La forte augmentation des droits de douane sur les importations depuis le Mexique et le Canada va avoir d’énormes impacts sur les chaînes de production industrielles. L’industrie automobile ou électronique est concernée, mais l’agriculture aussi. La filière viande bovine est un bon exemple. Philippe Chotteau nous l’explique en détail.

Trump écorne le mythe du cowboy !

Par Philippe Chotteau. Le 7 février 2025.

Trump se voit comme le shérif du monde. Suivant les préconisations de Steve Banon – un des théoriciens de l’ « alt right », pour ne pas dire « far right » – il faut saturer l’espace médiatique jour après jour avec des annonces tonitruantes, qu’elles soient ou non suivies d’effets.

Une parmi d’autres : la forte augmentation des droits de douane pour les importations depuis le Mexique et le Canada. Les USA leur sont pourtant liés par un accord de libre-échange – le NAFTA – renégocié sous la pression de Trump en 2018. L’annonce de 25% de droits de douane, reportée à la fin février ensuite, aura d’énormes impacts sur les chaînes de production industrielles. Celles-ci se sont structurées de part et d’autre des frontières sous l’égide de ce NAFTA, depuis 30 ans.

On parle beaucoup de l’industrie automobile ou électronique. Mais il y a aussi l’agriculture, dont la filière viande bovine est un bon exemple.

Cette industrie du bœuf et un des marqueurs du mythe des États-Unis : le cowboy (Marlboro ou non), les westerns, le T-Bone Steak… bref l’idéal masculin cher à Trump, Musk et consort.

De tels droits de douane handicaperaient cette filière, et surtout l’aval : engraissement, abattoirs… Mais ils impacteraient surtout les consommateur·rices qui ont déjà subi une forte inflation alimentaire depuis la fin 2020. Ainsi, le prix du steak a pris 30% en quatre ans, tandis que celui du burger s’est envolé de 42% !

Paradoxalement, la consommation de bœuf est restée stable en volume. À 38 kg par habitant·e, soit 560 grammes de viande bovine désossée par semaine, c’est une des plus élevées au monde. Par comparaison, la consommation est moitié moindre en France et trois fois inférieure en Europe. Elle a même fortement baissé sur notre continent depuis 15 ans. Cela prouve la résistance de cette faim de bœuf outre Atlantique !

Cependant, face à cette forte inflation – qui a été décisive dans l’élection de Trump selon les analystes – les consommateurs étasuniens ont baissé leur gamme d’achat. Ils ont favorisé les pièces les moins chères : bœuf à braiser ou à bouillir plutôt que des steaks à griller. Et surtout encore plus de burgers qui représentent déjà pratiquement les 3/4 du marché du bœuf.

La filière viande est une des clientèles électorales choyée depuis longtemps par les Républicains, et désormais les Trumpistes !

Qui pourraient être les gagnants dans l’industrie de la viande de tels droits de douane ?

L’industrie de la viande bovine est en crise depuis plusieurs années aux États-Unis. C’est notamment le cas depuis trois ans avec l’inflation sur les approvisionnements et essentiellement le manque de bovins à abattre. Pour comprendre cette crise, il faut détailler sa structure, en 4 étages :

  • 1. Le naissage est assuré par un peu plus de 660 000 fermes de taille modeste. Elles possèdent 44 vaches à viande1Le cheptel bovin laitier est très minoritaire aux USA, avec 9,4 millions de vaches à comparer avec 28 millions de vaches à viande. En outre, il produit naturellement beaucoup moins de viande (issue des veaux mâles ou de la réforme des femelles après leur carrière de laitière) par animal. en moyenne qui sont élevées toute l’année en plein air. Ces éleveurs subissent la loi de l’aval de la filière. Ils sont obligés d’avoir des activités extérieures pour vivre. On a l’habitude de dire là-bas que c’est plus un mode de vie qu’une façon de la gagner. Seules 10% des fermes allaitantes ont plus de 100 vaches (mais détiennent 56% du cheptel national). Le cheptel de vaches allaitantes (28 millions de vaches de races Angus, Hereford ou zébus) ne cesse de reculer depuis 2018, en particulier à cause de sécheresses récurrentes. Ces fermes sont, en effet, souvent dans des zones défavorisées où dominent les parcours. Selon les possibilités fourragères, ces fermes vendent des veaux sevrés avant l’hiver (âgés de 6 à 9 mois) ou âgés d’un an et demi après deux saisons à l’herbe. En France, on appelle ces animaux des « broutards ».
    2. Les « post-sevreurs » préparent les animaux à l’engraissement final. C’est généralement une activité complémentaire à la production de céréales. Elle est faite en plein-air ou en étables.
    3. L’engraissement final est très intensif. Il dure entre 3 et 10 mois, avec un objectif de gain de 1,1 à 1,8 kg/jour. Il se fait dans de gigantesques parcs d’engraissement en plein air, appelés « feedlots ». Ceux de plus de 1 000 places fournissent 85% des bovins abattus aux États-Unis. Et quelques dizaines dépassent les 32 000 places et fournissent à eux seuls 40% des bovins abattus. Cet engraissement utilise fréquemment des hormones de croissance. L’usage d’antibiotiques est très répandu. Les préoccupations sur le bien-être animal et le respect de l’environnement (notamment des nappes phréatiques) sont loin du 1ᵉʳ rang… Nombreux sont ceux qui sont détenus par les firmes d’abattage-découpe.
    4. L’abattage-découpe est de plus en plus concentré. Les 4 leaders, qui traitent également du porc et du poulet, dépassent chacun 50 milliards de chiffres d’affaires annuels. Il s’agit de Cargill Meat Solution, de JBS-USA et de Tyson Food. Sysco est parmi les 4, mais la viande n’est pas son cœur de métier (groupe multiproduits).

Avec la décapitalisation, les importations de bovins vivants (des broutards surtout, et des animaux finis aussi) des pays voisins ont fortement augmenté depuis trois ans. Elles atteignent 1,25 million de têtes depuis le Mexique et 800 000 têtes depuis le Canada en 2024. Cela représente 6% des approvisionnements des abattoirs, et même 9% de ceux de bovins jeunes, les plus appréciés. Il est clair que l’imposition de 25% de droits de douane – si elle s’applique vraiment – va renchérir l’approvisionnement des abattoirs étasuniens !

Cargill et JBS sont aussi les principaux abatteurs au Canada. Ils pourraient donc avoir davantage de bovins à traiter et à moins cher, ceux-ci ne pouvant plus être exportés aux USA. En revanche, ils devront trouver des débouchés à l’export ailleurs qu’aux USA.

Les immigrés en ligne de mire

Une autre préoccupation majeure de l’aval de la filière face aux options trumpistes est la main d’œuvre. En effet, le maillon de l’abattage-découpe est toujours une industrie de main d’œuvre. La main d’œuvre immigrée y est très majoritaire, dont une bonne part illégale. Dernier scandale en date : une des usines de JBS dans le Colorado a été accusée en fin d’année dernière par le syndicat « United Food and Commercial Workers » pour « trafic d’êtres humains ». Des immigrés haïtiens et béninois étaient logés dans des conditions sordides et sous-payés.

En résumé, seuls les naisseurs auraient quelque chose à gagner dans l’histoire. Mais nul doute que Cargill, JBS, Tyson & co sauront se faire entendre du gouvernement de Trump. Aux dépens des immigrés illégaux et des consommateurs étasuniens !

Notes
  • 1
    Le cheptel bovin laitier est très minoritaire aux USA, avec 9,4 millions de vaches à comparer avec 28 millions de vaches à viande. En outre, il produit naturellement beaucoup moins de viande (issue des veaux mâles ou de la réforme des femelles après leur carrière de laitière) par animal.