Avec le rapport Bailly sur la « libéralisation » du travail du dimanche, rendu public le 2 décembre, la confrontation va s’amplifier sur ce qu’on encadre ou qu’on dérégule.
Ce rapport commence par le tour de force de stopper à l’avenir les ouvertures de magasins d’ameublement et d’autoriser immédiatement, pendant 18 mois et par décret les mêmes ouvertures dans le bricolage. Pour « pacifier la situation en Ile de France », dit Bailly, autrement dit pour sauver la face à l’association des « bricoleurs du dimanche » et des patrons qui menaient la danse médiatiquement depuis trois mois !
Mais le fond du projet consiste à étendre encore les ouvertures exceptionnelles le dimanche (fêtes, soldes, etc), passant de 5 à 12 dimanche « libérés » par an dont 7 à la discrétion des maires, et 5 au bon vouloir des enseignes. Autrement dit à banaliser davantage la mise en cause du repos hebdomadaire (loi de 1906). Le projet veut aussi harmoniser le droit entre les ouvertures sans limites en zones dites touristiques (complètement arbitraires), ni droit à majoration salariale, et les ouvertures souvent sauvages renommées Périmètres d’usage de consommation exceptionnel (PUCE) par la loi UMP de 2010. Celles-ci ouvrent théoriquement des avantages salariaux. Les deux types de zone seraient unifiées par des principes communs de « volontariat » et d’accord social sur les salaires, le tout encadré par une loi en 2014. Sauf que… les commerces de moins de 11 salariés seraient exclus du périmètre, et donc autorisant n’importe quoi.
Tout ceci se fait bien sûr au nom de « l’équité » ou du « libre choix » (des consommateurs, des salariés…), notions passe-partout qui brouillent les esprits en mélangeant choix raisonné et consommation effrénée. Liberté : que de reniement au nom de ce mot depuis que le « libéralisme » exerce son hégémonie sur toutes les parcelles de la vie !
Liberté pour les camions de polluer sans entrave et briser la santé des routiers auto-entrepreneurs ou salariés, et cela pour fluidifier la chaîne continue des approvisionnements. Liberté pour les patrons d’enseignes d’ouvrir le dimanche, la nuit, « d’assouplir » bien entendu le droit du travail ; et liberté pour le client-roi de passer ses week-end dans les allées chatoyantes des supermarchés, ou de pousser la porte d’un magasin de luxe (Sephora) à 22heures, histoire de satisfaire une pulsion ou de rêver devant l’amoncellement des marchandises. Tout cela bien sûr pour des créations d’emplois, des bonus de salaire (« travaillez plus… », disait quelqu’un), voire pour relancer l’économie !
Partout donc, le capitalisme fait reculer les règles collectives, occupent les interstices de la vie personnelle, des loisirs, de la famille, des repos, des goûts et des désirs. Dans l’immense zone commerciale Plan-de-Campagne près de Marseille, on trouve cinémas et Aqualand, idem à Rosny 2 en Seine Saint-Denis. On fabrique aussi le désir par l’industrie publicitaire. Au nom de la modernité « sans tabou », avec pour cible prioritaire les jeunes et les jeunes couples dont le désir de consommer est présumé permanent. D’un autre côté, on paye de jeunes étudiants sans le sou dans des contrats courts le dimanche, en leur faisant miroiter un « plus » de quelques dizaines d’euros pour vivre un peu mieux : CDI de 15 heures payés 700 euros, montant jusqu’à 1000. Ce faisant, on crée de l’émulation sur les zones commerciales, des distorsions concurrentielles entre types de magasins, comme par exemple entre les meubles et le bricolage. Et on attise ainsi de fausses revendications donnant-donnant, créant des tensions entre salariés, jusqu’à ce que certains acceptent de défiler sous les bannières patronales comme en Bretagne, au nom des inégalités et « contre les syndicats nuls » (ainsi que le commentent des éditorialistes tels Christophe Barbier dans Le Point).
Certains « libéraux » argumentent sur le thème : mieux vaut travailler le week-end qu’être au chômage, laissant entendre que ces systèmes de travail permettent de sortir la tête de l’eau. Mais les chiffres montrent que le travail en horaire a-typique se cumule à la longue sur les mêmes personnes, en même temps qu’il s’étend de plus en plus. Selon la DARES (organisme de recherche du Ministère du travail), 86% de ceux qui travaillent de nuit sont aussi au boulot le samedi, et 72% le dimanche. 64% des salariés travaillant le dimanche font aussi des horaires de soirée (contre 16% pour les autres). Et au total, près d’un tiers du salariat (et 8,2 millions de personnes) est concerné par les horaires de dimanche.
Quant à la véritable finalité de cet arsenal anti-Code du travail, il consiste à habituer le salariat à étendre petit à petit les dérogations des uns vers les autres, au nom de l’ « équité » : achats de nourriture, puis de meubles, puis de tout le reste, entrainant le flux tendu. Et à contraindre toute la population à vivre 24h sur 24 et 7 jours sur 7 sous la coupe de la concurrence et de la marchandise.
Jean-Claude Mamet

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