Depuis l’assassinat de Rémi Fraisse, les mobilisations se poursuivent, contre les violences policières et pour l’arrêt des travaux du barrage du Testet. Dans plusieurs villes, des violences policières ont conduit à faire de nouveaux blessés et nouveaux emprisonnés parmi les manifestants qui voulaient en découdre suite à la mort de l’un des leurs, de l’un des nôtres.
A Paris, après les manifestations de solidarité avec la Palestine cet été, la préfecture récidive en interdisant une manifestation. Les personnes ayant voulu braver l’interdiction se font embarquer, parfois dès la sortie du métro, voire même avant lors de leur départ d’une ville voisine. C’est une atteinte aux libertés, à la liberté de manifester, et nous sommes aux côtés des victimes de cette répression étatique. Parallèlement, alors que le gouvernement a mis deux jours à réagir à la mort de Rémi, ses plus éminents membres ne se gênent pas pour vouer aux gémonies « les casseurs », rejoints par les voix de la droite, de la FNSEA qui dénonce les djihadistes verts, quand Marine Le Pen et des responsables de l’UMP appellent à « dissoudre les groupes d’extrême-gauche ultra-violents ». Vieille tactique réactionnaire de stigmatisation et de répression ; la loi anti-casseurs de Marcellin des années 1968 n’est pas loin. Mais du coté de la gauche, l’entreprise de division semble parfois porter ses fruits, lorsqu’on essaye de séparer les gentils écologistes pacifiques et non-violents des autres militant-es qui luttent contre les grands projets inutiles et imposés.
Le problème n’est pas nouveau. Dans de nombreuses luttes, particulièrement ces dernières années, les stratégies, les pratiques militantes se confrontent, s’opposent. A Notre-Dame-des-Landes, les conflits entre les différentes composantes de la lutte contre l’aéroport sont légions. Mais, c’est aussi cette diversité, les blocages et la résistance aux forces de l’ordre de certain-es, la construction de très larges rassemblements et la popularisation de la lutte par d’autres, parfois les mêmes, qui ont fait le succès de la lutte.
De nombreux médias s’interrogent aujourd’hui sur les « ZADistes » (ZAD = zone à défendre), qu’il est vain de définir, en tout cas avec des lunettes politiques traditionnelles. Par contre, il est certain que dans ces luttes s’invente une autre politique, faite d’expérimentations et de combats acharnés, offrant pour certain-es jeunes une voie d’expression politique qu’ils/elles peinent à trouver dans les cadres traditionnels.
La division entre désobéissants, occupants, contestataires est un piège que tend aujourd’hui le gouvernement à ceux et celles qui, tout en ne partageant pas les mêmes objectifs politiques, ni les mêmes pratiques militantes, souhaitent lutter contre la destruction de la biodiversité, pour le maintien des terres agricoles, contre l’expropriation des paysans au nom des intérêts de l’agro-industrie, mais aussi contre les violences policières et le déni des droits démocratiques, et en premier lieu celui de manifester et de contester des décisions illégitimes.
Que certain-es soient des cibles faciles pour les provocations policières, c’est certain. Mais que l’ensemble des organisations de gauche, écologistes, démocratiques, des collectifs de lutte doive se réunir pour agir et réagir contre de telles attitudes gouvernementales, est bien plus nécessaire et urgent. Agir dans le sens d’une convergence des différentes composantes du mouvement social, sans prééminence de l’une ou de l’autre, n’est jamais simple, et impose des compromis de part et d’autre. C’est à cette condition que nous ferons plier le gouvernement pour mettre fin au projet de barrage de Sivens et que nous rendrons hommage à la mémoire de Rémi Fraisse. C’est également à cette condition que nous serons en capacité de saisir les contradictions qui travaillent la société et de traduire en actes les aspirations à la démocratie, à la justice sociale et environnementale qui sous-tendent ces mobilisations.
Il n’est en effet pas anodin que les luttes écologistes, notamment contre les Grands Projets Inutiles et Imposés, cristallisent aujourd’hui des points d’affrontement avec le pouvoir. Signe que l’écologie est une préoccupation qui s’impose dans les consciences et qu’elle se heurte violemment à la poursuite du système expropriateur et productiviste. « Nous sommes tous des dissous en puissance » !
Vincent Gay