Ce 16 juin, sur fond de mouvement social, une lutte apporte de l’espoir : celle des intermittentEs. Les négociations n’ayant pas abouties, le MEDEF refusant de signer l’accord du 28 avril accepté par tous les partenaires sociaux du spectacle et qui améliore les conditions de travail des salariéEs concernéEs, le Gouvernement applique par décret ledit accord.
Petit historique des luttes des intermittent-es :
Le régime spécifique de l’intermittence, créé en 1936 (décidément !), d’abord dans le cinéma, puis dans tout le milieu artistique, permet de pallier le manque de revenus résultant de l’emploi discontinu inhérent aux métiers concernés, en garantissant une indemnisation de l’assurance chômage entre deux CDD.
Mais, depuis 40 ans, ce régime spécifique est dans le viseur du CMPF puis MEDEF, qui, tous les deux ans, lors des renégociations de l’assurance chômage, cherche à détricoter le régime de l’intermittence, puisqu’il souhaite in fine sa disparition, avec une attaque d’ampleur en 2003, où les intermittent-es sont entré-es en lutte pour sa pérennisation et l’amélioration de leurs droits, avec entre autre la création d’une plateforme unitaire entre partenaires sociaux et parlementaires.
En 2003, un nouveau protocole a été signé par le MEDEF et la CFDT (déjà…), et refusé par la CGT et FO (les syndicats majoritaires), car dégradant les conditions de travail des concernéEs, particulièrement des femmes en précarisant les congés maternités qui ne sont plus comptés dans les indemnités, et avec comme mesure phare la réduction de 12 à 10 mois la période durant laquelle les salarié)-es doivent effectuer leur quota d’heures pour pouvoir prétendre au régime de l’intermittence. Autrement dit travailler plus pour gagner autant, ou moins, surtout que la baisse dramatique des budgets alloués à la culture détruisent festivals, compagnies et travailleur/ses du spectacle et de l’audiovisuel….
L’été 2003 a connu un grand mouvement de grève et d’annulations, dont celle, emblématique, du Festival D’Avignon. À cette période se sont également créés des CIP (Coordinations des Intermittents et Précaires) dans de nombreuses régions, toujours actives et grâce auxquelles la lutte a payé en 2014, autre année de forte mobilisation où de très nombreux spectacles ont été annulés.
En 2014, après de nouvelles grèves et annulations devant la menace de la suppression des annexes 8 et 10 définissant le régime des intermittentEs du spectacle et de l’audiovisuel, ces dernières avaient été sauvées, mais non améliorées, jusqu’à la prochaine négociation, où, suite au négociations déloyales de 2014 avec des mesures découvertes au dernier moment, l’État a prévu que des négociations du régime spécifique de l’intermittence puissent se faire en parallèle, dans un cadre certes contraint (Loi Rebsamen) entre les partenaires sociaux du spectacle, qui se tenait ce printemps.
Printemps 2016 de mobilisations contre la Loi El Khomri, à laquelle ont participé activement les intermittent-es, en œuvrant à la convergence des luttes car, comme le dit un de leur slogans : « ce que nous défendons, nous le défendons pour tous/tes ». En effet, l’attaque du régime de l’intermittence concerne chacun-e : dans une société de chômage de masse et de durée, où 80% des embauches se font en CDD, anéantir la spécificité de l’intermittence est indispensable pour la logique libérale du MEDEF, qui nous souhaiterait corvéables à merci, sans sécurité, c’est-à-dire sans droits, pour contrebalancer la flexibilité actuelle du monde du travail.
La loi El Khomri, comme précédemment la loi Macron, est dans la même optique : la casse des droits du travail, reprenant même dans son sein des mesures qui avaient été invalidées par le Conseil d’État en 2014, nous emmène vers toujours plus de précarité.
Dans les négociations de l’UNÉDIC de cette année, le MEDEF réclame 185 millions d’économies cette année, soit 25% de dépenses en moins et 400 millions d’ici à 2020. Et l’État devrait pallier le décalage des droits à hauteur de 80 millions. Or, il suffirait d’un changement de majorité (2017 n’est pas loin, et le MEDEF parie sur l’arrivée des ultra-libéraux), ou même seulement d’un peu plus d’austérité, pour que de ces 80 millions/an il n’en soit plus question. Mais plus grave : ce n’est pas à l’État d’indemniser les chômeuses et chômeurs mais à l’assurance chômage! Autrement dit à nos cotisations sociales, prévues pour cela… D’ailleurs, une augmentation des cotisations sociales, ainsi que la fin du plafonnement des cotisations (à partir d’une certaine somme, les cotisations n’augmentent plus avec le salaire), permettraient d’abreuver la caisse de l’assurance chômage et donc d’éviter de faire des économies sur le dos des chômeurs/ses, intermittent-es évidemment compris-es, et qui en subiraient les premièr-es les conséquences. Pour Lætitia Lafforgue, intermittente et ancienne présidente de la Fédération Nationale des Arts de la Rue, dans les menaces, le pire serait que l’État finance l’intermittence, car cela reviendrait à avoir une caisse séparée et acterait la fin de la solidarité interprofessionnelle.
Ceci alors qu’il nous faut réfléchir à une société avec du travail pour tous/tes, notamment via les 32h (voire les 30h?), où chacun-e puisse vivre décemment, malgré les aléas, ou les spécificités, de l’emploi et des emplois. Alors, le régime de l’intermittence ne pourrait-il pas être généralisé à d’autres secteurs ?
Ce qui se passe aujourd’hui :
Le 28 avril dernier, tous les partenaires sociaux du spectacle se sont entendus sur un accord : FESAC (employeurs/ses), CFDT, CFTC, CGT, FO, CFE-CGC (salariéEs), ce qui constituait déjà une victoire, et dont voici les principales mesures et avancées :
1 cachet = 12h
plafonnement à 70h d’enseignement ou 120h pour les plus de 50 ans pour les deux annexes et non plus 55h et 90h uniquement pour les artistes
5h/j sont comptabilisées et payées en cas de congé maternité ou d’arrêt maladie + dispositions particulières en cas d’ALD en non plus comptabilisées en heures à 0€
les formations constituent des heures de travail jusqu’à 338h
retour aux 507h sur 12 mois avec date anniversaire pour artistes (annexe 10) et technicien-nes (annexe 8) pour être intermittent-e au lieu de 10 mois
plafond à 10 heures par jour, 48 heures par semaine et 208 heures par mois
pour les personnes ayant le statut depuis au moins 5 ans, si au moins 338h dans les 12 dernier mois le statut est prolongé de 6 mois
prise en compte des congés payés dans le calcul de la durée de travail
augmentation progressive de 12,1 à 13,8% des cotisations des employeurs/ses
mise en place d’une commission paritaire
fin du cumul indemnisations et congés payés
plafonnement indemnités et salaire à 3800€/mois ajouté le 23 mai
(pour lire l’accord en entier : http://www.liberation.fr/france/2016/04/28/ce-que-contient-le-projet-d-accord-sur-les-intermittents_1449158)
Cet accord n’a pas été signé par le MEDEF, puisqu’il sort de sa lettre de cadrage avec sa demande de 185 millions d’€ d’économie, dont 80 pris en charge par l’État, suivi en ce sens par la CFDT confédérale (et non la branche spectacle qui a signé l’accord). Pour combler le déficit de l’UNEDIC (qui est garanti par l’État, comme celui de la Sécu), il y a deux solutions : augmenter les cotisations ou baisser les droits. Le patronat exclue toute augmentation, même symbolique, des cotisations patronales, et propose la baisse des droits et des allocations, notamment pour les plus faibles. Or, l’accord du 28 avril propose l’inverse.
Ce jeudi 16 juin, par communiqué (voir ICI), la Ministre du Travail annonce : « comme la loi le prévoit, à défaut d’accord entre partenaires sociaux, les mesures d’application du régime d’assurance chômage sont déterminées par le Gouvernement, par décret en Conseil d’État. Dès demain, le Gouvernement prendra donc des dispositions en ce sens afin d’assurer sans délai la continuité de l’indemnisation chômage en prorogeant la convention d’assurance chômage actuellement en vigueur au-delà du 30 juin, date à laquelle elle devait prendre fin. Par ailleurs, et sans attendre, le Gouvernement transposera dans les règles de l’assurance chômage l’accord unanime signé le 28 avril 2016 par les partenaires sociaux du spectacle. » Et, petite pépite : « Le Gouvernement constate que l’attitude du patronat a conduit au blocage. » Si seulement elle pouvait avoir la même lucidité sur la loi qui porte son nom…
Le même jour, Samuel Churin, figure du CIP-IDF écrivait : « 26 JUIN 2003 – 16 JUIN 2016. L’accord sur l’assurance chômage des intermittents contre lequel nous nous battons depuis 13 ans va être remplacé par l’accord du 28 avril. Cette longue parenthèse pendant laquelle beaucoup d’intermittents ont été précarisés d’avantage est refermée. A partir de mi-juillet c’est 507 h 12 mois avec ouverture de droits sur une période de 12 mois pour tout le monde. (…) Nous nous battons toujours contre la loi El Khomri et son monde mais nous pouvons crier, hurler VICTOIRE avant de continuer. Notre parenthèse sera plus courte et plus joyeuse que la leur !
Cette victoire est emblématique de la lutte. Elle prouve évidemment que la lutte paye, qu’il ne faut pas baisser les bras, et que OUI c’est possible.
Mais cette victoire n’est pas éternelle, à chaque discussion de convention d’assurance chômage le régime spécifique des intermittents sera remis en cause.
Cette victoire est due à l’action de toutes celles et tous ceux qui ont au moins une fois participé à la mobilisation. Je pense notamment aux grévistes qui ont dû se demander depuis ces treize longues années si leur grève servirait un jour à quelque chose.
Cette victoire nous engage à étendre l’intermittence du spectacle à toute l’intermittence de l’emploi. Nous ne pouvons pas continuer à accepter que d’autres précaires voient leurs droits diminuer. (…) Continuons sans relâche à lutter pour une société plus juste et rendons illégal ce qui est illégitime. »
Certes, il y a là une victoire, et elle n’est pas à négliger.
Mais… : « le Gouvernement souhaite qu’à la rentrée les partenaires sociaux puissent reprendre des négociations en vue d’aboutir à un accord sur le régime général d’assurance chômage. » nous écrit aussi Mme El Khomri dans son communiqué. Et c’est bien « Dans l’attente d’un prochain accord » que « les règles actuelles sont prolongées sauf en ce qui concerne les annexes 8 et 10 qui intègreront pour leur part les nouvelles dispositions issues de l’accord des partenaires sociaux du spectacle. »
Il faut prendre en compte, que les négociations du régime général d’assurance-chômage a capoté, rappelle Denis Gravouil, secrétaire général de la CGT-Spectacle, et tant mieux selon lui car sinon il y aurait eu une baisse des droits, mais en ce cas, l’accord du 28 avril aurait dû être accepté… D’où la prorogation par décret de l’actuelle assurance-chômage générale.
Pour Lætitia Lafforgue, ce décret ne sert qu’à éviter l’annulation des festivals cet été, et la non-signature du MEDEF est une tactique à cette même fin. Comme la négociation doit reprendre en septembre, on ne peut pas parler de victoire, mais même au contraire de « supercherie » : les festivals de l’été constituent un fort moyen de pression des salariéEs du spectacle, une fois la saison finie, le rapport de force ne sera plus aussi favorables aux intermittent-es… Selon Denis Gravouil, les renégociations échoueraient de toute façon à l’automne, et une fois que l’accord sera mis en œuvre une autre bataille commencera : défendre ce qui aura été conquis.
Paul-Marie Plaideau (P.-M. P.), intermittent en lutte depuis 2003, membre critique du CIP-LR comprend qu’on célèbre la victoire et qu’on s’en serve comme un possible pour toutes les luttes, un exemple à suivre car la ténacité finit par payer. De plus, l’accord est parfaitement satisfaisant, car il contient toutes les revendications depuis le début, venant de l’expertise des premièrEs concernéEs, et normalement vertueux car devrait permettre d’éviter les sous-déclarations et encourager la déclaration réelle des heures travaillées. Mais il continue d’affirmer que tant que 10 chômeurs/ses sur 10 ne seront pas indemniséEs et que tous les gens qui sont dans la discontinuité de l’emploi ne bénéficient pas des mêmes droits que celleux du spectacle, que la loi Travail n’est pas retirée, la victoire n’est que partielle. Et ténue car il faut attendre mi-juillet pour validation puis la mise en place, et pour combien de temps? Car reste l’assurance chômage, qui ne change pas, et sera renégocier plus tard, et alors qu’en sera-t-il de celle des intermittentEs ? D’autant que El Khomri veut réduire la liste des métiers éligibles à l’intermittence et que l’État s’encage à combler l’écart avec la lettre de cadrage (12Md’€), ce qui est, pour lui également, un grand risque.
Ce qui est très positif, selon P.-M. P., est que plusieurs milliers d’intermittent-es auront leurs droits rouverts, il y aura donc moins de précarisation, et que les économies seront faites par le haut avec l’abaissement des plafonnements des revenus et l’augmentation des cotisations patronales. Cet accord montre l’exemple de ce que devraient faire les grandes entreprises au régimes général pour soutenir l’assurance chômage, qui rappelons-le est du salaire socialisé qui permet la solidarité entre tous/tes et bénéficie à chacun-e, au lieu d’aller dans les poches des actionnaires et autres PDG… C’est aussi signe positif pour tous les gens qui luttent pour leurs droits : on peut y arriver, mais cette belle victoire n’est que très partielle (uniquement les intermittent-es). La victoire actée, pour Lætitia Lafforgue, est qu’au bout de 13 ans, salarié-es et employeurs/ses du spectacle se sont mis d’accord.
La CGT-Spectacle assure qu’elle surveille la transposition avec grande attention pour que toutes les dispositions soient prises en compte. Elle parle de victoire avec sursis et limitée aux intermittent-es alors qu’il aurait fallu plus de droits pour tous/tes mais d’une victoire quand même : les salarié-es ont réussi faire passer leurs propositions, il n’y a donc pas eu de statu quo ou de baisse des droits mais bien une réelle avancée et un progrès social. Un bel espoir pour la suite, et Denis Gravouil d’ajouter que la mobilisation contre la loi travail continue !
En ces temps de lutte et de projets gouvernementaux de reculs sociaux, chaque victoire est à compter et à faire connaître. Espérons que celle-ci, surtout au bout de 13 ans de lutte – c’est un peu long – amènera du baume au cœur à tous/tes et quelque répit aux intermittent-es. Mais ne vous inquiétez pas, dans deux ans, aux prochaines négociations où seront encore remise en cause les annexes 8 et 10, la bataille reprendra de plus belle…
Marjolaine Christien Charrière