La Vᵉ République nous a fait expérimenter parfois les « majorités godillots » (au demeurant bonnes chaussures de marche) conformes à son caractère présidentiel, parfois les majorités de cohabitation, respectueuses (sur un mode mineur) de son autre caractère, parlementaire.

Nous voici découvrant une réalité aussi paradoxale qu’inédite, d’une représentation soutien du président réélu pour un second (et dernier) mandat quinquennal, ne disposant que d’une majorité parlementaire relative. Celle-ci, de surcroît, sous les feux croisés de trois oppositions. L’une (Les Républicains) elle-même toute relative, deux autres vindicatives, celle du Rassemblement national et, à l’autre bord, celle de la NUPES (dans sa diversité).

Qui peut dire ce qui mijote en cette marmite ?

Certains prédisent une dissolution à court ou moyen terme, c’est-à-dire la main redonnée à un électorat qui, on peut le craindre, n’en peut mais.
D’autres parient sur la capacité du camp présidentiel à gouverner, une navigation louvoyante lui permettant de contourner les obstacles et d’agir, au cas par cas, grâce à des majorités de circonstances.

Sarkozy se plaît à jouer au grand perturbateur, en assénant une évidence : une majorité est potentiellement existante, il suffirait pour la concrétiser d’officialiser l’accord politique entre Renaissance et Les Républicains.

Un parasitage par l’agenda présidentiel

Qu’est-ce qui empêche de passer à l’acte ? Le fait que les démêlés parlementaires sont parasités par l’agenda présidentiel.

Macron ne pourra être candidat. Le Pen est positionnée pour l’être. Mais au-delà de ces deux, entre ceux qui ne sont pas prêts à décrocher et ceux qui estiment que ce sera le temps de leur tour, le trop-plein menace.

Sans cette prégnance d’un présidentialisme, en crise, mais omniprésent, cette Assemblée serait apte au retour d’un parlementarisme assez similaire à ce qu’on connaît chez nos voisins, avec leur vie politique compliquée, mais respectueuse des exigences de la démocratie représentative.

Un coup politique

Pourtant, ce n’est pas le cas du fait de la spécificité française avec sa Vᵉ République.

Force est d’observer en s’en inquiétant ce qui se joue dans l’enceinte de cette Assemblée. Et donc de ne pas sous-estimer le coup de maître du RN, qui contre toute attente a décidé de voter pour la motion de censure déposée par la NUPES.

Pure manœuvre opportuniste certes, puisqu’il était sûr que le gouvernement ne serait pas renversé. Mais manœuvre efficace : outre la confirmation que le gouvernement est à la merci d’une coalition des oppositions, il s’agit des dégâts collatéraux en résultant.

D’une part, la mise en difficulté de la NUPES qui se dit prête à renverser le gouvernement, mais ne peut y parvenir qu’en acceptant d’associer ses voix à celles de RN et de LR, et en prime se voit accusée de sectarisme, car s’y refusant.

D’autre part, et surtout, démonstration que le gouvernement ne peut mettre en œuvre sa politique que grâce à l’accord tacite de LR – brocardé comme fausse opposition à Macron et vrai soutien à son gouvernement.

Le Pen est moins intéressée à mettre du sel sur les divergences de la NUPES qu’à attiser les graves différences au sein de LR. L’objectif n’est pas d’obtenir un accord avec ce parti, mais de préparer un éventuel basculement de certains de ses membres lors d’un futur rendez-vous parlementaire. Il aurait valeur de ralliement au RN, et éclairerait pour ce dernier la voie de l’accès au pouvoir. Pour 2027, ou avant…

Qu’attend-on de la gauche ?

Certainement qu’elle ne s’égare pas dans les arcanes de cet activisme parlementaire inédit sous la Vᵉ République, ni ne se laisse piéger par les manœuvres ainsi rendues possibles. Sans doute qu’elle montre que la politique attendue se joue sur un autre terrain. Les sujets pour ce faire ne manquent pas…

 

Francis SITEL

25 octobre 2022