Cette fois, notre camarade Jean-François revient d’un séjour de plus de deux semaines à Taiwan. Il a pu avoir de nombreux échanges avec les habitant·es.  Il nous fait partager ses impressions de voyage.

Par Jean-François Le Dizès1Auteur de : globe-trotter, carnets de voyage d’un bourlingueur militant, 2007, Éditions L’Harmattan et Quand les voyages et le militantisme se rejoignent, 2017 (deux tomes). Le 13 mai 2024.

Taiwan : une vie tranquille, insouciante

En restant 16 jours dans l’île de Taiwan2Taïwan (île), grande comme la moitié de l’Irlande, je me suis beaucoup promené à pied en ville et dans les plaines en essayant de parler de politique avec les Taïwanais que je rencontrais. Par ailleurs, ceux-ci sont très serviables. Comme leurs voisins du continent, quand ils me voyaient embarrassés, nombre d’entre eux étaient désireux de m’aider.

Un refus d’incorporation à la Chine
Carte de Taiwan

Carte de Taiwan

Non reconnu par l’ONU, l’État taïwanais n’existe que depuis 1949.

Intégré à l’Empire chinois jusqu’à la guerre de 1894-1895 opposant la Chine au Japon, l’île de Taiwan a été cédée à celui-ci suite à la défaite de celle-là. Devenue une colonie japonaise, elle le restera jusqu’à la défaite militaire du pays du soleil levant en 1945.

En Chine, le revers subi par les « nationalistes » de Chang Kaï-chek face aux communistes a provoqué à la fin des années 1940 l’arrivée de 2 millions de Chinois3Livre « Taiwan, l’art de la paix » d’Alain S de Sacy, éditions Vuibert, 2006 à Taiwan, qui ne comptait alors que 6 millions d’habi-tants4Livre « Taiwan, l’art de la paix » d’Alain S de Sacy, éditions Vuibert, 2006. Tant l’arrivée de l’armée japonaise en 1895 que celle des réfugiés de 1947-1949 ont provoqué des troubles.

Séparée géographiquement de la Chine continentale, coupée politiquement depuis plus d’un siècle d’elle, Taiwan demeure malgré tout revendiquée par Pékin.

Mais l’ensemble des Taïwanais auxquels j’ai demandé leur avis m’ont dit être opposés à l’incorporation de leur pays à la Chine. Certes, j’ai pu constater des traits communs entre les Chinois et les Taïwanais, mais la géographie et surtout l’histoire contemporaine ont provoqué un abîme entre ces deux nations.

D’un autre côté, aucun de ces Taïwanais avec lequel j’ai parlé ne semblait s’inquiéter d’une intervention militaire chinoise à Taiwan.

Rocher souvenir © JF-LD

Rocher placé en souvenir d’un évènement, que l’on trouve aussi souvent en Chine © JF-LD

D’importants échanges économiques avec la Chine

Les liens économiques entre l’île et le continent se sont beaucoup resserrés depuis quelques décennies.

Par exemple, il y a autour d’un million de Taïwanais qui travaillent actuellement en Chine, notamment dans la région de Changhaï. Il ne s’agit pas de travailleurs subalternes, mais de chefs d’entreprises et de cadres.

J’ai rencontré deux de ces anciens travailleurs émigrés, la grande majorité de ces Taïwanais finissant par rentrer au pays. Quand j’ai demandé à un Taïwanais qui avait un frère faisant des affaires en Chine depuis 20 ans si celui-ci comptait demander la nationalité chinoise, la réponse fut négative, car la protection sociale, dit-il, est à l’heure actuelle nettement meilleure à Taiwan qu’en Chine. À Taiwan, elle est semblable à celle qu’on connaît en France.

Une occupation du terrain originale

Alors que le pays est très montagneux, c’est essentiellement dans les plaines du pourtour, qui ne constituent que 15% du territoire5Livre « Taiwan, l’art de la paix » d’Alain S de Sacy, éditions Vuibert, 2006, que se concentrent les 24 millions d’habitants de l’île6https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/2880. Ces plaines sont d’autant plus peuplées que la densité de population de Taiwan pris dans son ensemble est six fois celle de la France7https://www.wikiwand.com/fr/G%C3%A9ographie_de_Ta%C3%AFwan.

Logements collectifs © JF-LD

Logements collectifs © JF-LD

Aussi j’ai pu voir comment la principale plaine, celle de la côte occidentale, était aujourd’hui très urbanisée : elle est divisée en portions à peu près égales en rizières, petites usines et logements ; ces trois catégories s’enchevêtrant.

Les zones montagneuses sont essentiellement habitées par les aborigènes ou peuples premiers de l’île, qui ne constituent aujourd’hui que 2% de la population8https://www.wikiwand.com/fr/G%C3%A9ographie_de_Ta%C3%AFwan.

L’émancipation de la femme par la limitation des naissances

Durant toutes mes promenades, j’ai été frappé par le très faible nombre de logements en construction. Cela s’explique par la très forte baisse de la natalité qui, contrairement au voisin chinois, est advenue sous aucune contrainte légale. En effet, le taux de fécondité est passé de 6,1 en 1960 à 1,2 aujourd’hui9https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/2880.

Cette évolution n’a pu que contribuer à l’émancipation des femmes taïwanaises. D’aspect assez simples, j’ai trouvé que les Taïwanaises se comportaient à l’égale des hommes. J’ai par exemple remarqué que les chefs de train étaient très souvent des femmes. Au niveau politique, la Présidente de la République et 42% des députés sont des femmes10https://taiwaninfo.nat.gov.tw/news.php?unit=59&post=247980&unitname=Soci%C3%A9t%C3%A9&postname=Egalit%C3%A9-de-genre-%3A-Taiwan-prend-la-premi%C3%A8re-place-en-Asie-dans-l%E2%80%99indice-SIGI-de-l%E2%80%99OCDE.

Selon les critères du PNUD1, Taiwan est au 7e rang mondial en ce qui concerne les inégalités de genre11https://taiwaninfo.nat.gov.tw/news.php?unit=59&post=247980&unitname=Soci%C3%A9t%C3%A9&postname=Egalit%C3%A9-de-genre-%3A-Taiwan-prend-la-premi%C3%A8re-place-en-Asie-dans-l%E2%80%99indice-SIGI-de-l%E2%80%99OCDE.

Une consommation énergétique très carbonée

L’urbanisation poussée du pays a favorisé le développement des transports en commun, notamment ceux de la capitale, Taipei (7 millions d’habitants12https://www.wikiwand.com/fr/G%C3%A9ographie_de_Ta%C3%AFwan) et les chemins de fer. Bon marché et efficients, ils sont subventionnés par l’État.

Mais, curieusement, celui-ci subventionne aussi l’essence ; ce qui s’explique du fait que, pour se déplacer, les Taïwanais et les Taïwanaises utilisent aussi énormément le scooter.

Selon le militant de Greenpeace que j’ai rencontré, le pays en compte 15 millions. Que de parkings pour scooters ! Comme au Japon, les vélos doivent rouler sur les trottoirs et les automobiles ne peuvent être garées que dans un nombre restreint de rues.

En plus d’être largement utilisées dans les transports, les énergies fossiles, le sont également beaucoup dans la production électrique. En effet, 75% des émissions de gaz carbonique proviennent de la consommation électrique13Le quotidien  Taipei times. À noter que tous les bâtiments sont climatisés.

Temple bouddhiste © JF-LD

Temple bouddhiste © JF-LD

Alors que Taiwan a compté jusqu’à quatre centrales nucléaires, elle n’en a aujourd’hui plus qu’une, qui ne produit que 6% de la production électrique taïwanaise14Le quotidien Taipei times.

Pour des raisons de sécurité (Fukushima n’est pas loin) et de difficultés de stockage des déchets, le gouvernement, tenu par le Parti Démocrate Progressiste, a décidé de sortir du nucléaire. Par ailleurs, il a commencé à développer les éoliennes, notamment offshore, que j’ai pu voir ; il prévoit de développer aussi la géothermie.

Une qualité environnementale correcte

Selon le militant de Greenpeace, ce n’est qu’à proximité des industries chimiques du sud de l’île que la pollution de l’air pose problème, entre autres, aux oiseaux qui en meurent. Ces industries polluent aussi l’eau.

Au niveau quantitatif, malgré les pluies tropicales que reçoit Taiwan il arrive que l’eau vienne à manquer, notamment pour l’industrie électronique, très développée à Taiwan et très gourmande de ce liquide. Les réservoirs que j’ai pu voir sur tous les toits des bâtiments confirment un stress hydrique.

Comme les Japonais, les Taïwanais sont très soucieux de l’hygiène publique. Ce qui explique le fait qu’aucune poubelle n’apparaît dans les rues. Ce n’est que lorsque les camions-poubelles approchent en émettant une très forte musique que les gens sortent leurs ordures.

Campement de protestation © JF-LD

Campement de protestation © JF-LD

Les Taïwanais n’ayant jamais été de grands consommateurs de bois, les forêts des montagnes sont bien conservées.

Certaines d’entre elles qui font partie de parcs nationaux sont sources de conflits avec les Aborigènes qui y vivent. Cette minorité nationale a vu en effet son mode de vie bousculé. Comme me l’a dit une personne dont le job était de les soutenir, les Aborigènes ont perdu leurs terres, leur langue et leur culture.

C’est de leur fait que j’ai pu voir de mes propres yeux la seule contestation politique durant mon séjour. Il s’agissait d’une tente montée (voir ci-dessous) dans un parc du centre de Taipei, décorée d’inscriptions reprochant à la Présidente de la République de ne pas tenir ses engagements à leur égard.

Time is money

Les Taïwanais ne s’intéressent guère à la politique ; la société civile est restreinte.

Les très rares librairies que j’ai pu rencontrer étaient de petites tailles.

Le militant de Greenpeace n’a pu me citer qu’une seule manifestation durant ces quatre dernières années concernant l’environnement. Il s’agissait de 300 ou 400 personnes rassemblées pour la cause animale.

Les Taïwanais, comme leurs voisins du continent pensent d’abord à leur travail et à s’enrichir.

Le chômage est limité : son taux n’est que de 3%15Le quotidien Taipei times.

Galerie marchande © JF-LD

Galerie marchande © JF-LD

Si la semaine de travail est de 40 heures, comme au Japon les congés payés sont très minimes ; en début de carrière ils ne sont, m’a-t-on dit, que de quelques jours par an. Le dimanche à Taipei, la kyrielle de petites boutiques et surtout de petits restos sont tous ouverts. Dans tous ces libres-services, une grande confiance règne de la part du commerçant à l’égard du consommateur.

Au niveau éducatif, comme en Corée du Sud, les scolaires suivent jusqu’à tard dans la soirée des cours dans des écoles privées de bachotage afin de tenter de réussir les concours d’entrée dans les meilleures universités.

À l’université que j’ai visitée, les étudiants me sont apparus comme étant strictement centrés sur leurs études. Dans l’ensemble de la société les loisirs paraissent restreints.

L’utopie n’est pas de ce monde

Alors que les Taïwanais ont atteint un niveau de vie voisin de celui de la France, qui assure donc la satisfaction des besoins essentiels, la remise en cause du productivisme ou une réflexion sur une société alternative ne semble pas effleurer les esprits.

Par ailleurs, la grande majorité des Taïwanais sont opposés à l’abolition de la peine de mort, alors que son inefficacité est prouvée : 76% d’entre eux y sont opposés16Le quotidien Taipei times.

Bien que la liberté d’expression soit bien assurée (au sein de la zone Asie-Pacifique, Taïwan est classée à la seconde place par « Reporters sans frontière » pour ce qui est de la liberté de la presse), les Taïwanais ne semblent pas saisir cette occasion pour diffuser des idées nouvelles.

Notes