Notre camarade Jean-François a parcouru le Vietnam et le Laos pendant deux mois. Deux pays qui ont mené une longue guerre de libération. Tous deux dirigés par un parti « communiste » . Les politiques sociales semblent pourtant avoir été sacrifiées sur l’autel du libéralisme. Voilà ses premières impressions.
Vietnam, Laos : quand l’obsession de la production appauvrit la vie
Par Jean-François Le Dizès1Auteur de : Globe-trotter, carnets de voyage d’un bourlingueur militant, 2007, Éditions L’Harmattan et de Quand les voyages et le militantisme se rejoignent, 2017 (deux tomes). Septembre 2024.
En parcourant le Vietnam en scooter et le Laos en bus, j’ai rencontré, durant deux mois, des peuples accueillants, mais des gens avec qui il a été difficile de converser. En effet, dans ces anciennes colonies françaises, plus personne ne parle le français et rares sont ceux qui parlent l’anglais.
L’après-guerre
Après avoir vécu plusieurs décennies de guerre de libération, le Vietnam et le Laos ont pu enfin, à partir de 1975, vivre en paix et se développer, même s’il reste encore des séquelles de la « guerre du Vietnam »2https://www.wikiwand.com/fr/articles/Guerre_du_Vi%C3%AAt_Nam.
En effet, si les défoliants versés massivement par l’aviation étasunienne ne semblent plus avoir de répercutions sur les forêts, ils affectent encore certains habitant·es.
Par ailleurs, aujourd’hui encore, des dizaines de personnes sont tuées chaque année par des bombes qui, lancées par la même aviation, n’avaient pas encore explosé.
Le Vietnam, et dans une moindre mesure le Laos, m’ont surpris par les niveaux de développement économique qu’ils ont atteints depuis la paix.
Aujourd’hui, chaque personne de ces pays a son propre scooter. Telle Vietnamienne d’origine rurale m’a affirmé que personne dans son pays ne souffrait de la faim.
Cette situation est principalement le résultat de la combinaison de deux phénomènes : l’arrivée massive de capitaux et l’ardeur des travailleurs. La baisse de la taille des familles n’a pu aussi que contribuer à cette sortie de la pauvreté. En effet, entre 1960 et 2021, les taux de fécondité au Vietnam et au Laos sont passés respectivement de 6,3 à 1,9► et de 6,3 à 2,5▲.
La reconversion vers le capitalisme
Depuis le milieu des années 1980, les gouvernements de ces deux pays « communistes » ont décidé d’entrer dans le jeu de la compétition capitaliste mondiale. Ils ont donc cherché à attirer les capitaux par des mesures fiscales en faveur des entreprises et en sacrifiant plus ou moins la politique sociale.
J’ai pu voir que, dans toutes les villes, abondaient de hauts immeubles hébergeant des banques. Telle personne m’a parlé de l’époque du communisme comme étant un temps révolu. Si j’ai pu voir au Vietnam – notamment dans la zone d’Haïphong-Hanoï – de nombreuses industries, au Laos celles-ci restent rares.
L’assiduité au travail
Comme d’autres peuples asiatiques, les Vietnamien·nes et les Laotien·nes sont des « bosseur·euses ». Les temps de travail hebdomadaires des salarié·es vietnamien·nes que j’ai rencontré·es étaient compris entre 42 et 60 heures. Il n’y a pas au Vietnam de loi concernant les congés payés, mais seulement quelques jours fériés, comme ceux célébrant l’indépendance.
Selon l’OIT1, même en ne considérant que les pays du Sud-est-asiatique, le Vietnam est l’un de ceux où le temps de travail est le plus élevé. C’est la faiblesse des salaires horaires, m’a-t-on dit, qui pousse ces travailleurs à travailler tant !
Tels jeunes chômeurs vietnamiens se sont plaints à moi de l’inaction du gouvernement en faveur des chômeurs. Au Vietnam comme au Laos, ces derniers ont une grande tendance à créer leur propre emploi dans le secteur informel. Ainsi, on peut voir dans les rues de très nombreux vendeurs de trottoir, vendant essentiellement de la nourriture, mais aussi souvent des vêtements. Au Vietnam, le secteur informel représentait, en 2015, 57% des emplois non agricoles*.
Avec le développement d’immenses stations balnéaires comme celle de Nha Trang où les hôtels prennent toute la place, le tourisme s’est beaucoup développé au Vietnam. Au Laos, il n’est pas non plus en reste.
Un Vietnam urbain
Sous l’effet de l’exode rural et de la poussée démographique, les villes vietnamiennes se sont beaucoup étendues. Contrairement au Laos, le Vietnam m’a paru surpeuplé. En effet, la population vietnamienne dépasse aujourd’hui les 98 millions▼ (la densité est 2,7 fois celle de la France▼) alors que celle du Laos n’est que de 7,5 millions▼.
Combien de kilomètres ne devais-je pas parcourir en sortant des villes vietnamiennes pour arriver sur une route ouverte sur les campagnes !
Une agriculture paysanne
Tant au Vietnam qu’au Laos, l’agriculture est caractérisée par la petite exploitation.
Parmi les productions agricoles, le riz a une place prépondérante. Dans le grand bassin de Dien-Bien-Phu – dont la ville est dominée par un monument dédié à la victoire militaire en 1954 du Vietminh sur l’armée française – les rizières couvrent la totalité des immenses surfaces de terres non bâties. Le maïs, seconde production agricole, occupe plutôt les terrains pentus.
Par ailleurs, j’ai pu constater que les agriculteurs étaient souvent pluriactifs. Combien de restaurants fermiers n’ai-je pas rencontrés ! Ces agriculteurs peuvent aussi être réparateurs de vélomoteurs, commerçants…
Les zones montagneuses – minoritaires au Vietnam, prépondérantes au Laos – sont habitées par de très nombreuses minorités ethniques. Il y en a une cinquantaine dans chacun de ces pays et pratiquent une agriculture de montagne.
Ces régions sont les plus pauvres. La précarité de certains logements, de très petite taille – notamment au Laos – montre une certaine pauvreté.
Les conséquences du libéralisme économique sur le plan social
Partout, en ville comme en zones rurales, au Vietnam comme au Laos, on construit. En effet, même si je n’ai vu des bidonvilles que sur les rives des cours d’eau traversant Ho-Chi-Minh-ville, les besoins en logement sont élevés. Il n’y a guère qu’à Ho-Chi-Minh-ville (21 millions d’habitants▼) que j’ai vu beaucoup d’immeubles susceptibles d’être des logements sociaux.
Le libéralisme économique pratiqué par les gouvernements vietnamien et laotien a des répercussions négatives sur les services sociaux et les services publics, à cause de la contraction des finances publiques. En ce qui concerne les retraites, seuls les ancien·nes salarié·es déclaré·es ont droit à des pensions. Vu la place importante de l’agriculture (39% des travailleurs du Vietnam▀, 85% de ceux du Laos▼) et du secteur informel, seule une minorité de personnes âgées en bénéficie.
Au Vietnam, les soins – même dans les établissements publics – ne sont gratuits que pour les minorités ethniques, soit 14% de la population▼. Dans l’éducation, il en est de même au lycée et à l’université.
Au Laos – comme me l’a expliqué un médecin – les soins médicaux sont gratuits dans les établissements publics. Mais, les difficultés qu’ont les habitants des régions montagneuses pour payer le transport et le logement dans la localité de ces établissements sont des freins à l’universalité des soins. À tous les niveaux du système éducatif, les usagers doivent payer un droit d’inscription. De plus, les parents doivent acheter l’uniforme scolaire pour leurs enfants. Dans les régions montagneuses, l’école est souvent éloignée du domicile. Le fait que, de plus, les parents fassent travailler leurs enfants à la production engendre – m’a-t-on expliqué – des scolarités souvent atrophiées. Phénomène aggravant, l’enseignement est donné, non pas en langue maternelle, mais en laotien ! À noter cependant que certaines écoles primaires des régions montagneuses possèdent un internat. On sert un repas aux élèves dans certaines d’entre elles.
Les quelques fois où j’ai demandé quels étaient les effectifs des classes au Vietnam et au Laos, on m’a répondu 40 ou 50 !
Ces lacunes en matière d’éducation et de santé font que le Vietnam et le Laos ont de mauvaises places dans le classement mondial de l’IDH2 : sur 191 pays▼, le Vietnam est 115ᵉ▼ et le Laos, 140ᵉ▼.
Quand le travail prend tout le temps
Au Vietnam l’enseignement supérieur s’est beaucoup développé ces dernières années. Le taux de scolarisation dans le supérieur est passé de 3% en 1995 à 30% en 2019▼. Par contre, les livres et les journaux ont – comme au Laos – pratiquement disparu de la circulation.
Au Laos, « avoir un livre entre les mains » était, il n’y a pas si longtemps, considéré comme un signe de paresse, m’a-t-on dit ! Certes, dans ces pays chacun possède un téléphone portable, mais pour quel usage ?
Aujourd’hui, au Laos, pour remédier à l’absence de livres, des gens en commandent en Thaïlande. La langue orale y est proche du laotien, même si celui-ci s’écrit avec un alphabet spécifique.
Trop pris par leur travail, les gens n’ont pas de temps à consacrer aux loisirs et à la culture. Si j’ai souvent vu des salles de billard, ce jeu semble le seul à être assez pratiqué. Ce n’est que dans la capitale, Hanoï (16 millions d’habitants▼) et à Ho-Chi-Minh-ville que les cafés, nombreux, sont des lieux de rencontres. Ailleurs, les consommations commandées sont bues en dehors du café.
Des systèmes politiques bloqués
Les systèmes politiques vietnamien et laotien ne sont pas faits non plus pour favoriser la culture. Ils sont régis par un parti unique : le parti communiste.
S’il n’y a pas de manifestations d’opposant·es, c’est, entre autres, m’a dit une Vietnamienne, parce que les gens ont peur. Elle a ajouté qu’il existait une censure au sujet des publications, aussi rares celles-ci soient-elles. Un Laotien m’a dit qu’il était difficile de critiquer la politique menée par les dirigeants.
L’ensemble de ce tableau fait que les gens se désintéressent de la politique. J’ai toutefois pu voir le 26 juillet d’assez nombreuses personnes dans les rues d’Hanoï applaudir au passage de la dépouille mortelle du Secrétaire général du Parti communiste, Nguyen Phu Trong, qui venait de décéder.
Une corruption découlant du manque de contre-pouvoirs
L’absence de contre-pouvoirs facilite le développement de la corruption.
Ainsi, aux deux postes frontières où je suis passé, chacun des voyageurs vietnamiens ou laotiens insérait un billet de banque dans leur passeport en transmettant celui-ci aux policiers des deux nationalités !
Au Vietnam, même la presse s’est fait l’écho de corruption au sein des plus hautes sphères du pouvoir, m’a-t-on rapporté. Au Laos, on m’a raconté que c’est en soudoyant les responsables de l’État que la Chine a obtenu le doit d’exploiter les terres rares de ce pays-là.
Dans le classement de l’ONG « Transparency international » à propos de la corruption, sur 180 pays, le Vietnam est 83ᵉ et le Laos, plus corrompu, 127ᵉ.
L’omniprésence du scooter
La vie des Vietnamien·nes et des Laotien·nes est marquée par l’usage du scooter et de la petite moto.
Excepté à Vientiane (760 000 habitants▼), capitale du Laos, où l’usage de l’automobile est prépondérant, ces vélomoteurs sont le premier moyen de locomotion. Ils sont aussi beaucoup utilisés pour le transport de marchandises ou pour la vente ambulante.
De plus, il y a, notamment à Ho-Chi-Minh-ville, de nombreux motos-taxis. Enfin, il faut savoir que, compte tenu de leur étroitesse, nombre de ruelles d’Hanoï et d’Ho-Chi-Minh-ville sont inaccessibles aux automobiles.
Pour se garer, ces deux-roues accaparent les trottoirs. Là où ceux-ci sont libres, les motards roulent dessus pour éviter les embouteillages. Ce qui est facilité par la quasi-absence de piétons. D’ailleurs, il n’y a aucune rue piétonne.
Cette absence d’exercice physique lors des déplacements explique-t-elle la présence d’un assez grand nombre de salles de fitness ?
Au Vietnam et au Laos, les transports publics urbains sont rares. Seule Ho-Chi-Minh-ville a un réseau de bus serré. Le service est en plus bon marché. À Vientiane, les seuls transports en commun sont quelques camionnettes privées !
La route au détriment du rail
Producteur de pétrole, le Vietnam, base sa politique des transports beaucoup plus sur la route que sur le rail. J’ai pu voir que même des routes secondaires sont en train d’être aménagées en « deux fois deux voies ». Par contre, la ligne de chemin de fer Ho-Chi-Minh-ville-Hanoï reste à voie unique.
Au Laos, les routes sont de beaucoup moins bonne qualité qu’au Vietnam. Une ligne de chemin de fer à grande vitesse a été construite, avec le concours de la Chine. Reliée au réseau chinois, elle traverse la moitié nord du pays jusqu’à Vientiane. En revanche, la région la plus peuplée, celle qui longe le Mékong, est dépourvue de chemin de fer.
Des femmes actives
Au Vietnam comme au Laos, les femmes me sont apparues particulièrement dynamiques. Comme les hommes, elles enfourchent leur scooter avec aisance. Elles travaillent quasiment toutes à l’extérieur.
Le service public de garde des enfants, qui fait à la fois fonction de crèche et d’école maternelle, leur facilite la tâche. Simples d’aspect, les Laotiennes et surtout les Vietnamiennes ne me sont apparues aucunement timides.
Cependant, dans les zones montagneuses, elles restent à la merci de mœurs traditionnelles. On y pratique l’enlèvement de femmes en vue de mariages forcés !
L’abondance de l’eau et sa valorisation
L’eau joue un grand rôle tant au Vietnam qu’au Laos. Les précipitations sont particulièrement élevées, notamment dans les régions montagneuses. J’en ai fait l’expérience. J’ai pu voir la quantité de glissements de terrain qu’elles occasionnent.
Ces eaux alimentent les grands fleuves comme le Mékong et le Fleuve Rouge, leurs nombreux et puissants affluents, les rizières, les nombreux barrages hydroélectriques. Ceux-ci produisent respectivement 73% et 31% des productions d’électricité du Laos et du Vietnam▼.
Située seulement à 19 m d’altitude▼, Ho-Chi-Minh-ville est marquée par la présence de nombreuses surfaces aquatiques : réseau de cours d’eau comprenant le Saïgon, canal, étangs, ruisseaux.
La prédominance énergétique du charbon
Si j’ai pu voir plusieurs parcs d’éoliennes au Vietnam, celles-ci ne produisent que 1,3% de l’électricité du pays▼.
L’essentiel de la production de l’énergie primaire est le fait du charbon : 49% au Vietnam▼, 52% au Laos▼.
Malgré tout, les productions de gaz carbonique par habitant de ces pays restent inférieures à celle d’un pays comme la France : 3,7 tonnes/habitants au Vietnam►, 2,4 t/h au Laos▼ contre 4 à la France►.
Une conception de l’hygiène à courte vue
Les Vietnamien·nes et les Laotien·nes sont tellement soucieux·ses de l’hygiène de leur logement qu’iels se déchaussent avant d’y entrer.
Dans le même ordre d’idée, combien de grands parcs très verts, richement composés, bien entretenus, n’ai-je pas rencontrés dans les centres-villes !
En revanche, au-delà de leur trottoir, les gens se moquent éperdument des ordures. Même en ville, on peut rencontrer des décharges sauvages. L’usage du plastique, qui est extrême, et son jet n’importe où, ne pose pas de problème de conscience aux populations. Celles-ci semblent ignorer le problème que cette pratique induit.
Les gens prennent des précautions à l’égard de la pollution atmosphérique en portant des masques en roulant. Par contre, la question du climat ne les soucie guère. Les zones des deltas sont pourtant menacées par la montée des eaux océaniques.
Ainsi, à trop se concentrer sur le travail sans prendre le temps de comprendre le monde, son évolution et ses problèmes, ces Indochinois·es risquent d’avoir de mauvaises surprises !
Le déchainement du typhon Yagi, inhabituel pour son ampleur, début septembre, qui a fait au moins 233 morts●, serait-elle la première d’entre elles ?
Sources chiffrées
▼ Wikipédia
▲ Perspective monde, septembre 2024
* Ambassade de France au Vietnam
▀ Ministère de l’Économie et des finances français
► Banque mondiale
● Euronews
Notes
- 1Auteur de : Globe-trotter, carnets de voyage d’un bourlingueur militant, 2007, Éditions L’Harmattan et de Quand les voyages et le militantisme se rejoignent, 2017 (deux tomes)
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