Nous poursuivons la publication d’articles de la revue Palestine Solidarité du mois d’octobre. Celui-ci est le témoignage d’un bédouin, réfugié à Gaza en 1948, lors de la Nakba. Son récit prend encore plus de force à l’heure où le gouvernement israélien écrase Gaza sous les bombes. Talaat Harb et NF sont-ils encore en vie et en bonne santé aujourd’hui ? Les dernières nouvelles envoyées par NF datent du 15 octobre. Elle était partie avec sa famille vers le sud de la Bande de Gaza.

L’histoire de Talaat Harb d’une famille de Bédouins, réfugié à Gaza

Par NF. Témoignage recueilli à Gaza, publié dans Palestine Solidarité n° 86, octobre 2023.

Avec une voix pleine de regret et de tristesse, El-Hadj Talaat Harb dit :« En 1948, j’étais petit, j’avais environ cinq ans, mais je me souviens très bien de l’évènement comme s’il était encore devant mes yeux. »

Nous vivions dans des tentes construites en peau de chèvre et de chameaux (Beit el-Chaar). Les Israéliens nous attaquaient et prenaient couteau ou poignard. Ils prenaient les chevaux et terrorisaient les enfants. Je me cachais derrière mes parents. Ils cherchaient toujours la personne responsable de la famille, celui qu’on appelle « El-Mokhtar ». Il devait faciliter leurs tâches et transmettre les messages à la tribu. Ils ne voulaient plus voir personne et que tout le monde parte. Les gens ont pris peur et nous avons commencé à partir sous la torture et par force.

Nous avons migré de la région de Beir al-Sabaa (nom arabe de Beer Sheva) pour aller vers Bani Souhaila à Gaza. Nous sommes partis, poussés par les armes et nous n’avons rien pu prendre. Nous avons tout laissé derrière nous. Nos récoltes d’orge et de blé, les bêtes. Ils ont gardé les chevaux et les chameaux, pareil pour nos voisins à qui ils ont volé leurs biens et leurs chevaux. Ils n’ont laissé que quelques chameaux émaciés.

Ils ont pris tout ce qui est utile et nous n’avons pas eu la possibilité de récupérer nos affaires. L’important était de sauver nos vies.

Après l’expulsion, nous avons vécu une grave famine et les réfugiés ont commencé à faire leurs papiers pour avoir une carte de rationnement à montrer aux Nations-Unies.

Malheureusement, mon père a tardé à obtenir la carte. Nous avons été obligés de présenter tout un dossier pour obtenir des kits alimentaires, nous sommes donc restés près de 20 jours sans pain. Ma mère était obligée d’emprunter la farine pour nous faire du porridge.

Un habitant du quartier a suggéré à mon père de soudoyer pour obtenir rapidement la carte de rationnement alimentaire, mais mon père n’avait pas d’argent. Ma mère a suggéré de vendre son collier en or. Il a été vendu 12 livres palestiniennes et la carte a été obtenue, estampillée du timbre britannique.

Nous n’avons eu accès à l’enseignement que plusieurs années plus tard. Il n’y avait qu’une seule école dans la région. Les enfants de 12 ans étaient inscrits en première année primaire.

El-Hadj Talaat Harb, précise : « malgré la pauvreté, notre intérêt pour l’enseignement était fort et nous avions une passion d’apprendre, encouragé, car certains étudiants obtenaient un emploi après le baccalauréat. »

La situation sanitaire était très mauvaise : il n’y avait pas de médicaments disponibles et les maladies étaient courantes. Dans les camps, où les gens vivaient sous des tentes, le seul médicament était la pénicilline.

Des grandes familles vivaient dans une tente divisée en deux pièces. Tout le monde souffrait du manque d’eau potable. Des centaines de personnes partageaient un robinet. Les toilettes étaient communes.

Nous étions une famille de 12 personnes. Une famille très unie. Je me rappelle bien que mes sœurs, comme la plupart des filles, parcouraient jusqu’à plusieurs kilomètres pour remplir un pot d’eau qui devait suffire à la famille pour toute la journée.

À mon avis, les femmes ont souffert et lutté plus que les moudjahidines parce qu’elles avaient la responsabilité de fournir de la nourriture et des boissons à la famille. Le gaz n’était pas disponible. Elles étaient obligées de faire de longs trajets à la recherche de bois et de branchages pour la cuisson ainsi que des « raquettes » de figuier de Barbarie pleines d’épines pour les faire sécher avant de les brûler.

De 1948 à 1960, nous avons vécu sous tente dans l’espoir de retourner sur nos terres et notre maison. C’était l’espoir de la majorité des réfugiés.

Jusqu’à la révolution de Gamal Abdel Nasser en 1952. À cette période-là, certains jeunes Palestiniens ont pu bénéficier d’un emploi pour un salaire de 12 livres égyptiennes.

En 1956, nous avons de nouveau vécu une période de terreur. Les Israéliens ont mis la main sur Gaza pendant quatre mois. Ils ont emmené des jeunes dans différents endroits : Wadi al-Jarad, Bani Souhaila, à Khan-Younès pour les exécuter. D’autres ont été emprisonnés. À cette époque, nous exigions le retour du contrôle de l’administration égyptienne, et des discussions étaient en cours sur notre annexion à la Jordanie.

La pauvreté s’est répandue de plus en plus, je me souviens bien des membres des Nations-Unies – les « internationaux » – qui diffusaient une mauvaise image de notre peuple. Ils disaient que nous méritions ce qui nous arrivait. Ils photographiaient les enfants sous leur pire aspect, en particulier les enfants bergers. En revanche, ils photographiaient les Juifs en demandant aux Britanniques et aux Nations-Unies : « Qui est le plus digne de vivre ? »

En 1967, après l’invasion du Sinaï et après le départ des internationaux, le nord-Sinaï et Gaza sont passés sous administration israélienne et les Palestiniens se battaient au premier rang.

Les années ont passé et il y a eu les injustes Accords d’Oslo dont nous subissons toujours les conséquences.

Après 1971, j’ai été autorisé à entrer dans les territoires occupés comme chauffeur. J’en ai profité pour aller sur nos terres et j’ai conduit mon père pour voir son terrain. C’était un moment très émouvant, mais très dur pour mon père. Il en a eu le souffle coupé, ne pouvait plus parler. Nous l’avons transporté à l’hôpital. Mon père est resté malade jusqu’à sa mort.

Mon père avait de grands rêves de bâtisseur.

En 2006, c’est ma dernière visite à nos terrains. Comme tous, nous répétons qu’un jour viendra où nous y retournerons.