L’actualité des mobilisations de soutien aux migrants-réfugiés est devenue un enjeu politique central. Elle nécessite une prise de position internationaliste du notre mouvement Ensemble. En effet, l’Union Européenne, bien que ne recevant que 10 % de ces flux migratoire, multiplie les politiques de renvoi et des procédures d’accueil indignes. Son traitement d’accueil des populations qui fuient les guerres et les catastrophes de toute nature, entretenues par les politiques néolibérales mondialisées, est celui du traitement militarisé de ses frontières, la multiplication des murs, des centres de transit et de rétention, ce tri absurde entre réfugiés et migrants économiques, entre pays sûrs ou pas, dont l’atteinte majeure au droit d’asile solidaire des migrants/réfugiés se prolonge par une répression contre leurs soutiens. Ce texte vise à engager le débat sur l’analyse de cette situation et élaborer ce que doit être notre engagement militant, alors même que les mouvements associatifs ou humanitaires prennent des positions unitaires combatives dénonçant ces politiques.
Je mets donc en débat le texte suivant.
Jean-Pierre Martin

Engagement internationaliste et accueil des migrants-réfugiés
L’actualité mondiale de 20 millions de migrants-réfugiés, dont 2,5 millions aux portes de l’Union Européenne, est celle d’une « crise majeure des politiques d’accueil » qui laisse des dizaines de milliers de morts sur les routes, les déserts et les mers. Cet état des lieux, loin de se réduire à un problème géopolitique de régulation de l’accueil entre Etats dans de nouvelles frontières communes, nécessite de l’analyser comme produit de la généralisation de l’économie néolibérale mondialisée, au sein et hors de l’UE, de guerres régionales permanentes et d’une crise écologique globale qui en sont issues.
Ce cours de libre concurrence et d’austérité alimente une montée des populismes nationaux qui sont tous des replis racistes et sécuritaires. Elle pose clairement la question d’une orientation internationaliste qui, aujourd’hui comme hier avec l’émigration de travail, intègre la défense de ces migrants-réfugiés dans les luttes anticapitalistes qui subvertissent toutes les frontières. En France elle est étroitement liée aux politiques de « décolonisation »  dont la réalisation émancipatrice reste largement à faire, tant dans les pays ex-colonisés que dans la subjectivité politique « nationale ». Le référendum de 2018 en Nouvelle-Calédonie en est l’enjeu. L’ « Humain d’abord » ne peut donc être qu’une lutte de « citoyens du monde ».

Quelques éléments d’analyse :
1° La caractéristique centrale des politiques capitalistes néolibérales mondialisées, dont  l’Union Européenne est un acteur majeur, est l’extension du mode de production capitaliste et du marché de libre concurrence à l’ensemble de la planète. Sa généralisation produit des contradictions explosives dans le développement inégal et combiné des politiques nationales de chaque pays, la libre circulation des marchandises, des capitaux et des hommes déterminée par les lois du marché en est une mise en concurrence de tous contre tous, où chacun tente d’accéder à une vie acceptable par sa mobilité. Il en résulte un marché mondial de la main d’œuvre avec de multiples délocalisations des entreprises vers des pays où les profits se réalisent sur une baisse du coût de la force de travail. Chaque année, cette situation met en migration 65 millions de personnes dans le monde, dont 20 millions sont sur les chemins d’un l’exil de survie (migrants réfugiés ou économiques).

2° La multiplication de guerres locales et régionales s’alimente de cette domination impérialiste des puissances de ce système financier mondialisé (USA, UE, Chine, Russie), dont la conquête de nouveaux marchés et d’exploitation de richesses minières, pétrolières, agricoles, ventes d’armements, qui instrumentalisent les conflits au sein et entre régimes dictatoriaux, de conflits ethniques, de crises écologiques majeures, de développement de zones de misère et de précarisation généralisée des populations, représente une véritable mise sous tutelle politique du Monde. Chacune de ces causes d’exil entraine des flux de réfugiés à la recherche d’un asile protecteur. L’acquis de la Convention de Genève de 1951 ne faisait pas de différence entre réfugiés politiques, déplacés et migrants économiques, entre pays sûrs ou pas.

3° Or, à l’opposé, les politiques de l’Union Européennes, bien que n’étant le but d’exil que de 2,5 millions de migrants, dévoient ces acquis en mettant en œuvre ces différenciations. Comme acteur majeur de domination et de libre concurrence dans un marché européen, elle s’est instituée par de nouvelles frontières commune qui constituent l’espace Schengen de libre circulation des marchandises et des personnes. Pour ceux qui viennent d’ailleurs elle a mis en place une régulation par les règlements dits de Dublin (actuellement Dublin III) qui ne reconnaissent comme réfugiés que ceux qui « font la preuve » de persécutions politiques et sont issus de pays dits « pas sûrs », dont le traitement est déplacé impérativement au premier pays d’entrée dans l’UE. L’accueil de migrations économiques est laissé de façon subsidiaire à chaque pays selon les besoins du marché, ces migrants qui ne sont donc plus reconnus comme réfugiés étant une variable du marché de l’emploi. Il en résulte une politique de tri et de renvoi à géométrie variable selon les besoins géopolitiques, où la notion absurde de pays sûr priorisent des situations de guerre et de répression d’Etat sur d’autres, et les besoins du marché dans chaque pays européen, les deux instituant une violence de plus aux différents type de migrants réduits cyniquement à leur utilité politique et économique et non aux besoins de sujets humains. Cette gestion institutionnelle de type contractuel hors démocratie, est en réalité une mise sous tutelle européenne sur tout gouvernement élu démocratiquement, qui leur impose la domination des politiques néolibérales des oligarchies dominantes avec ses politiques d’austérité et de précarisation généralisée, mais aussi pour les pays frontière cette régulation des migrations de réfugiés politiques.
La crise actuelle de l’accueil des migrants et des réfugiés fait apparaître une crise majeure de son projet de domination politique sur les peuples et l’essor de revendications xénophobes nationalistes alimentées par les effets quotidiens d’austérité et de précarisation généralisés. Sa conséquence est une évolution des procédures Dublin vers un Dublin IV, qui accompagne :
– un traitement policier accru des migrations au sein de chaque pays européen, avec la multiplication des centres de transit et de rétention, de renvoi systématique des « dublinés » vers le premier pays d’entrée de l’UE ou le pays d’origine, véritable « déportation » où le seul échappatoire pour le migrant ne peut être que l’errance de camps en camps,
– une militarisation accrue du dispositif de surveillance Frontex, d’accords avec des régimes autoritaires comme celui de la Turquie d’Erdogan et de pays d’Afrique pour déplacer de façon contractuelle, le triage de l’entrée des réfugiés.
Cet état des lieux européen relève de la responsabilité politique de nos gouvernements sur les causes de ce cours destructeur de toute reconnaissance du migrant comme sujet exilé. Il est un véritable coup de Trafalgar contre les droits humains et une atteinte majeure au droit d’asile solidaire des migrants/réfugiés. Il fait apparaître nombre de complicités avec les mafias de « passeurs » qui participent des effrois subis par les migrants.  Il est le credo de la nouvelle Présidence Macron qui tente de le promouvoir comme outil de défense et de gestion économique communs.

4° Ce cours répressif s’accompagnent d’atteintes fondamentales aux institutions démocratiques comme l’a démontré la mise sous tutelle de la Grèce comme laboratoire avancé tant dans la gestion du pays et de l’accueil des migrants que dans la négation des élections démocratiques. Elle est ainsi devenue le lieu où s’expérimente une nouvelle police des frontières, qui s’accompagne de multiples murs et de camps de rétention (hotspots), transformant le demandeur d’asile en sujet migrant errant à travers l’Europe, et souvent en « clandestin » futur « sans-papiers ».
Il en résulte en France pour les exilés un parcours du combattant, où tout est fait pour différer la demande d’asile tout en mettant en place des politiques dites « d’émigration économique choisie ». une répression accrue des migrants en attente de demande d’asile par la reprise systématique d’évacuations brutales vers des lieux d’hébergements peu formés à l’accueil dont la mise en place des CAO ou de Centres de transit comme celui de La Chapelle à Paris qui ne sont qu’un hébergement de courte durée dans une perspective d’orientation et d’éloignement des « dublinés » (90% des présents) en attendant le retour vers le pays d’entrée de l’UE où la mise en centre de rétention (CRA). Les évacuations de « campements de fortune » en « campement de fortune », les harcèlements policiers (avec destructions de leurs maigres « biens » et parfois de leurs papiers !) en est l’actualité quotidienne. Tous et toutes subissent les mêmes expulsions sans solution d’hébergement, sauf provisoires (quelques jours d’hôtel qui coûtent cher). Ce cours destructeur du sujet migrant laisse à la rue tous ceux qui ne sont pas reçus par manque de place, qui sont déboutés du droit d’asile ou qui refusent l’orientation proposée, et au final se voient imposés une obligation à quitter le territoire (OQTF) par la police. Ils  restent donc en errance sans protection dans de nouveaux camps spontanés entre autres dans Paris ou en proche-banlieue.
Le processus répressif vise fondamentalement à transformer le migrant réfugié politique en migrant économique à renvoyer dans son pays d’origine, ce qui se traduit par la multiplication des expulsions indignes vers le Soudan, l’Afghanistan, l’Irak.
Cet ensemble qui bafoue tous les droits humains fondamentaux, est présenté par  les gouvernements successifs comme une nécessité liée au contexte d’actions terroristes de l’islamisme radical de Daech et l’instauration d’un Etat d’urgence permanent. Chacun peut constater que ce prétexte tend à masquer le fait reconnu que les terroristes des derniers attentats sont un produit de la précarisation sociale et que l’état d’urgence a surtout permis la répression des « zadistes », des militants écologiques et des manifestants contre la Loi Travail, et s’étend maintenant aux soutiens des migrants, dont la « criminalisation » comme « délinquants solidaires ».
Cet ensemble alimente le racisme de couches de la population laissées pour compte, et la montée des populismes « nationalitaires », produits des politiques d’austérité. Il est un cours politique sécuritaire qui s’aggrave au quotidien, la nouvelle Présidence Macron et son ministre de l’intérieur la prolongeant avec le projet d’intégrer les contenus de l’état d’urgence dans la Constitution,  grand écart hypocrite entre la soumission à la tutelle de l’UE et la réinstallation d’une police des frontières. Migrants et populations sont donc appelés à d’habituer au contrôle permanent et policier, ce qui est le pendant du libéralisme.

Quelles orientations et quelles mobilisations ?
La défense internationaliste des migrants et de leurs soutiens rencontre donc la lutte contre l’état d’urgence permanent et contre le racisme. N’enterrez pas nos libertés ! Etant d’ores et déjà des obstacles mis à la liberté de manifester et d’être solidaire. Elle pose clairement une orientation de « décoloniser les représentations ».

1° Dans toutes les mobilisations en cours et qui s’annoncent, défendre un droit d’asile pour les migrants de toute nature est celui d’un accueil digne, humain, respectueux des droits  fondamentaux, dont la libre circulation des personnes et l’inconditionnalité sont l’objet de notre internationalisme. Il doit intégrer celui des femmes qui fuient les violences dont elles sont victimes dans leurs sociétés d’origine puis subissent les violences des passeurs lors de la migration, aux homosexuels qui fuient des pays où la loi les condamne à mort, à tous ceux qui sont dans l’espérance d’un monde meilleur que celui de la précarité issue des  politiques néolibérales mondialisées.
. Ce point nécessite la sortie des procédures européennes dites de Dublin et une véritable politique d’accueil qui rejoint la régularisation de tous les sans-papiers.

2° Elle est le refus de toute criminalisation de ceux qui portent aide et accueil aux  réfugiés/migrants. Contre la désinformation, le racisme et la xénophobie, aux côtés des multiples collectifs locaux de solidarité avec les migrants, il est prioritaire de lutter pour une autre  politique migratoire comme le demandent des centaines d’associations, face au  programme d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile actuels (PRADHA) et celui des jeunes mineurs et jeunes majeurs isolés.

3° Elle s’inscrit dans toutes les alternatives sociales solidaires d’accueil des migrants-réfugiés. Si la dimension humanitaire est souvent présente dans ces actions, il apparait que même l’humanitaire est source de tensions politiques au sein de ces ONG, entre être opérateurs des Etats et le refus de leurs politiques de non-accueil et de renvoi. Notre début d’expérience dans l’intervention sur les divers camps fait apparaître que l’action en commun nécessite une intervention à construire qui combine des mobilisations immédiates AVEC les migrants (être présent et empêcher les expulsions, aide concrète en termes de nourriture, d’hébergements, d’accès aux soins, de transport, de soutiens juridiques et de cours de français) et d’un rassemblement de structures de temporalité politique longue. L’action immédiate a été celle du soutien à Calais, à Paris, dans la vallée de la Roya qui a mis en œuvre avec les migrants l’organisation d’assemblées générales quotidiennes qui structurent ce qui s’y passe. Une organisation collective de l’espace et du temps s’appuie sur les besoins pratiques vitaux des migrants : une circulation fluide entre les tentes, la mise en place de toilettes et douches, l’installation de poubelles régulièrement vidées, ont mobilisé les soutiens solidaires avec de nombreuses démarches auprès de la mairie de Paris. Les repas portés par des associations bénévoles ont nécessité sa planification. Ces besoins pratiques de vie quotidienne accompagnent l’exigence du passage des autorités pour enregistrer les demandes d’asile,  la mise en place de cours de français quotidiens et des moments festifs. Cet ensemble qui structure symboliquement l’accueil mobilise des manifestations en commun dont le but revendiqué par les migrants est une évacuation humaine et non policière vers des lieux dignes d’hébergement et de soins. La souffrance psychologique et traumatique de ces migrants a commencé à être traitée par cette action collective qui refuse d’être un violence de plus. Le « maraudes » médicales et psy avec des interprètes ont institué des des espace de parole peu formalisé sur les douleurs physiques et psychologiques d’une histoire à reconnaître. L’appel au médecin est souvent mobilisé par les autres migrants où les intervenants solidaires. Ce « prendre soin » qui rétablit une possible confiance et l’engagement d’un suivi dans le temps vers un lieu de soin thérapeutique possible en dehors du camp, est « prendre le temps » d’un réel accueil solidaire.
C’est ce mouvement, ainsi que celui de la solidarité de populations avec les migrants réorientés vers des centres d’hébergement  où à la rue, se confronte aujourd’hui aux évacuations policières brutales et aux hébergements sans humanité. Une mobilisation politique prioritaire est donc de se rassembler pour s’opposer tous les jours à l’ampleur de la crise humanitaire qui en découle, à l’appareil répressif d’Etat, à ces lieux d’hébergements dont la légitimité légale de « mise à l’abri » est dévoyé vers un tri de renvoi géré par le ministère de l’Intérieur d’assignation à résidence, de mise en rétention.
La portée politique de mouvement solidaire est de créer un droit commun inconditionnel alternatif, dont la dimension juridique s’appuie sur une protection internationale reconnue dont l’application nécessite une régularisation dans des droits de l’Homme fondamentaux (demande d’asile dès l’arrivée, écoute d’accueil inconditionnel, soins et accompagnement social, un logement digne intégré au tissu social et non internement dans des camps, traitement soit rapide  de la demande).

4° Il s’agit donc bien, dans chaque pays européen ou autre, de le combattre concrètement par une action solidaire dont l’axe alternatif suppose  une lutte qui repose sur un projet politique de solidarité commune. Il est aujourd’hui l’enjeu d’actions multiples allant de tous les types d’hébergements solidaires, d’actions d’occupations, de manifestations, de résistance, porté par des citoyens, des associations, des syndicats et d’organisations politiques, qui avec la LDH luttent pour un droit de regard et d’action sur les camps spontanés, de transit. Cette action de droits de l’homme est partie prenante des besoins concrets des populations du pays d’accueil est une lutte de solidarité de la population qui mobilise nombre de communes qui demandent à accueillir ces migrants contre les actions de l’extrême droite raciste et des politiques de la peur, dont l’ampleur donne lieu actuellement à une cartographie explicite (Sursaut Citoyen en dénombre actuellement 1000).
Ensemble a donc une responsabilité politique internationaliste particulière à penser et agir sa  présence dans ce mouvement. Elle suppose une réflexion politique sur la question des exilés et ne peut être séparée de la défense de tous les sans-papiers et de tous les précaires, mais aussi des luttes contre le racisme. La difficulté politique de coordonner et rassembler nécessite d’avoir des initiatives vers tous les mouvements de solidarité pour faire apparaître un Front Commun politique qui aille au-delà du seul soutien aux initiatives des associations. Une telle initiative doit clairement intégrer  ce qui fait action directe sans s’enfermer dans leurs stratégies « autonomes » centrées sur la confrontation avec les forces policières. La proposition d’un évènement qui pose cette alternative est donc à élaborer, dans le dessein commun d’une véritable politique d’accueil qui repose sur la liberté de circulation et d’installation pour ceux qui la demande, c’est-à-dire d’une ouverture démocratique des frontières de et dans la société.
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Texte Annexe
Les souffrances traumatiques de l’exil.
L’exil est d’abord quitter une société d’appartenance vers une autre dont il faut acquérir les codes sociaux et culturels, ce qui suppose un véritable travail psychique d’acculturation. Il est la situation de tous les migrants et réfugiés de répressions politiques, de guerres et de situations de misère. Cet entre-deux est l’enjeu d’un accueil qui repose sur la solidarité humaine, dont le défaut entraine une souffrance psychique issue de ce trauma de plus. Pour le saisir, l’exemple de l’interview d’un migrant africain parle du départ pour échapper à la mort dans son propre pays et prendre le risque de perdre sa vie pour continuer à vivre. Sa formule saisissante vient ici éclairer mon propos sur la souffrance traumatique de l’exil qui surgit dans l’itinéraire de la migration quand elle est signifiée comme non-accueil inconditionnel. Dans sa violence réapparaissent tous les traumas accumulés dans le pays d’origine, durant le voyage et le passage des frontières, et ce qui est signifié comme un renvoi en Europe, et particulièrement en France comme rupture symbolique de sa représentation de patrie des droits de l’homme. Elle est la violence de plus physique, matérielle et psychique qui fait apparaître ce que l’on appelle internationalement le psycho-trauma où le stress post-traumatique à la suite des travaux sur la névrose de guerre et ce que Sigmund Freud a nommé névrose traumatique comme confrontation de l’homme à sa propre mort. Elle se traduit dans des langues et des identités socioculturelles ce qui vise à son universalité anthropologique.
Pour le migrant exilé elle est donc accumulation de violences initiales subies dans son propre pays, quelle qu’en soit la nature, des violences subies pendant le voyage, répétition qui rencontre le non-accueil comme une violence de plus. Cette rencontre avec la mort se réactualise à chaque fois brutalement. Tant que le  voyage reste un but possible vivant elle est refoulée, mais l’impasse de l’accueil et de ses suites va la refaire surgir de façon différée comme souffrance traumatique (psycho-trauma),  effet de sidération émotionnelle et psychique d’un évènement imprévisible impensable et amnésie des contenus de qui s’est passé pour le sujet exilé. La névrose traumatique le fait réapparaître de façon répétitive dans les rêves sous formes de cauchemars, donc troubles du sommeil, vécus dépressifs et sentiment de danger qui se poursuit), c’est-à-dire un évènement non symbolisable, indicible). Dans cette atteinte à l’intégrité du corps, le sujet n’est plus en état de se concentrer sur l’organisation de sa vie quotidienne, ce qui aggrave les sentiments de honte et de culpabilité. La souffrance se formule alors par une plainte corporelle, un corps qui parle la souffrance. Ce clivage isole absolument le sujet dans son appartenance symbolique à un groupe et de tout avenir. Il perd confiance en ses liens d’appartenance au groupe d’origine (langue), réactualise les conflits intimes et familiaux dans des vécus de persécution et de menace permanente. L’abattement, l’impossibilité d’agir font apparaître des vécus dépressifs – être victime -, mais aussi réactions de colère, voire de passages à l’acte violents qui aggravent la mise à distance des autres. La souffrance psychologique devient crise du sujet avec ses suicides, ses actes de désespoir, qui, dans ce contexte, confronte les médecins et les psychiatres à les soigner dans ce déni mortifère de leurs besoins pratiques du quotidienL’accès aux soins somatiques et psychiques est donc une nécessité immédiate et de temps long, souvent mobilisé par les autres migrants où les intervenants solidaires qui tentent de le soutenir et font alors appel au médecin. Le rôle structurant des intervenants sur un camp est donc ce « prendre le temps d’un accueil alternatif » solidaire comme prendre soin du migrant par l’organisation collective de l’espace et de ses besoins pratiques souvent vitaux. Il se constitue en créant des espaces de parole qui rassemble et une présence instituée comme inconditionnelle qui est la qualité même de tout accueil. Le soin psycho-traumatique commence là, en prenant soin pour rétablir une possible confiance et l’engagement d’un suivi dans le temps, ce qui suppose un lieu de soin thérapeutique possible institué en dehors du camp. 1. Ce constat se retrouve aujourd’hui dans l’ensemble de l’Union européenne.
L’expérience du comité de soutien aux migrants des camps d’Austerlitz que ce qui précède est le premier traitement de la souffrance psychique. Dans ce mouvement solidaire la prise de parole en assemblée générale avec les migrants et la manifestation en commun pour une évacuation humaine vers des lieux dignes d’hébergement et de soins. Le rôle du psy en lien avec le bus de médecins du monde a été de marauder avec un(e) interprète en se présentant comme médecin psychiatre qui écoute et fais connaissance avec tel migrant ou groupe de migrants, espace de parole sur les douleurs physiques et psychologiques. Dans ce contexte le psychiatre est confronté à soigner des sujets à qui ne sont pas reconnu véritablement le droit d’asile, avec son cortège de mesures de rétention et des procédures de tri et de renvoi qui sont autant de dénis de leurs besoins pratiques du quotidien.
Cet entre-deux de l’exil est donc l’objet d’une protection par un accueil inconditionnel qui renvoie au droit commun de la population. Se faisant, il s’inscrit dans une protection internationale reconnue dont la réalisation juridique nécessite une régularisation statutaire légale comme inscription dans des droits fondamentaux (demande d’asile dès l’arrivée, accueil inconditionnel, lutte pour logement digne intégré au tissu social et non internement dans des camps, papiers de transition dès l’arrivée).
. Un symptôme majeur en est la souffrance psychologique de ces migrants-réfugiés exilés. En effet, si l’entre-deux de l’exil mobilise un véritable travail psychique d’acculturation, il suppose dans un premier temps un réel accueil de ceux qui fuient les répressions politiques, les guerres et les situations de misère.
Or, aujourd’hui, c’est bien ce non-accueil des politiques systématiques de renvoi qui fait apparaitre une violence traumatique de plus. L’exemple de l’interview d’un migrant africain permet de le saisir : il nous parle du départ pour échapper à la mort dans son propre pays et prendre le risque de perdre sa vie pour continuer à vivre2. Sa formule saisissante vient ici éclairer l’attente d’une espérance d’accueil de ces sujets qui s’ouvre à la reconnaissance de tous les traumas accumulés dans le pays d’origine, durant le voyage et le passage des frontières, et ceci particulièrement en France comme Patrie des droits de  l’homme. Ce refus d’accueil inconditionnel dans son humanité est le trauma de plus, une véritable rupture symbolique de sa représentation comme sujet humain par la mise en camps d’attente avant le renvoi. L’intégrité du sujet est déniée par cette violence de plus physique, matérielle et psychique. Il apparaît alors le psycho-trauma, référé aujourd’hui internationalement au stress post-traumatique, mais dont la véritable dimension subjective a été décrite par Sigmund Freud comme névrose traumatique dans la confrontation de l’homme à sa propre mort, à la suite de ses travaux sur la névrose de guerre. Cette rencontre avec l’effroi de la mort se réactualise à chaque fois brutalement3. Tant que le voyage reste un but vivant possible elle est refoulée, mais l’impasse de l’accueil et de ses suites la fait resurgir comme souffrance psycho-traumatique. Son expression différée d’amnésie de sidération émotionnelle et psychique de l’évènement imprévisible, impensable, est sa répétition  de troubles du sommeil traversé par les cauchemars et  les effets diurnes de flashs qui se conjuguent avec l’angoisse du lendemain et les vécus dépressifs de ne pouvoir se penser comme sujet actif, avec un sentiment permanent d’un danger qui se poursuit. Dans cette atteinte à l’intégrité du corps, de la pensée qui permet l’agir, le sujet n’est plus en état de se concentrer sur l’organisation de sa vie quotidienne, ce qui aggrave les sentiments de honte et de culpabilité. La souffrance se formule alors par une plainte corporelle, un corps qui parle la souffrance. Ce clivage isole absolument le sujet dans son appartenance symbolique à un groupe et de tout avenir. Il perd confiance en ses propres liens d’appartenance au groupe d’origine (langue), réactualise les conflits intimes et familiaux dans des vécus de persécution et de menace permanente. L’abattement, l’impossibilité d’agir font apparaître des vécus dépressifs – être victime -, mais aussi réactions de colère, voire de passages à l’acte violents qui aggravent la mise à distance des autres.
La rupture symbolique du non-accueil renvoie à cette accumulation de tous les évènements traumatiques antérieurs non symbolisables, indicibles. Il rend donc très aléatoire le récit de la demande d’asile traité quand il est traité comme « preuve » par la plupart des administrations avec son cortège de refus répétitifs, le sujet étant au final « débouté ». Elle rend aléatoire l’accès aux soins somatiques et psychiques qui est pourtant une nécessité immédiate et de temps long.