En 2017, Bezalel Smotrich, chef du parti Sionisme religieux, a fait adopter par son parti un plan surnommé « Plan décisif d’Israël » pour résoudre le conflit avec les Palestiniens. Jean-Paul Leroux examine ce plan et relève l’étrange parenté entre deux auteurs que tout devrait séparer : Smotrich et Hitler.
Sur l’isomorphie politique entre Smotrich – ministre de l’Économie et des Territoires occupés d’Israël – et Hitler
Par Jean-Paul LEROUX. Le 13 juin 2024
Une isomorphie est la possibilité de faire une bijection entre les éléments de deux ensembles. Cette opération permet de rendre visible, au-delà d’apparences contradictoires, une même structuration d’espaces mathématiques, de logiques, de pensées, de positionnement politique, etc.
Bien entendu, isomorphie ne signifie pas identité en mathématiques. Dans les domaines de la pensée philosophique, politique, utopiste, etc. la question peut, ironiquement ou dramatiquement, se poser. De l’isomorphisme à l’identité, chaque lecteur tranchera.
Pour notre présentation, nous utiliserons des textes de chaque auteur.
Pour Smotrich, notre analyse part de deux textes. D’une part « Le plan décisif d’Israël ». Ce texte est disponible en anglais « Israel’s Decisive Plan ». HaShiloh, revue israélienne de pensée et de politique, l’a publié en 2017. D’autre part un entretien que Smotrich a accordé à Ravit Hecht, journaliste du Haaretz, en décembre 2016 et qui est repris dans le Haaretz du 7 juin 2024.
Pour Hitler nous utilisons la traduction de Mein Kampf, paru aux Nouvelles Lettres Latines, Paris, en 1937.
1. Des penseurs hétéronomes sous la domination de puissances transcendantes.
a) Smotrich :
« Je suis un croyant. Je crois au Saint, béni soit-il, à son amour pour le peuple juif et à sa providence à son égard. Je crois en la Torah qui a annoncé l’exil et promis la rédemption. Je crois aux paroles des prophètes qui ont assisté à la destruction, et non moins à la construction renouvelée qui a pris forme sous nos yeux.
Je crois que l’État d’Israël est le début de notre rédemption, l’accomplissement des prophéties de la Torah et des visions des prophètes1Bezalel Smotrich, Le plan décisif d’Israël, in la revue HaShiloh (2017), https://hashiloach.org.il/israels-decisive-plan/ p. 1-2.. »
b) Hitler :
« Je crois agir selon l’esprit du Tout-Puissant, notre créateur, car : En me défendant contre le juif, je combats pour défendre l’œuvre du Seigneur »2Hitler, Mon Combat, in Nouvelles Éditions Latines, Paris, p. 71-72.
2. Dieu leur donne à chacun une mission terrestre.
a) Smotrich :
« Je crois au lien vivant entre le peuple d’Israël et la terre d’Israël, au destin et à la mission du peuple juif pour le monde entier, et à la vitalité de la terre d’Israël pour assurer la réalisation de cette cause. (…) Je crois que l’aspiration de plusieurs générations à cette terre et la confiance dans notre retour final sont les forces motrices les plus profondes de la progression du retour à Sion qui a conduit à la création de l’État d’Israël.
Néanmoins, le document qui vous est présenté ne contient rien qui soit fondé sur la foi. Il ne s’agit pas d’un manifeste religieux mais d’un document réaliste, géopolitique et stratégique. Il s’appuie sur une analyse de la réalité et de ses causes profondes, et se fonde sur des hypothèses factuelles, historiques, démocratiques, sécuritaires et politiques. (…)
Ce document est pragmatique, mais il s’inscrit confortablement dans ma vision du monde fondée sur la foi. Ceux qui le souhaitent peuvent n’y voir qu’une solution politique pratique ; les autres sont invités à y voir une rencontre entre foi et réalisme, entre vision et réalité3Bezabel Smotrich, Le plan décisif d’Israël, in la revue HaShiloh (2017), https://hashiloach.org.il/israels-decisive-plan/ p. 2.».
b) Hitler :
« Une heureuse prédestination m’a fait naître à Braunau-am-Inn, bourgade située précisément à la frontière de ces deux États allemands dont la nouvelle fusion nous apparaît comme la tâche essentielle de notre vie, à poursuivre par tous les moyens »4Hitler, Mon Combat, in Nouvelles Éditions Latines, Paris, p. 17..
3. Une tâche divine d’unification des territoires.
a) Smotrich :
« L’existence continue des deux aspirations nationales conflictuelles sur notre petit morceau de territoire garantira encore de nombreuses années d’effusion de sang et de conflit armé. Ce n’est que lorsque l’une des parties cédera, de gré ou de force, et renoncera à ses aspirations nationales sur la Terre d’Israël, que la paix souhaitée s’installera.5Bezalel Smotrich, Le plan décisif d’Israël, in la revue HaShiloh (2017), https://hashiloach.org.il/israels-decisive-plan/ p. 3. »
En clair, sur l’espace entre le Jourdain et la mer, il ne peut y avoir qu’un seul territoire, celui d’Israël en tant que socle d’un État Juif !
Lors de l’entretien au Haaretz de 2016 ses propos sont encore plus clairs et sa position est devenue celle du gouvernement israélien actuel. Tout comme Smotrich l’avait prévu à l’époque, le gouvernement actuel a déclaré dans ses directives de coalition que le peuple juif avait un droit exclusif et inattaquable sur toute la Terre d’Israël. 6L’expression « toute la Terre d’Israël pose le problème des limites de ce « toute », voir point 5..
b) Hitler :
Comme on l’a vu, il pense recevoir la mission d’unifier tous les territoires où se trouvent des Allemands et comme il le dit : « la nouvelle fusion nous apparaît comme la tâche essentielle de notre vie, à poursuivre par tous les moyens »7Hitler, Mon Combat, in Nouvelles Éditions Latines, Paris, p. 17..
4. Cette mission implique une « purification » des populations qui occupent « indûment » ces territoires.
a) Smotrich :
Hecht lui demanda comment il allait détruire leur espoir [des Palestiniens d’avoir un État], et il répondit :
« Lorsque Josué Ben Nun [le prophète biblique] entra dans le pays, il envoya trois messages à ses habitants : ceux qui veulent accepter [notre règne] accepteront ; ceux qui veulent partir, partiront ; ceux qui veulent se battre, se battront. La base de sa stratégie était : Nous sommes ici, nous sommes venus, c’est à nous.
Maintenant aussi, trois portes seront ouvertes, il n’y a pas de quatrième porte. Ceux qui veulent partir – et il y en aura qui partiront – je les aiderai. Quand ils n’ont plus d’espoir et pas de vision, ils partent. Comme ils l’ont fait en 1948. »
— Et ceux qui ne partent pas et ne vous acceptent pas comme puissance souveraine – à mon avis, c’est la plupart des Palestiniens ? a demandé Hecht.
— Ceux qui ne partiront pas accepteront soit la domination de l’État juif, auquel cas ils pourront rester, et quant à ceux qui ne le feront pas, nous les combattrons et les vaincrons », a répondu Smotrich.
— Comment ? Soyez concret, l’a poussé Hecht.
— Avec une armée, avec des armes », répondit-il. « Que voulez-vous dire, « comment » ? C’est ce que nous avons fait en 1948 – nous nous sommes battus et nous avons gagné.8Entretien accordé à Ravit Hecht du Haaretz et publié en décembre 2016, repris dans le Haaretz du 7 juin 2024. »
b) Hitler :
Il n’est, sans doute, pas besoin de citations de cet auteur, car ce qu’il fit en politique d’extermination est très bien documenté. Cependant, juste deux citations, prises quasiment au hasard, dans Mon Combat. À propos des juifs :
« Ce ne sont pas les princes et les maîtresses des princes qui marchandent les frontières des États, mais c’est maintenant l’inexorable Juif cosmopolite qui combat la domination des autres peuples. Aucun d’eux ne peut écarter cette main de sa gorge autrement que par le glaive.
Seule, la force rassemblée et concentrée d’une passion nationale, peut, d’un sursaut, braver les menées internationales qui tendent à réduire les peuples en esclavage. Mais un tel geste ne saurait aller sans effusion de sang.9Hitler, Mon Combat, in Nouvelles Éditions Latines, Paris, p. 649.»
et
« Pas plus que quelque puissance supérieure n’aurait promis à un autre peuple plus de territoire qu’au peuple allemand, ou pas plus qu’elle se trouverait au contraire offensée par cette injuste répartition du sol ; pas plus nos ancêtres n’ont reçu en don du ciel le sol où nous vivons aujourd’hui : ils ont dû le conquérir en combattant au péril de leur vie.
De même, dans l’avenir, ce n’est pas la grâce « raciste » qui donnera à notre peuple le sol, et avec lui les moyens d’existence, mais seule la puissance du glaive victorieux pourra l’obtenir. 10Hitler, Mon Combat, in Nouvelles Éditions Latines, Paris, p. 651.»
5. Une imprécision volontaire : celles des limites des territoires « convoités ».
a) Smotrich :
Sur l’expression « toute la Terre d’Israël ».11Référence aux notes 5 et 6.
Les mots « Toute la Terre » introduisent, dans le discours de Smotrich, une indécision sur les limites géographiques de cette « Terre d’Israël ».
Smotrich parle de la Terre entre le Jourdain et la mer, mais ne dit rien des limites avec le Liban et surtout avec la Syrie, dont l’État d’Israël occupe, déjà, une partie du territoire. La frontière avec l’Égypte n’est pas en cause pour le moment.
Reste la question de Gaza. L’intégrer ou pas dans le « toute la Terre d’Israël » est aussi indéterminée dans son discours. Il y a là, une ouverture vers des possibilités d’expansion pour occuper un espace que l’on pourrait nommer « l’espace vital ».
b) Hitler :
« La politique extérieure de l’État raciste doit assurer les moyens d’existence sur cette planète de la race que groupe l’État, en établissant un rapport sain, viable et conforme aux lois naturelles entre le nombre et l’accroissement de la population d’une part, l’étendue et la valeur du territoire d’autre part. (…) Seul un territoire suffisant sur cette terre assure à un peuple la liberté de l’existence.12Hitler, Mon Combat, in Nouvelles Éditions Latines, Paris, p. 640-641. »
On reconnaît la mise en œuvre du concept « espace vital », très à la mode au début du XXᵉ siècle, à la suite des travaux de F. Ratzel.
La différence entre nos deux auteurs, c’est que chez Smotrich, la notion de « toute la Terre d’Israël » a un fondement religieux alors que, chez Hitler, elle est biologique. Dans Mon Combat, sa référence est « la lutte pour la vie ». Mais dans les deux cas, les limites seront posées, en dernière instance, par la force (voir le point 4).
6. Les conquêtes ou les reconquêtes sont une entreprise hautement morale.
a) Smotrich :
« D’un point de vue historique, international et religieux, le projet sioniste de retour du peuple juif sur sa terre après deux mille ans d’exil13L’existence d’’un « exil » est discutée par les historiens, cf. par exemple : A.A.Cohen et P. Mendes-Flohr, Contemporary Jewish Religious Thought. Original Essays on Critical Concept, Movements, and Beliefs, New York, Free Press, 1988 et A.M. Eisen Galut. Modern Jewish Reflection on Homelessness and Homecoming, Bloomington Indiana University Press, 1986.
Quoi qu’il en soit de la réalité de cet « exil », il semble totalement irrationnel, au nom d’une histoire ancienne, de vouloir reconquérir un territoire. Sinon, la Macédoine pourrait revendiquer la conquête de l’Égypte et de la Perse. L’Italie, au nom de l’Empire Romain pourrait désirer dominer le bassin méditerranéen. L’Espagne entreprendre de réoccuper l’espace de Charles Quint et la Turquie recomposer son empire, etc.
La zone géographique dite « Israël » ou « Palestine » a toujours été un carrefour de civilisations, un lieu de passage, de commerce, d’échanges culturels. Se revendiquer d’un moment de cette histoire pour justifier une propriété exclusive sur cet espace serait juridiquement risible si les conséquences de ce récit mythique n’étaient pas si dramatiques.
L’expression de « retour sur sa terre » nie l’existence de toutes les autres civilisations qui ont marqué ce lieu de leurs empreintes. C’est un récit que l’on peut aisément qualifier de « révisionniste ».
À l’heure actuelle, le seul fondement de cet État, est sa reconnaissance par l’ONU, le 25 novembre 1947. Son existence, dépend du droit international. Il est donc totalement contre productif pour Israël de ne pas respecter les résolutions de l’ONU. Une partie importante de l’opinion israélienne et des journaux comme le Haaretz, le répète souvent : sans le droit international l’existence d’Israël est menacée.
Mais Smotrich et Netanyahu sont sourds !, d’errance et de persécution, est l’entreprise la plus juste et la plus morale qui ait eu lieu au cours des derniers siècles.14Bezabel Smotrich, Le plan décisif d’Israël, in la revue HaShiloh (2017), https://hashiloach.org.il/israels-decisive-plan p.5. ».
b) Hitler :
« Je prendrai encore brièvement position sur la question de savoir dans quelle mesure la revendication de territoires est légitimée moralement. (…)
Nous autres nationaux-socialistes, nous devons nous en tenir d’une façon inébranlable au but de notre politique extérieure : assurer au peuple allemand le territoire qui lui revient en ce monde. Et cette action est la seule qui, devant Dieu et notre postérité allemande, justifie de faire couler le sang : devant Dieu, pour autant que nous avons été mis sur cette terre pour y gagner notre pain quotidien au prix d’un perpétuel combat »15Hitler, Mon Combat, in Nouvelles Éditions Latines, Paris, p. 647 et 650..
L’étrange parenté isomorphique entre deux auteurs que tout devrait séparer, est des plus glaciale.
Smotrich, ministre de l’Économie de l’État d’Israël, structure sa pensée selon une organisation, de l’hétéronomie à la justification morale, qui est bijective avec la structuration hitlérienne.
Dans les deux cas, on a le rejet de certaines composantes de l’humanité, les Palestiniens pour l’un, les Juifs pour l’autre.
Dans les deux cas, nous avons des formules très claires de positions racistes intégrales.
Il est particulièrement effrayant de voir Smotrich structurer son discours selon une organisation bijective avec celle de Hitler. Jaillit alors ce que Freud nomme unheimlich, cette inquiétante étrangeté qui jette un voile sur le visage de Smotrich.
Comment un croyant comme lui peut-il se réaliser comme être humain dans cette proximité qui le condamne intellectuellement et moralement ?
Notes
- 1Bezalel Smotrich, Le plan décisif d’Israël, in la revue HaShiloh (2017), https://hashiloach.org.il/israels-decisive-plan/ p. 1-2.
- 2Hitler, Mon Combat, in Nouvelles Éditions Latines, Paris, p. 71-72.
- 3Bezabel Smotrich, Le plan décisif d’Israël, in la revue HaShiloh (2017), https://hashiloach.org.il/israels-decisive-plan/ p. 2.
- 4Hitler, Mon Combat, in Nouvelles Éditions Latines, Paris, p. 17.
- 5Bezalel Smotrich, Le plan décisif d’Israël, in la revue HaShiloh (2017), https://hashiloach.org.il/israels-decisive-plan/ p. 3.
- 6L’expression « toute la Terre d’Israël pose le problème des limites de ce « toute », voir point 5.
- 7Hitler, Mon Combat, in Nouvelles Éditions Latines, Paris, p. 17.
- 8Entretien accordé à Ravit Hecht du Haaretz et publié en décembre 2016, repris dans le Haaretz du 7 juin 2024.
- 9Hitler, Mon Combat, in Nouvelles Éditions Latines, Paris, p. 649.
- 10Hitler, Mon Combat, in Nouvelles Éditions Latines, Paris, p. 651.
- 11Référence aux notes 5 et 6.
- 12Hitler, Mon Combat, in Nouvelles Éditions Latines, Paris, p. 640-641.
- 13L’existence d’’un « exil » est discutée par les historiens, cf. par exemple : A.A.Cohen et P. Mendes-Flohr, Contemporary Jewish Religious Thought. Original Essays on Critical Concept, Movements, and Beliefs, New York, Free Press, 1988 et A.M. Eisen Galut. Modern Jewish Reflection on Homelessness and Homecoming, Bloomington Indiana University Press, 1986.
Quoi qu’il en soit de la réalité de cet « exil », il semble totalement irrationnel, au nom d’une histoire ancienne, de vouloir reconquérir un territoire. Sinon, la Macédoine pourrait revendiquer la conquête de l’Égypte et de la Perse. L’Italie, au nom de l’Empire Romain pourrait désirer dominer le bassin méditerranéen. L’Espagne entreprendre de réoccuper l’espace de Charles Quint et la Turquie recomposer son empire, etc.
La zone géographique dite « Israël » ou « Palestine » a toujours été un carrefour de civilisations, un lieu de passage, de commerce, d’échanges culturels. Se revendiquer d’un moment de cette histoire pour justifier une propriété exclusive sur cet espace serait juridiquement risible si les conséquences de ce récit mythique n’étaient pas si dramatiques.
L’expression de « retour sur sa terre » nie l’existence de toutes les autres civilisations qui ont marqué ce lieu de leurs empreintes. C’est un récit que l’on peut aisément qualifier de « révisionniste ».
À l’heure actuelle, le seul fondement de cet État, est sa reconnaissance par l’ONU, le 25 novembre 1947. Son existence, dépend du droit international. Il est donc totalement contre productif pour Israël de ne pas respecter les résolutions de l’ONU. Une partie importante de l’opinion israélienne et des journaux comme le Haaretz, le répète souvent : sans le droit international l’existence d’Israël est menacée.
Mais Smotrich et Netanyahu sont sourds ! - 14Bezabel Smotrich, Le plan décisif d’Israël, in la revue HaShiloh (2017), https://hashiloach.org.il/israels-decisive-plan p.5.
- 15Hitler, Mon Combat, in Nouvelles Éditions Latines, Paris, p. 647 et 650.