Selon un récent sondage BVA (dont les résultats confirment ceux des années précédentes), 79 % des Français considèrent qu’alléger les « charges » pour les entreprises constitue un moyen efficace pour lutter contre le chômage. Ils sont, en revanche, 73 % à juger inefficace une nouvelle réduction du temps de travail pour diminuer le chômage. Nous partons donc de loin pour relancer une perspective de réduction du temps de travail créatrice d’emplois…
Fragmentation des temps de travail
Dans le même temps, une majorité de salariés considère les 35 heures comme un acquis, et toutes les offensives, notamment de la droite, visant à remettre en cause cette durée légale du travail, se sont heurtées à une volonté forte de préservation de cet acquis. Mais ce sentiment est ambivalent. Pour certains salariés, notamment des petites entreprises, leur temps de travail n’a pas diminué : la baisse de la durée légale du travail a augmenté leur nombre d’heures supplémentaires rémunérées. C’est pourquoi la remise en cause par le gouvernement Ayrault en 2012 de l’allègement de cotisations sociales sur les heures supplémentaires et de leur non-imposition, a été particulièrement mal vécue par ces salariés. Cette mesure avait pourtant été prise au nom du nécessaire partage du travail, et soutenue par les organisations syndicales …
Et pour une majorité de salariés, la loi Aubry de 2000 a certes introduit la réduction de la durée légale du travail à 35 heures, mais aussi son corollaire, à savoir l’aménagement du temps de travail, avec une flexibilisation accrue des horaires de travail par le biais de modalités de réduction du temps de travail négociées branche par branche, entreprise par entreprise. Dans de nombreux accords d’entreprise, ces modalités peuvent même être différentes selon les catégories de salariés concernés : nombre de jours travaillés dans l’année pour les cadres (forfait jours) ; modulation annuelle avec variation de la durée hebdomadaire de travail sur l’année, souvent pour les ouvriers ; durée hebdomadaire supérieure à 35 heures, avec acquisition de jours RTT, souvent pour les employés.
Si le cadre est celui de la durée légale à 35 heures, cette « explosion » des différentes modalités d’aménagement du temps de travail entreprise par entreprise, voire au sein d’une même entreprise, a entraîné une remise en cause des collectifs de travail, et une réelle difficulté à porter des revendications communes en matière de durée du travail.
Penser ensemble vie au travail et vie personnelle
La réduction du temps de travail a donc été l’occasion pour les patrons de mettre en œuvre cette flexibilité accrue des horaires de travail pour assurer une organisation « optimale » (selon eux) de la production : flux tendu (en fonction de la commande) ; allongement de l’amplitude d’ouverture des commerces ; utilisation des NTIC (nouvelles technologies d’information et de communication) effaçant la frontière entre temps de travail et temps consacré à la vie personnelle (amenant l’UGICT-CGT à lancer une campagne pour le « droit à la déconnexion » qui commence d’ailleurs à être introduit dans certaines conventions collectives).
Cette flexibilité a entraîné une dégradation des conditions de travail liée à l’intensification du travail, mais souvent aussi une dégradation des conditions d’organisation de la vie personnelle (transports, gardes d’enfants …), de plus en plus subordonnée à l’organisation du temps de travail imposée par l’employeur. Le thème de la conciliation vie au travail-vie personnelle devient d’ailleurs un sujet de mécontentement pour les salariés, et notamment pour les femmes, une majorité estimant que leur employeur ne prend aucune mesure pour la favoriser.
En conclusion, reprendre l’offensive pour une nouvelle réduction du temps de travail devrait impliquer dans le même temps un débat approfondi avec les salariés et les organisations syndicales sur de nouvelles organisations du temps de travail (et donc des organisations différentes de la production de biens et de services à débattre dans la société) leur offrant la garantie d’une amélioration de leurs conditions de travail et de recrutements durables de salariés à temps plein et non précaires.
Françoise Guyot