Jeudi 4 mai, une centaine de personnes, salarié-es de l’enseigne TATI placée en redressement judiciaire, étaient rassemblées boulevard Barbès (Paris 18ème) avec des soutiens syndicaux (Commerce CGT Paris-CFE-CGC-SECI UNSA) et politiques. Parmi ces derniers, ont pris la parole : Ian Brossat, adjoint PCF à la mairie de Paris, Caroline de Haas, initiatrice de la pétition LoiTravailNonMerci et candidate aux législatives dans le secteur, Sandrine Mees, élue EELV à la mairie du 18ème, et Philippe Poutou, candidat du NPA à la présidentielle.
Il n’est pas exclu que ce rassemblement très médiatisé, doublé d’une grève ce jour-là de quasi 100% des employé-es du magasin (appel CGT, CGC, UNSA), ait eu des effets utiles pour ralentir le processus ultra-rapide, qui prévoyait que le tribunal de commerce de Bobigny statue dès la fin mai sur des offres de reprises de TATI taillé en pièces. Les employées et les syndicalistes de TATI étaient jusqu’à ce jour unanimes sur un point : « On ne sait rien, on nous ment depuis le début ». Or, depuis ce jeudi 4 mai, les délais d’observation pour examiner les offres de reprises ont été nettement allongés par le tribunal de commerce : 6 mois au lieu d’un mois. Les 1754 salarié-es du groupe (voir ci-dessous sa composition), les comités d’entreprise, les syndicalistes, et celles et ceux qui les soutiennent auront donc plus de moyens pour mobiliser et exiger des garanties avec plus de transparence. Mais il faut rester très prudent : rien n’est acquis et la mobilisation sera déterminante.
Tout était opaque jusqu’ici dans cette affaire où il semblait bien que le nouveau PDG Michel Résséguier (spécialiste des liquidations judiciaires et nommé pour cela à ce poste) avait l’intention de procéder à une cession du groupe sans vrai contrôle, grâce au nouveau système juridique « prépack cession » qui permet d’accélérer les procédures par-dessus la tête du personnel. Or le procédé prépack cession (voir ci-dessous), mis en place par le gouvernement en mars 2014, confirmé et conforté par Emmanuel Macron lorsqu’il est devenu à son tour ministre de l’économie, exige le secret ! Ce qui n’est plus le cas chez TATI depuis le 4 mai. Après que le démantèlement de Whirlpool (Amiens) ait été mis en pleine lumière pendant la campagne présidentielle, TATI aura été une seconde affaire éclatant au moment de la passation de pouvoir entre Hollande et Macron. D’ailleurs, le personnel souhaitait aussi, avant le deuxième tour du 7 mai, la présence de tous les candidats pour faire toute la lumière et obtenir des engagements.
Crise dans le commerce et le tourisme
La crise de TATI est le symptôme d’une crise plus générale du commerce (même si dans l’économie générale les faillites sont plutôt en baisse depuis plusieurs années). Les chiffres d’affaire dans le commerce sont en régression depuis les attentats. D’autres crises sont en cours (Vivarte, le prêt-à-porter MIM, la librairie Gibert Jeune, reprise par Gibert Joseph avec 30 licenciements selon le procédé prépack cession, qui n’est donc pas si indolore que certains le disent) ou pourraient être annoncées une fois les élections passées.
TATI (1314 salarié-es sur 115 magasins) est la marque la plus connue du groupe AGORA Distribution, qui comprend aussi Fabio Lucci, Gigastore et Degrif’Mania, soit en tout 1754 personnes sur 140 magasins. Ce n’est donc pas seulement TATI, mais en réalité tout le groupe AGORA qui a été placé en cessation de paiement puis redressement judiciaire. AGORA est lui-même chapeauté par le groupe ERAM (1,57 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 10 000 salarié-es, 1500 points de vente). ERAM est donc le vrai grand patron. Il a touché 20 millions de crédit CICE. ERAM, dirigé par les frères Biotteau, veut visiblement se débarrasser d’AGORA estimé en pertes, pour sauver son business.
A l’abri des regards
On ne peut exclure que les PDG aient voulu chercher de « petites ententes entre amis » pour se débarrasser du dossier. Deux éléments factuels sont très intrigants dans cette crise. Tout d’abord, jusqu’à il y a peu de temps, TATI était considéré comme n’ayant plus dettes, malgré un chiffre d’affaires en baisse. Or d’un seul coup, au comité d’entreprise (CE) du 25 avril dernier, on annonce à nouveau près de 6 millions de dettes, l’incapacité de payer les salaires et d’honorer les fournisseurs.
L’autre élément est la volonté de Michel Résséguier, PDG d’AGORA distribution, de procéder par le système prépack cession afin de régler au plus vite la vente à des repreneurs pré-désignés, sans passer par la longue phase du redressement judiciaire classique. Ce système prépack a été mis en place par une « ordonnance » en mars 2014. La loi Macron de l’automne 2014, puis 2015, n’a fait en réalité que reprendre des projets déjà avancés par Montebourg avant son départ. Le prépack cession consiste en une entente secrète entre le « débiteur » endetté (donc le PDG Agora) et des repreneurs (ainsi que les créanciers), afin que dans un délai très court et quasiment sans publicité, tout ou partie de l’entreprise change de main. L’avantage ? Il y aurait soi-disant moins de casse sociale et industrielle que dans la procédure classique, car l’entreprise ne se dévalorise pas trop. Bien entendu tout se passe au-dessus de la tête des salarié-es et des syndicats, qui sont les jouets passifs de cette affaire très privée. Certains juristes décrivent ce procédé comme une « connivence », un « clair-obscur » où le tribunal public ne fait qu’enregistrer des ententes « prépackées » : « cela peut sembler choquant au regard des principes qui gouvernent les procédures collectives et selon lesquels les repreneurs doivent disposer des mêmes informations » (explique le juriste Edouard Bertrand le 4 mars 2016). Une forme de justice économique à l’anglo-saxonne : plus rien n’est public, tout est deal.
Vente à la découpe évitée ?
Mais il semble que le prépack ait été finalement évité. Car tout a filtré sur la place publique alors que même la ministre Myriam El Khomri avait « conseillé d’éviter la presse pour ne pas faire fuir les acheteurs potentiels », rapporte Nicole Coger, déléguée CGT TATI (L’Humanité du 3 mai 2017). Or, la ministre avait rencontré le patron d’Eram…
Et dans les indiscrétions rendues publiques, on a beaucoup valorisé l’idée qu’un « consortium » de repreneurs était prêt à sauver une partie du groupe Agora et TATI, soi-disant en agissant de manière groupée. Il s’agissait des enseignes Foir’Fouille, Centrakor, Stockomani et Maxi Bazar, qui auraient au total repris 88 magasins (sur 140) et 1051 salarié-es (sur 1754). Mais en réalité, chacune de ces enseignes avait des objectifs propres, et absolument pas unifiése dans un processus commercial global, laissant craindre une vente à la découpe du groupe. Par contre cette vente à la découpe garantissait sans doute une meilleure rentrée d’argent pour le débiteur Agora.  Et c’est plutôt l’offre du groupe Gifi, apparu plus récemment, qui a la préférence des salarié-es, car elle est plus globale pour la pérennisation du groupe : 110 magasins repris, l’enseigne TATI sauvée, les magasins maintenus et 1200 emplois sauvegardés (davantage encore avec les emplois indirect).
Un attachement très fort à l’enseigne
Les salarié-es sont à la fois mobilisé-es et réalistes. Quand on touche 1200 euros par mois, qu’il faut des heures de transport pour venir travailler, qu’on est en charge d’une famille monoparentale, et qu’on sait les fragilités du commerce, et surtout quand a travaillé pendant 30 ou 40 ans dans une enseigne célèbre dans le monde entier, alors on a le sentiment que son boulot est intrinsèquement lié à cette marque. Les employées sont également fières de leur connaissance du quartier Barbès. « Des licenciements il y en aura, nous ne sommes pas dupes », explique Nicole Coger. Selon Hakima (magasin TATI Stains) « TATI a 70 ans d’âge, TATI est international, il faut garder l’enseigne. Nous avons été pacifiques, mais nous sommes en colère ».
Depuis la mobilisation du 4 mai, les délais de décision semblent allongés à 6 mois et les salaires menacés ont finalement été payés. Mais la vigilance doit rester vigoureuse.
Philippe Poutou a proposé le 4 mai la mise en place d’un « comité de soutien ». Bonne idée ! Il pourrait en effet associer syndicalistes, élu-es, forces politiques et citoyennes, notamment dans le quartier Barbès et tout le 18ème arrondissement. Caroline de Haas a par ailleurs initié une pétition de solidarité qu’il convient de soutenir : https://www.change.org/p/tati-1700-emplois-en-danger-r%C3%A9agissez
D’autres alternatives sont-elles possibles face à la seule logique des affaires ? Chez le prêt-à-porter MIM, autre commerce en difficulté (1600 salarié-es), un projet de reprise en SCOP a été discuté (par le SECI-UNSA), mais n’a pas encore abouti. La solidarité, le débat public et politique doivent s’amplifier.
Jean-Claude Mamet