Nous vivons un moment clarificateur. Le MEDEF, ses idéologues associés et son gouvernement insistent pour que la négociation se fasse « au plus près des entreprises ». Quel est le piège ?
La diversité des situations mérite un éclairage. Ce pays compte une population active d’environ 26 millions de personnes, dont 23 millions sont salarié.e.s, parmi lesquels 6 millions dans la Fonction publique (y compris les ‘emplois aidés’).
Qui devrait donc « négocier au plus près », dans le secteur privé, selon Gattaz, Hollande, Macron, Valls (dans l’ordre alphabétique) ?
Prenons en compte un fait : 51% de salariés travaillent dans des entreprises de 1 à 9 salariés (22,8% du total) ou de 10 à 49 salariés (28,8%).
Peut-on discuter en toute liberté des droits quand l’emploi, même en CDI, est précarisé par les résultats de l’entreprise ? Hormis les cas de très bonnes relations entre patron et salariés, ceux-ci peuvent-ils connaître les dictats réels que l’employeur subit de ses « donneurs d’ordre » (conditions de fabrication, de conditionnement-expédition, de recyclage, des à-coups des commandes et de la production…) Dans la plupart des cas, les salariés n’ont aucun droit d’information puisqu’il n’y a même pas de Comité d’entreprise. Simple rappel rapide ! On oublie aussi, trop souvent, ces secteurs d’activité (commerces ‘franchisés’, services à la personne, secrétariats…) où les femmes représentent plus de 70% du personnel salarié. Seule présence réelle du droit, dans beaucoup de cas : des contrôleurs et des inspecteurs du travail (peu nombreux) ou des médecins du travail (eux-mêmes en sous-effectif criant) souvent trop dépendants de leur hiérarchie liée au patronat.
On pourrait imaginer et imposer que des syndicalistes – mandaté.e.s, par bassins d’emploi et par branches – aient le droit d’aller sur place, à condition qu’ils ou elles soient choisi.e.s par les organisations syndicales ; mais la loi Rebsamen et la loi Macron I ont imposé des choix inverses…
Dans la réalité, les patrons de ces foisonnantes toutes petites entreprises ne disposent pas des moyens pour suivre les questions de droit social. Ils peuvent avoir recours aux Chambres de commerce ou à leur « branche du MEDEF ». Le recours à la loi est, dans de tels contextes, la seule garantie un peu fiable.
Rappelons les autres situations : un peu plus de 11% des salarié-e-s travaillent dans des entreprises de plus de 500 personnes, 12% dans des entreprises de 200 à 499, 25% dans des entreprises entre 50 et 199.
Référendum, modulation comptée sur trois ans avec des compensations, etc. On voit bien que, pour le patronat lui-même, il faut un appareillage social, un secrétariat très compétent sur le droit social ce qui est sans doute plus facile au-dessus de 200 salarié.e.s.
Qu’ajouter à ces chiffres à peine commentés ? Au moins deux constats utiles.
Le premier, au sujet de la mobilisation en train de se développer : souvenons-nous que ¾ des salarié.e.s du privé sont dans des entreprises de moins de 200 personnes. Dans une grande partie de celles-ci, il n’y a pas de débats « internes » animés par les syndicats. Or, une demande et des attentes existent bien chez les salarié-e-s de ces entreprises. Nous devons donc leur répondre avec des moyens différents de ceux que nous avons l’habitude d’utiliser. Pour leur permettre de participer à de grands mouvements, il faut la construction de tout un climat politique et de lutte, des débats qui permettent de répondre à la scie entendue tous les jours toute la journée : « peut-on faire autre chose dans la situation de marasme économique ? » Ici, le combat idéologique est indispensable en même temps que la mobilisation !
Le deuxième est tout aussi réaliste. Mobiliser prend du temps mais approfondit les questions au-delà de ce que voulaient ce gouvernement et le MEDEF. La réduction du temps de travail revient dans les discussions, et des embauches, avec une augmentation du salaire horaire, pour les 32 heures au plus tôt ; d’autant que nous pourrions en être plutôt à 15h par semaine, du fait des automatismes déjà créés depuis quarante ans[1].
Il faudra sans doute un ou des samedis d’assemblées-débats dans la rue ou dans l’espace public offert pas les nouveaux moyens de communication pour dire quelle loi du travail est nécessaire, possible, revendiquée. Un dialogue liant les juristes avec les salarié.e.s des entreprises, les précaires est indispensable. Une bonne occasion de réinventer une dynamique syndicale.
Il nous faut donc, sans aucun doute, réapprendre à lier des formes de lutte pour imposer le retrait de cette loi et des débats qui permettent à toutes et tous de se saisir collectivement des possibilités de changement de la société pour le bien vivre du plus grand nombre.
Faire chuter les projets de Gattaz, Hollande, Macron, Valls c’est ouvrir une porte d’espoir pour que, tous les salariés puissent dire « oui, nous pouvons » et voilà ce que nous voulons.
Pierre Cours-Salies
[1] « Ne restons pas en retard sur le temps », sur ce site ; et P. Naville, Vers l’automatisme social ?, rééd. Syllepse, 2016.