Montgenèvre, les migrant·es et la parole politique
Sur un paradoxe

L’expérience des maraudeurs qui viennent en aide aux migrant·es qui franchissent la frontière de Montgenèvre est résumé par le paradoxe suivant : « Plus il y a des forces de police, plus il y a de migrant·es qui passent ! »

Par Jean-Paul Leroux – le 18 août 2023

Ce paradoxe s’est encore concrétisé cet été.

Le maire de Briançon avait réclamé une « border force » supplémentaire pour arrêter les passages. Son vœu n’a été que partiellement exaucé, l’essentiel allant à la frontière de Vintimille. Par contre, les Hautes-Alpes « ont bénéficié » d’un second escadron de gendarmes mobiles. Il s’agit là d’une augmentation très sensible !

Le résultat vient de faire le titre d’un article du Dauphiné Libéré dans les pages France-Monde, et pas dans celle locale de Briançon : « A Briançon, les bénévoles débordés face à l’afflux des migrants ». Ce que confirme le site d’information Info Migrants dans un article récent : « les Terrasses de Briançon dépassées par l’afflux inédit de migrants venant d’Italie ».

Dans la nuit du 13 août, 120 personnes sont arrivées alors que le refuge était déjà plein et que sa contenance est d’une soixantaine de lits.

Luc Marchello, membre des Terrasses Solidaires, souligne le manque d’anticipation de l’État, car 90 000 migrant·es sont arrivé·es en Italie depuis le 1ᵉʳ janvier. L’association demandait au préfet, en vain, l’ouverture d’un deuxième refuge.

Ainsi le paradoxe est, hélas, bien vivant

Notre État, ses dirigeants, Macron, Darmanin et ses services, ne peuvent ni enrayer l’afflux des personnes migrantes, ni les accueillir convenablement. Ils sont en dehors du monde d’aujourd’hui.

Barbara Cassin faisait le même constat : « la parole politique n’a tout simplement pas conscience du réel » (Le Monde du 12 août) et elle ajoutait : « À chaque révolte correspond un mensonge phrasé. Il n’est pas vrai que la réforme des retraites ne va pas pénaliser les femmes(…) Il n’est pas vrai que le policier qui a tiré sur Nahel M. était en état de légitime défense. Il n’est pas vrai que les violences policières n’existent pas et qu’il n’y a pas de racisme dans la police. Il n’est pas vrai que les mégabassines sont des bonnes solutions écologiques. »

Répression vs solidarité

Répression ou solidarité – © Nicolas Fragiacomo

Et nous pouvons ajouter : il n’est pas vrai que les migrations vont s’arrêter et qu’il ne faut pas accueillir dignement les migrant·es.

Le réel est plus fort que l’aveuglement volontaire des politiques contre-productives de Darmanin qui n’a, tout simplement, pas conscience du réel. Ce déni est un phénomène qui, sauf exception, se vérifie au niveau mondial.

Tant que la politique migratoire sera aux mains des Darmanin et autres, la situation ne pourra qu’empirer.

Il est déjà remarquable que les maraudeurs aient réussi à éviter de nombreux drames. Ils viennent de toute la France, aider et suppléer les briançonnais. C’est un signe manifeste et positif que la question migratoire n’est pas seulement l’affaire de la droite et de l’extrême droite, mais une question sensible dans la « société civile ». Et nous pensons qu’il en va de même sur toutes les frontières…

Pour supprimer le paradoxe, il faut connaître la réalité des migrations. De nombreux auteurs, organisations, universitaires produisent cette connaissance. Et actuellement, il faut agir pour un accueil inconditionnel, pour faire respecter leurs droits et tout spécialement celui de travailler et d’être logé.

Tout cela nécessite la régularisation des sans-papiers et l’obtention de la citoyenneté pleine et entière.

Agissons pour une migration positive dans l’esprit kantien du « droit cosmopolitique » tel que l’entend Kant qui se résume aux conditions d’une hospitalité universelle. C’est, pour lui, un droit constitutif de l’humanité. Il s’agit, en effet, d’un droit, pas d’une philanthropie ou de la compassion. L’hospitalité, écrit-il, « signifie le droit qu’à un étranger de ne pas être traité en ennemi dans le pays où il arrive ».

Ne pas être traité en ennemi, tout est là, tout est dit

Ce droit cosmopolitique se fonde sur celui de la possession commune de la surface de la terre, et sur cet argument imparable : « la forme sphérique de la terre, nous oblige à nous supporter les uns à côté des autres, parce que nous ne saurions nous disperser à l’infini et qu’originairement l’un d’entre nous n’a pas plus de droit qu’un autre à une contrée. »

Dans cet argument, s’enracine l’article 13 de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Celui-ci dit :

1. « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État »,

et

2. « Toute personne a le droit de quitter tout pays, et de revenir dans son pays. ».

Essayons simplement d’être cohérent·es avec nos principes pour sortir des contradictions mortelles des politiques actuelles.

Affiche : « Personne n'est illégal » – © Pascale Moutte-Baer

Affiche : « Personne n’est illégal » – © Pascale Moutte-Baer