Quels rôles des mouvements politiques et citoyens, pour quelles politiques ?
Nous sommes , l’humanité et la planète, déjà en situation de catastrophe, face à une urgence et à une injustice climatique de plus en plus fortes. Faute de politiques radicales nous avons affaire à une situation doublement dramatique du point de vue de l’humanité :
– possibilité d’échec à juguler le réchauffement climatique, conduisant à une situation à + 4 degrés et de très graves conséquences sur les conditions de vie,
– déni d’humanité des plus grands pollueurs (firmes, pays et couches riches) vis-à-vis des autres pays et des couches défavorisées, avec de forts risques de conflits pour l’accès à l’eau et à la terre.
* Malgré des rapports du GIEC de plus en plus inquiétants : dérèglement plus rapide que prévu et conséquences du dérèglement actuel de plus en plus graves, conséquences cumulatives et incertaines,
* Malgré le fort développement de la prise de conscience, de la mobilisation dans des formes de plus en plus diversifiées, des comportements alternatifs, on ne peut que constater leur faible effet sur les décisions politiques et sur les choix collectifs et individuels.
Ainsi, un nombre croissant de personnes et de réseaux militants estiment de plus en plus improbable d’aboutir à une issue acceptable limitant la hausse à 2 degrés avec des mesures justes au plan social. Ce point de vue résulte de l’ampleur et de la difficulté des changements au sein du système et des sociétés capitalistes dans un monde fragilisé (Etats et Communauté internationale). Désespoir, collapsologie, abandon, recherche de nouvelles formes d’action et de stratégie, sont quelques-unes des attitudes dans un mouvement très divers et fragmenté dans les pays et parmi les couches sociales mobilisées, à côté de très faibles mobilisations au sein des pays et des couches les plus touchées et menacées.
Cette situation climatique, écologique, sociale interpelle plus que jamais l’ensemble des forces, politiques, syndicales, citoyennes, de transformation sociale et écologique. Ensemble, ces forces doivent faire de cet enjeu une priorité absolue et travailler à une stratégie possible.
1 Eléments pour une stratégie gagnante
Face au capitalisme néolibéral et guerrier comment limiter la catastrophe et échapper au cataclysme (D. Tanuro) ? Attendre la solution d’une future COP est illusoire, compte tenu des renoncements des Etats les plus pollueurs. Faute d’avancée internationale globale probable alors qu’elle serait indispensable tout en étant contraignante, il s’agit de redonner espoir et d’imposer un certain nombre de ruptures importantes au sein de plusieurs pays, signataires d’un accord international partiel et susceptibles ensuite d’imposer un nouvel accord mondial. Cette stratégie, implicite dans certains mouvements, doit pouvoir être partagée par l’ensemble des forces engagées sur la question climatique, avec des traductions concrètes variées.
1.1 Dans cette stratégie, les forces politiques doivent nettement renforcer leur travail.
Elles doivent prendre en compte la nature politique de la question climatique et son caractère central pour les autres dimensions de la solution.
Ce travail doit déboucher sur un projet susceptible d’unifier les couches populaires avec un projet co-élaboré, juste et mobilisateur, prenant en compte les différents aspects écologiques et sociaux ; pour des politiques justes et efficaces contre les forces dominantes, notamment pour réduire rapidement le rôle des firmes exploitant les énergies fossiles, en offrant des appuis et des débouchés aux mouvements citoyens.
La mise en œuvre de ce projet doit articuler, toutes les échelles, notamment l’échelle internationale où pèsent trop les Etats et les firmes qu’il s’agit de contrôler. Il doit aussi articuler, dans la durée, les divers changements du système productif (finalités, transition énergétique, technologie, emploi, travail) et ceux des modes de consommation.
Le contenu de cette dimension politique implique un fort mouvement citoyen car il s’agit, à terme, d’un changement de système et de société.
1.2 L’indispensable mobilisation citoyenne
Face à la question climatique, chaque habitant de la planète est à la fois pollueur et victime de la pollution des autres ; nous tous sommes à la fois en capacité de réaliser des changements concrets (échelle individuelle) et de participer aux choix publics (échelle de la société). Il en résulte plusieurs obligations : modifier nos pratiques de consommateur, éventuellement de producteur, participer à des alternatives collectives et à des résistances et, collectivement, agir sur les politiques menées.
Ces différentes facettes dans les multiples lieux de la décision climatique, constituent la base de la mobilisation, la base du renforcement nécessaire d’un « mouvement citoyen » fort et diversifié dans ses projets et ses actions : des manifestations, des actions concrètes alternatives, des résistances (agriculture paysanne …), des luttes (OGM, NDdL, triangle de Gonesse, …), des revendications et des propositions. Il peut reposer sur diverses articulations comme celle sur l’écologisation de l’agriculture et la transformation de l’alimentation, lutte écologique et défenses des peuples d’origine, luttes féministes, …
Ce mouvement ne peut être fort sans traduction politique. Et il ne peut y avoir de projet politique sans mouvement citoyen, notamment face à la transformation de l’économie. Actuellement, pour le cas de la France, le mouvement citoyen manque à la fois de stratégie et d’organisation, indispensables pour donner force à la mobilisation, et les forces politiques d’alternative sont dans l’incapacité de jouer un rôle significatif.
1.3 Ensemble pour « changer le système pas le climat » !
Ce mot d’ordre de la société civile pour la COP 21 de décembre 2015 peut, pour une courte période, être fédérateur et permettre diverses formes et objectifs de mobilisation au sein du mouvement et des forces politiques qui l’accompagnent. Il permet aussi de combiner deux temporalités, deux phases : celle de relatif court terme (2030), de ne pas dépasser la hausse jusqu’à deux degrés, déjà fortement engagée, celle ensuite de stabiliser cette situation.
La première, de l’urgence et de la justice climatique, nécessite de forts changements notamment au service des pays les plus menacés par le dérèglement et pour éviter à tous de passer de la catastrophe au cataclysme. Ces changements importants ne seront probablement pas, faute du temps nécessaire, un réel « changement de système », mais seront conduits « pour qu’un nouveau système durable et équitable puisse émerger » (Th Piketty), pour assurer la stabilisation du climat à + 2 degrés.
Il faut donc coordonner rapidement les forces citoyennes et politiques pour contraindre les puissances économiques à des changements radicaux, dans une démarche de transition. Dans la phase actuelle le mot d’ordre « changer de système » est lui même suffisamment polysémique et porteur de pratiques diverses mais convergentes pour englober tous les changements nécessaires au présent et dans le futur proche, pour constituer un bon mot d’ordre de ralliement des mouvements citoyens larges et de mouvements politiques radicaux, pour constituer la matrice de l’articulation entre mobilisation citoyenne et projet politique alternatif.
C’est dans ce cadre stratégique que le travail politique doit se développer, en synergie avec les pays les plus victimes du dérèglement.
2. Les politiques prioritaires et nos propositions dans le cadre de cette stratégie
Nos propositions doivent :
– s’insérer dans un projet rendant crédible et possible une alternative en articulant le long terme et l’urgence autour du mot d’ordre « changer le système ».
– prendre appui sur une critique radicale de la « stratégie » des pouvoirs politiques et économiques, en place en France et en Europe.
– favoriser l’implication des militants et des citoyens : pratiques alternatives, luttes contre les pouvoirs en place, contributions aux politiques alternatives.
2.1 L’énergie au centre des priorités et des difficultés.
L’énergie d’origine fossile constitue le « cœur » (par les majors et les Etats) et le « sang » (en raison de sa place dans les profits, les systèmes productifs, les échanges) du système capitaliste. L’objectif de « neutralité carbone en 2050 », de plus techniquement difficile, ne doit être affiché qu’en réunissant les conditions nécessaires. Ainsi, les trois modalités « techniques » de la transition énergétique : réduction, efficacité et remplacement rapide des énergies fossiles par des énergies renouvelables, doivent être présentées dans un projet politique d’ensemble intervenant sur les conditions de la production et de la consommation d’énergie avec modification des fondements du système actuel :
– pour réduire rapidement la place et le poids des énergies fossiles, en combinant coordination, planification, et coercition en production d’énergie fossile : moratoire sur les nouveaux projets, limitation drastique des financements publics et privés (dont interdiction des participations bancaires), d’autres relations internationales ; pour les énergies renouvelables : financements adaptés, politique de l’emploi et de la recherche ;
– pour réduire rapidement l’utilisation d’énergie, dans la production et les échanges : modifier fondamentalement les logiques productives en combinant la mise au point et l’usage de nouvelles technologies, la réduction des productions très énergivores, des grands projets, des échanges, … L’application, en tête du cycle aux technologies et aux systèmes non vertueux, de taxes atteignant progressivement un niveau élevé, pourrait constituer une partie de la solution ;
– du côté des usages domestiques (logement, déplacements, alimentation, habillement, santé …) : combiner de fortes modifications des conditions d’offre et des comportements (réduction de la publicité, du poids de l’idéologie consumériste, information, …) pour atteindre des changements significatifs.
En complément, une bataille idéologique doit être menée contre le « verdissement », la « 3ème révolution industrielle » (Jeremy Rifkin), et autres technicismes insuffisants et nocifs.
2.2 Les actions prioritaires
* En agriculture de fortes réductions d’émission de GES résident dans le changement des systèmes de production productivistes. L’alimentation doit aussi fortement contribuer à la réduction des GES : moins de produits transformés, moins de produits importés, moins de viande et produite dans des systèmes satisfaisants, relocalisation … Ces transformations, nécessairement globales, impliquent un choix de société et une réorientation des politiques, dont européenne (PAC), pour le renforcement des systèmes écologiques (AB, Agriculture Paysanne, agroécologie), l’aide à la transformation progressive vers l’agroécologie de ceux en cours de passage au productivisme, la modification rapide des systèmes productivistes.
Les changements positifs en cours (circuits courts, développement de l’AB, modification des habitudes alimentaires), ne permettent pas d’atteindre les objectifs, notamment au service des couches et des quartiers populaires ; il faut une transition agricole complète avec réduction du pouvoir des firmes de l’agroalimentaire et du commerce (contrôle des prix et des marges, interdiction des produits nocifs à la santé et à l’environnement, …), dans le cadre d’autres relations internationales.
• Transports et Déplacements, logement
L’accélération des transformations dans ces domaines est particulièrement nécessaire pour les raisons climatique et sociale : il faut que les pouvoirs publics (Etat et collectivités) poussés par les citoyens, parviennent à des situations satisfaisantes dans les dix ans.
– La rénovation énergétique des logements, nécessite une forte mobilisation des collectivités locales et des habitants dans le cadre d’une politique nationale plus ambitieuse en matière de crédits et subventions ; elle doit être accompagnée d’une amélioration qualitative et quantitative du parc, en réponse aux besoins sociaux et climatique ;
– Pour les déplacements des personnes, il s’agit de réduire le plus possible la place de la voiture au profit des transports publics et des modes actifs (vélo, marche …). En agglomération, les collectivités et les citoyens disposent d’une importante palette de moyens en matière d’infrastructure et de types de services (gratuité totale ou non ).
Pour l’aérien, l’harmonisation des prix des carburants et de la réglementation est indispensable avec incitation à changer de comportement. Il faut aussi symétriquement restreindre les gros paquebots de voyageurs.
– Le transport routier de marchandises nécessite une politique globale allant des infrastructures (améliorations nécessaires pour le ferroviaire) à la réglementation et au rétablissement des coûts réels dans le prix des transports routiers. Globalement, tout ce qui relève des transports doit être pensé dans une dynamique de sobriété. Il faut donc interdire toute grande nouvelle infrastructure qui « appelle » les voitures, les camions, les avions et les bateaux.
3. Conclusion : climat et transition écologique et sociale
L’établissement et l’application d’une politique climatique rapidement efficace (« le climat c’est maintenant »), préparant à un changement de système rendant pérenne et juste un climat à + 2 degrés maximum, doivent être intégrés dans un projet et une démarche de transition écologique et sociale. Celle-ci repose inévitablement sur la mobilisation des mondes du travail : la transition est une opportunité pour repenser notre rapport au travail, en imposant une réflexion sur l’utilité sociale et la viabilité écologique de nos choix de production et de consommation.
La catastrophe est en cours, nous devons tout faire pour éviter le cataclysme.
Michel Buisson 15/12/19