L’Atelier Féministe est une organisation ukrainienne. Solidarité Ukraine Belgique coopère avec elle et vient de publier un entretien avec deux de ses militantes. Nous avons jugé utile de signaler cette interview. En effet, les militantes ukrainiennes y reviennent sur les raisons pour lesquelles elles ont écrit, en juillet 2022, un manifeste pour le droit à la résistance en réponse aux féministes occidentales.

Ukraine : Au-delà de la paix – Entretien avec l’Atelier féministe

Entretien conduit par Municipi Sociali Bologna et Bread&Roses Bari, publié sur Municipio Zero, le 22 février 2024.

Municipi Sociali Bologna : Pourriez-vous revenir sur les raisons pour lesquelles vous avez écrit un manifeste pour le droit à la résistance en réponse aux féministes occidentales il y a deux ans ? Pourquoi la résistance a-t-elle été importante dès le premier jour et que signifie résister après deux ans de guerre ?

Yarina, Atelier féministe : Nous avons rédigé ce manifeste dans l’intention d’inciter les féministes occidentales à réexaminer leurs privilèges, à comprendre leur manque d’expérience et de connaissances en matière de libération coloniale, de conflits militaires et d’angles morts historiques, en particulier en Europe de l’Est. Lorsque les féministes occidentales rédigent leurs propres manifestes, il semble qu’elles récusent souvent notre droit, en tant que personnes opprimées, de parler en notre nom, d’évoquer nos expériences et de nier notre droit à l’autodéfense et à l’autodétermination. Pour nous, la résistance est une question de capacité d’action, d’expression et d’autodétermination. De nombreuses personnes, en particulier au sein de la gauche occidentale, discutent fréquemment du militarisme en Ukraine. Cependant, je tiens à souligner que lorsque des vies ukrainiennes sont réellement en danger, les déclarations antimilitaristes peuvent refléter un certain privilège de ne pas voir la guerre avoir un impact direct sur leur pays. Nous rencontrons souvent ces déclarations de la part de celles et ceux qui n’ont pas l’expérience de l’oppression impériale.

En ce qui concerne l’évolution de notre résistance au cours des deux dernières années face aux attaques russes, la situation reste désastreuse. Nous nous efforçons actuellement de nous aligner sur les politiques de l’UE car nous ne percevons que des alternatives limitées. La dynamique a changé depuis le début du conflit, lorsque la droite et la gauche étaient plus unies. Aujourd’hui, nous sommes divisés par des opinions et des politiques différentes. Notre approche est multitâche : d’une part, nous soutenons l’autodéfense ukrainienne et, d’autre part, nous critiquons notre gouvernement pour contrer certaines de ses politiques illibérales. Les défis se sont intensifiés à mesure que nous menions de front notre vie quotidienne et la nécessité de survivre aux attaques russes. L’équilibre entre le travail et la stabilité personnelle est devenu plus difficile, aggravé par l’épuisement collectif et la déception à l’égard de notre gouvernement. Malgré ces difficultés, nous continuons à nous battre, en gérant simultanément les différents aspects de notre lutte.

Alla, Atelier féministe : J’ai le sentiment que les Ukrainien·nes, dont je fais partie, sont confronté·es à des changements significatifs depuis le début du conflit jusqu’à aujourd’hui. Le changement le plus notable est une perte profonde subie par la plupart d’entre nous en raison de la guerre en cours. Un récent message viral en Ukraine a révélé que 78 % des Ukrainien·nes ont perdu un proche, qu’il s’agisse d’un ami, d’un membre de la famille ou d’un partenaire. Yarina exprime bien ce sentiment, en décrivant le défi que représente la gestion simultanée des exigences de la vie quotidienne, de la recherche d’un emploi et de la lutte intérieure au sein de notre pays, où le combat n’est pas en pause, mais permanent. Nous nous protégeons des missiles tout en essayant d’affirmer notre droit à la vie. Le manifeste féministe occidental, dans sa version initiale, m’a semblé problématique. Il dépeignait l’Ukraine comme presque inexistante, réduite à un simple territoire et à un peuple à défendre. Ce qui ressortait, c’était le manque d’intérêt pour la compréhension des pensées et des besoins des Ukrainien·nes qui souffrent et résistent. Le manifeste semblait parler depuis une position condescendante et privilégiée, dictant ce qui devrait être fait pour nous, sans chercher à obtenir notre contribution ou à reconnaître notre rôle. Il est surprenant de voir la gauche occidentale, censée défendre les droits des opprimés, adopter une telle position. La réponse des féministes ukrainiennes, qui mènent depuis longtemps diverses luttes dans le pays, est naturelle : elles affirment leur existence et partagent la réalité de leurs expériences. La frustration réside dans le fait d’être réduites au silence et à l’état d’objet. Il est décourageant de voir la gauche occidentale, alliée supposée dans la lutte contre l’autoritarisme et l’oppression, ignorer les voix et l’action des Ukrainien·nes. Compte tenu de la situation actuelle, outre les défis tangibles auxquels l’Ukraine est confrontée, la perception de la situation du pays par les citoyens suscite une frustration croissante. Certain·es expriment leur lassitude face au conflit en cours et souhaitent des solutions rapides. Il est surprenant de constater que ceux et celles qui ne sont pas directement touché·es ou engagé·es dans la lutte expriment leur lassitude. Ces sentiments soulèvent des questions sur le niveau de compréhension et d’empathie de qui observe la situation à distance.

Yarina, Atelier féministe : Il est essentiel de souligner que la résistance à une attaque armée par un pays impérial implique inévitablement une résistance armée. Cette vérité fondamentale est un point clé abordé dans le premier manifeste féministe en réponse au manifeste des féministes occidentales. L’appel à la paix et le rejet de la fourniture d’armes à l’Ukraine, tels que mentionnés dans certains récits occidentaux, ne sont pas des options viables pour nous. L’acquisition d’armes n’est pas une question de choix, c’est une nécessité. Se plier à certaines exigences signifierait faire partie de la Russie, un compromis impensable. Même si nous nous engagions dans des négociations avec la Russie, en acceptant de renoncer aux territoires occupés et aux populations qui y souffrent, cela ne mettrait pas fin au conflit. Sa raison profonde réside dans la nécessité pour la Russie de se démilitariser et de se décoloniser. Toute résolution doit s’attaquer à ce problème plus profond, faute de quoi nous risquons d’être confronté·es à une nouvelle invasion de grande ampleur à l’avenir. Les ambitions impériales de la Russie sont profondément enracinées, et le simple fait de mettre un terme à l’invasion actuelle par le biais de négociations ne résout pas le problème de fond. Il s’agit d’une situation complexe qui nécessite une stratégie globale et à long terme pour garantir une paix et une stabilité durables dans la région.

Municipi Sociali Bologna : Pourriez-vous revenir sur les raisons pour lesquelles vous avez écrit un manifeste pour le droit à la résistance en réponse aux féministes occidentales il y a deux ans ? Pourquoi la résistance a-t-elle été importante dès le premier jour et que signifie résister après deux ans de guerre ?

Yarina, Atelier féministe : Nous avons rédigé ce manifeste dans l’intention d’inciter les féministes occidentales à réexaminer leurs privilèges, à comprendre leur manque d’expérience et de connaissances en matière de libération coloniale, de conflits militaires et d’angles morts historiques, en particulier en Europe de l’Est. Lorsque les féministes occidentales rédigent leurs propres manifestes, il semble qu’elles récusent souvent notre droit, en tant que personnes opprimées, de parler en notre nom, d’évoquer nos expériences et de nier notre droit à l’autodéfense et à l’autodétermination. Pour nous, la résistance est une question de capacité d’action, d’expression et d’autodétermination. De nombreuses personnes, en particulier au sein de la gauche occidentale, discutent fréquemment du militarisme en Ukraine. Cependant, je tiens à souligner que lorsque des vies ukrainiennes sont réellement en danger, les déclarations antimilitaristes peuvent refléter un certain privilège de ne pas voir la guerre avoir un impact direct sur leur pays. Nous rencontrons souvent ces déclarations de la part de celles et ceux qui n’ont pas l’expérience de l’oppression impériale.

En ce qui concerne l’évolution de notre résistance au cours des deux dernières années face aux attaques russes, la situation reste désastreuse. Nous nous efforçons actuellement de nous aligner sur les politiques de l’UE car nous ne percevons que des alternatives limitées. La dynamique a changé depuis le début du conflit, lorsque la droite et la gauche étaient plus unies. Aujourd’hui, nous sommes divisés par des opinions et des politiques différentes. Notre approche est multitâche : d’une part, nous soutenons l’autodéfense ukrainienne et, d’autre part, nous critiquons notre gouvernement pour contrer certaines de ses politiques illibérales. Les défis se sont intensifiés à mesure que nous menions de front notre vie quotidienne et la nécessité de survivre aux attaques russes. L’équilibre entre le travail et la stabilité personnelle est devenu plus difficile, aggravé par l’épuisement collectif et la déception à l’égard de notre gouvernement. Malgré ces difficultés, nous continuons à nous battre, en gérant simultanément les différents aspects de notre lutte. […]

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