Notre camarade Chiaka est revenu récemment du Mali. Il a accepté de donner un entretien pour Gauche Alternative, le journal d’ENSEMBLE!-Isère. Il nous a semblé utile de faire connaître plus largement son témoignage.

Entretien avec Chiaka  réalisé par Mariano Bona. Octobre 2023

Une vie entre la France et le Mali

Notre ami Chiaka, membre de Ensemble ! Isère, a animé pendant quelques années le syndicat des travailleurs sans-papiers, avant d’être régularisé. Il est allé au Mali récemment et y est resté plusieurs mois. Il a accepté de faire un entretien pour le journal « Gauche Alternative ».

Peux-tu dire en quelques mots ton parcours en France ?

Je suis arrivé en France en 2004. Le but était de faire des études. J’ai été étonné par les difficultés pour obtenir un titre de séjour, et j’ai toujours du mal à comprendre pourquoi interdire aux personnes de circuler. C’est un droit fondamental, et les étrangers amènent beaucoup d’ouverture et de richesses aux sociétés. J’ai été arrêté plusieurs fois, dont une fois à Chambéry sur dénonciation. À chaque fois, j’ai été libéré.

Chiaka en manifestation avec le syndicat des travailleurs sans papiers © M. Bona

Manifestation du syndicat des travailleurs sans papiers © M. Bona

À Grenoble, pour défendre mes droits, je me suis rendu à la bourse du travail, où j’ai rencontré le secrétaire de l’UD-CGT de l’époque, Patrick Varela. Avec une équipe de militantes et de militants CGT, nous avons créé en 2008 le syndicat CGT des travailleurs sans-papiers. Nous nous sommes vite retrouvés une trentaine de personnes sans-papiers qui avaient envie de lutter pour obtenir leur titre de séjour.

Nous menions des batailles collectives à visage découvert « Les sans-papiers ne veulent pas vivre cachés », et nous nous sommes appuyés sur les luttes de la région parisienne où des milliers de sans-papiers s’étaient mis en grève pour obtenir leur titre de séjour. La lutte que nous avons menée et qui continue, c’est une très belle lutte, vraiment très noble. Beaucoup de beaux souvenirs ! C’est aussi une reconstruction personnelle pour beaucoup d’entre nous, car ces luttes permettent de comprendre pas mal de choses au fonctionnement de la société française, et à l’importance de l’action collective. J’ai pu être régularisé, comme pour beaucoup de mes camarades de lutte. Une vie de sans-papiers, c’est une vie entre parenthèses. Avoir son titre de séjour est une vraie libération, même si c’est difficile de redémarrer ta vie après toutes ces années.

Pourquoi es-tu parti au Mali pendant plusieurs mois ?

Mon père était très malade, j’ai du coup décidé de rentrer au pays pour pouvoir le voir. J’ai eu beaucoup chance de pouvoir le faire, car j’avais mes papiers. Un ami malien n’a pas pu rentrer chez lui pour assister aux funérailles de sa mère, cela a été un grand déchirement pour lui. C’est parfois cela aussi, la vie de sans-papiers : apprendre qu’un de tes proches à besoin de toi et ne pas pouvoir rentrer, parce que si tu repars, tu ne pourras pas revenir, et tous ces efforts n’auront servi à rien. Un camarade sénégalais n’a pu rentrer qu’une fois en vingt ans pour voir sa femme et ses enfants. Une seule fois en vingt ans !

Je pensais partir pour deux mois, mais mon père souhaitait m’avoir à ses côtés. Du coup, j’ai décidé de rester plus longtemps. Cela fait partie de la vie. Il nous a donné tout ce qu’il pouvait nous donner, une éducation avec de belles valeurs, une manière généreuse de voir la vie. Mon père était quelqu’un de simple, attentif aux autres.

Au Mali, tu t’es retrouvé au coeur des événements. Est-ce que les gens sont politisés ? Comment s’informent-ils ?

C’est surtout les jeunes qui sont très politisés. Tout le monde a un smartphone, et ils s’informent via les réseaux sociaux : textes, vidéos de toutes durées, avec beaucoup de communautés de blogueurs. Il est devenu très important de lutter contre les fausses nouvelles qui viennent de tous les côtés, y compris du côté français. Au fil des mois, il s’est constitué des réseaux avec des personnes qui sont un peu partout au Mali, et qui vont sur place vérifier ce qui se passe. Les Maliens ne veulent pas qu’on leur raconte des histoires, soit pour dramatiser, soit pour les rassurer : si la situation s’améliore, c’est tant mieux, si elle s’aggrave, ils veulent le savoir. Par exemple, il y a un blogueur qui habite à Mopti. Immédiatement après chaque attaque, il va interroger les témoins directs et les rescapés des deux côtés. C’est sa contribution à l’information de la population.

Peux-tu me dire en quelques mots la situation au Mali ?

La guerre en Libye est une source importante de la violence au Mali dans le nord du pays (Kidal, Tombouctou, Gao, …). Il y avait beaucoup de Touaregs du Mali dans l’armée régulière de Mouammar Khadafi. À la chute du régime libyen, ils sont rentrés par milliers au nord du Mali avec leurs armes. C’est eux qui ont créé en 2011 le MNLA, mouvement national de libération de l’Azawad, nom donné par les Touaregs au nord du Mali. Le nord du Mali est habité par une grande diversité de populations : Imazighen, Koyraboro, Peul, Bozos, Kountas, Arabes, Bella. Le MNLA est très minoritaire, mais comme ils sont armés, ils font subir leur loi aux habitants de Kidal et sa région.

Une autre source importante de violences sont les groupes djihadistes. Certains groupes armés djihadistes se sont implantés au Nord Mali au début des années 2000, suite à la guerre civile en Algérie. Ils vont pour se financer s’appuyer sur des trafics locaux (contrebande, drogue).et ils vont aussi utiliser la prise d’otages pour obtenir des rançons. À cette époque, le président malien Amadou Toumani Touré a régulièrement servi de médiateur pour obtenir la libération d’otages. Ces groupes armés vont prendre de l’importance à partir des années 2010.

Entre le MNLA et les mouvements djihadistes, il y a eu des alliances et des affrontements.

Le rôle de l’armée française a été très trouble, car ils ont combattu les groupes armés djihadistes, mais protégé le MNLA et empêché l’armée malienne de rentrer à Kidal.

C’est une des raisons du rejet par les Maliens de l’armée française, alors qu’ils avaient été très bien accueillis au moment de l’opération Serval, quand il s’agissait de mettre un coup d’arrêt aux opérations des groupes armés. La très grande majorité des Maliens, y compris au Nord du Mali, ne veulent pas d’une sécession.

Que peut-on dire de la situation sécuritaire au Mali ?

Elle s’était très fortement dégradée ces dernières années, avec des attaques un peu partout dans le pays. Le Mali était privé de 80 % de son territoire. Aujourd’hui, il est plus facile d’aller et venir, et pas mal de personnes reviennent dans des villages qui avaient été désertés suite aux attaques.
Il est trop tôt pour dire comment la situation va évoluer.

L’armée a repris ces derniers mois le contrôle d’une partie importante du Mali. Alors que le Mali était pratiquement coupé en 3 parties, sud, centre et nord, le sud et le centre ont été récupérés et il reste une partie du nord. L’armée malienne n’a rien à voir avec ce qu’elle était en 2012 : elle compte 20 000 soldats, bien équipés, avec de l’armement, des avions, des hélicoptères…

Le CMA (coordination des mouvements de l’Azawad, dont fait partie le MNLA) a repris les armes face à l’armée malienne, mais il est en difficulté avec beaucoup de défections.

Les groupes djihadistes sont la menace la plus dangereuse, mais le groupe « État islamique au Sahel » et le « Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans » se combattent pour savoir qui va dominer l’autre.

Un vote a été organisé en juin 2023 pour adopter une nouvelle Constitution, et la tenue d’une élection présidentielle est prévue en 2024. Quelles sont les forces politiques et syndicales présentes au Mali ?

La première des préoccupations des Maliens est la situation sécuritaire dans le pays, et il y a les risques liés à la situation au Niger. Si cela ne va pas, il me semble difficile d’organiser des élections en 2024, car cela se ferait dans de mauvaises conditions. Des élections en 2024, ce serait le signe que la situation a évolué favorablement.

En cas d’élection, ce sera à mon avis un représentant du pouvoir qui sera élu. Aujourd’hui, la très grande majorité de la population soutient les militaires au pouvoir et le gouvernement mis en place. Il y a formellement près de 300 partis politiques au Mali, mais les grands partis comme l’ADEMA1L’Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice (Adéma-PASJ) est un parti politique du Mali fondé en 1991 à la chute du dictateur Moussa Traoré. C’est une des premières forces politiques du pays. L’Adéma-PASJ est membre de l’Internationale socialiste. sont liés aux intérêts des pouvoirs précédents, et sont donc plutôt discrédités. Il y a quelques exceptions, comme le SADI2Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (Sadi) est un parti politique malien créé en 1996 en opposition au président Alpha Oumar Konaré. Le parti est une organisation sympathisante de la IVᵉ Internationale – Secrétariat unifié. (Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance) qui est respecté, mais n’a pas beaucoup d’influence. Les partis politiques au Mali touchent une sorte de subvention qui dépend du nombre de voix, ce qui peut susciter l’envie de créer une organisation politique pour avoir de l’argent.

À la différence des partis politiques, les syndicats maliens ont beaucoup d’influence. Les syndicats sont présents à Bamako, car c’est une grande ville, mais ils ont une réelle existence sur la plus grande partie du territoire. Le principal syndicat est l’union nationale des travailleurs du Mali (UNTM). Lorsqu’il y a un appel à la grève, c’est très massivement suivi, souvent à près de 100 %. Cela n’a rien à voir avec la France. En 2020, il y a eu de très nombreux appels à la grève dans l’Enseignement, la Justice, la Santé…

Un dernier mot ?

Au Mali, il y a une grande cohésion sociale, ce qui est une force pour le pays. La jeunesse malienne est formidable : politisée, volontaire, courageuse. Chaque fois que le pays était en grande difficulté, elle s’est mobilisée.

Notes
  • 1
    L’Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice (Adéma-PASJ) est un parti politique du Mali fondé en 1991 à la chute du dictateur Moussa Traoré. C’est une des premières forces politiques du pays. L’Adéma-PASJ est membre de l’Internationale socialiste.
  • 2
    Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (Sadi) est un parti politique malien créé en 1996 en opposition au président Alpha Oumar Konaré. Le parti est une organisation sympathisante de la IVᵉ Internationale – Secrétariat unifié.