitier qui ne peut supporter une telle instabilité des prix et cette montée de l’ouverture à la concurrence internationale. Un prochain rapport soumis au parlement européen devrait, sous la houlette d’un député très libéral, James Nicholson, plaider pour davantage de régulation !
Si beaucoup de changements attendus relèvent effectivement de l’UE, il est également nécessaire, d’une part, d’arrêter la course à la concentration et à l’artificialisation des élevages laitiers et porcins, tout en favorisant les « systèmes autonomes et économes » beaucoup plus satisfaisants à tous points de vue : social, écologique alimentaire et territorial. Il s’agit là d’une bataille qui ne concerne pas que les producteurs agricoles mais l’ensemble de la société pour entamer une réelle transition écologique en matière agricole et alimentaire, qui passe notamment par la réduction du pouvoir des grandes entreprises d’amont et d’aval. Il est possible d’engager une telle évolution en France et en Europe : sortir de TAFTA et aller vers la souveraineté alimentaire.

Pour certains, cette crise est celle de l’agrobusiness car les exploitations productivistes seraient les plus touchées. Cela reste à voir dans les prochains mois. Ce qui est sûr c’est que les revendications de Xavier Beulin vont dans le sens du renforcement de cet agrobusiness. Craignons qu’elles soient les seules satisfaites si on en croit les récentes déclarations présidentielles, à l’approche de la manifestation d’aujourd’hui.

Ensemble! apporte son soutien aux actions de la Confédération paysanne et dénonce le comportement du gouvernement à son égard, comme par exemple, dans la nuit du 1 au 2, où les 70 militants qui occupaient pacifiquement la DRAAF à Lyon, en attendant de contacter le ministre, ont été délogés manu militari par la police. Plus largement Ensemble! Dénonce la répression syndicale à l’endroit de la Confédération paysanne, comme à la ferme des 1000 vaches et ailleurs, alors que la FNSEA bénéficie d’une totale impunité pour ses actions beaucoup plus violentes.

Michel Buisson