La situation au Venezuela suscite, au sein de la gauche, débats et controverses. Le communiqué unitaire dont ENSEMBLE! est cosignataire1Solidarité avec le peuple vénézuélien n’y a pas échappé. Des camarades ayant contribué à la rédaction du communiqué, proposent cette réponse à un « Argumentaire sur le Venezuela pour les naïfs de gauche ». Partie1/2

À propos de quelques arguments opposés au communiqué unitaire sur les revendications démocratiques du peuple vénézuélien 1/2

Par un collectif. Le 12 août 2024.

Ces arguments ont été synthétisés par Christian Rodriguez sur son fil Twitter (https://x.com/ChrisRodrigAl/status/1822023612368376029). Intitulé « Argumentaire sur le Venezuela pour les naïfs de gauche ».

Ce fil nous a semblé mériter des éclaircissements car, sous couvert de justifications techniques, il distord non seulement des arguments institutionnels, mais dilue de plus la question politique de l’élection présidentielle du 28 juillet 2024 au Venezuela.

Cet argumentaire reprend donc les principaux points présentés dans ce fil pour montrer les enjeux réels qu’ils soulèvent.

Ni soutien du gouvernement Maduro et des forces répressives d’État, ni appui aux forces d’opposition majoritaires qui s’inscrivent dans une tradition de droite dure en accointance avec l’impérialisme US, ce document veut proposer des éléments de compréhension technique ainsi que des dynamiques politiques en cours, et ce, afin de contribuer à une sortie populaire et démocratique de la situation.

1. Le scrutin « a suscité des protestations populaires massives » Massives ? Il y a eu des « manifestations » de l’opposition le lendemain et surlendemain de l’élection seulement (graphique). Je mets le terme entre guillemets puisqu’il s’agit surtout d’actes violents (j’y viens).
2. Depuis le 29 juillet, la leader de l’opposition d’extrême-droite a appelé à trois mobilisations. Deux à Palos Grandes, une à Las Mercedes. J’imagine qu’ils n’ont jamais mis les pieds à Caracas. Ce sont les quartiers riches. Je vous laisse voir la « masse populaire ».
  • Machado et González protestant contre la fraude présidentielle au Venezuela en 2024 © Voz de América

    La dirigeante de l’opposition de droite – MC Machado – et son candidat – González – protestant contre la fraude présidentielle au Venezuela en 2024 © Voz de América

    La trajectoire politique de María Corina Machado (MCMM) est effectivement l’une des plus radicalement à droite de la vie politique vénézuélienne, rencontrant George W. Bush en 2005, appelant, encore en 2019, à une intervention militaire contre son propre pays, appelant au boycott de scrutins jugés, à juste titre, pipés même lorsque le reste de l’opposition appelait à y participer malgré tout et assumant sa sympathie pour Javier Milei encore aujourd’hui. Toutefois, depuis sa victoire lors des primaires, elle tâche de rassembler l’ensemble de sa coalition (PUD). Sa coalition est d’ailleurs très hétérogène, de l’extrême-droite jusqu’à des partis issus de la social-démocratie, en passant par un centre de gravité de droite d’inspiration néolibérale. La PUD est certes pro-occidentale, d’orientation néolibérale — même si MCM est revenue sur l’idée de privatiser PDVSA et dit vouloir garder les aides sociales ciblées — (ne serait-ce que pour faire tourner l’économie). Les clivages sont très différents d’en Europe : la MUD (ancêtre de la PUD) a fait élire la première députée transsexuelle d’Amérique latine en 2015, il n’y a pas d’islamophobie dans la société vénézuélienne. C’est sur l’anticommunisme que se distinguent les courants les plus radicaux (une volonté de revanche par rapport au chavisme).

    Manifestations de 2024 au Venezuela 08 © Anonyme

    Manifestations de 2024 au Venezuela 08 © Anonyme

  • Quand l’opposition appelle à manifester « en famille », pacifiquement, pour la fin de matinée du 30, le pays est déjà en ébullition. Outre les quartiers populaires de Caracas, les manifestations spontanées ont lieu dans l’ensemble du pays (l’intérieur étant toujours beaucoup plus paupérisé et précarisé que Caracas, sans la légère récupération qu’a connu la capitale). Des statues de Chávez sont déboulonnées par des jeunes qui n’ont connu que Maduro. Dans un cas, sa tête est traînée de long en large comme un butin à travers des zones populaires.
  • Mais dans le même temps, la contre-offensive dans la « parfaite union civico-militaire-policière » (dixit Maduro) se met en marche, avec traque généralisée des membres de « Comanditos » de l’opposition qui ont organisé et défendu le vote, des témoins électoraux d’autres partis (dont le PSUV) qui leur ont filé les PVs manquants (qu’ils n’ont pas pu récupérer le jour J), des citoyens partis spontanément protester et/ou qui ont relayé tout cela sur les réseaux, ou encore les vidéos de proclamation des résultats (quand les PVs ont été remis à tous les témoins) au-dehors des bureaux de vote dans l’euphorie populaire générale : https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/08/09/au- venezuela-les-inspections-illegales-les-arrestations-arbitraires-et-les-disparitions-sont- devenues-monnaie-courante_6273829_3232.html [tribune sur la répression traduite en français de l’ALPEC dans le Monde qui fait aussi la synthèse des mécanismes de répression politique et sociale développés sur les 10 dernières années ; titre original espagnol « Contre le terrorisme d’État au Venezuela »] ;
  • Enfin, cet article de Caracas Chronicles – en espagnol, mais aussi disponible en anglais en cliquant depuis l’article — qui résume le passage de la protestation populaire à la répression massive, en passant par la mobilisation partisane-oppositionnelle : https://www.caracaschronicles.com/2024/08/08/state-of-terror-life-after-venezuelas- electoral-uprising/?lang=es
3. Je suppose qu’ils n’ont vu aucune image des mobilisations en SOUTIEN du résultat électoral et donc de la victoire du président Maduro ? J’ai pu en filmer quelques unes. On en est à dix aujourd’hui. Une par jour. Rien de massif ni populaire bien sûr !
Manifestation de soutien à Nicolás Maduro pendant la crise postélectorale au Venezuela en août 2024 © Domaine public

Manifestation de soutien à Nicolás Maduro  © Domaine public

  • Les manifestations de soutien à Maduro existent, le communiqué ne les nie pas. De fait, malgré l’existence de longue date de mécanismes de « pointage » pour les fonctionnaires subalternes, on peut affirmer qu’une partie des participants s’y rend vraiment de plein gré, et qu’ils sont issus souvent des classes populaires — sur le podium les hauts dirigeants sont quant à eux (au moins) multimillionnaires (en dollars). S’il n’y a pas d’unité parfaite des classes populaires contre Maduro — pas plus qu’il n’y en a jamais eu pour Chavez (cf. l’abstention, les dissidents précoces, notamment dans les secteurs ouvriers)—, l’importance du rejet populaire du gouvernement Maduro se vérifie, par exemple, sur d’innombrables vidéos de proclamation des résultats à l’extérieur des bureaux de vote dans des circos populaires. Le chavisme-madurisme n’en a pas relayé une seule à ce stade qui atteste d’une situation contraire, dans un de ses ex-bastions. Elle se vérifie aussi dans la réaction épidermique et — insistons — autoconvoquée du 29 juillet face à la proclamation de la « victoire » de Maduro par le CNE.
  • Personne ne nie que Maduro conserve une base sociale. Même en prenant les chiffres donnés par l’opposition, il y a 3,3 millions de Vénézuéliens qui ont voté pour Nicolás Maduro, certains sous la menace du retrait de programmes sociaux, d’autres parce qu’ils sont dans les réseaux clientélistes établis par le pouvoir. Mais, personne ne nie qu’il existe un noyau dur important qui adhère à un projet politique qui existe dans le pays depuis plus de 25 ans.
4. « Nicolas Maduro affirme avoir gagné ». C’est le Conseil National Électoral, quatrième pouvoir de l’État, qui a proclamé les résultats. Mais peut-être qu’ils préfèrent que ce soit l’exécutif lui-même, comme c’est le cas en France avec le Ministère de l’Intérieur ?
  • Confondre la loi ou la Constitution avec la réalité concrète, c’est une curieuse manière de procéder quand on se veut un tant soit peu matérialiste. Oui, la Constitution proclame qu’il y a 5 pouvoirs indépendants les uns des autres, dont le Conseil National Électoral (CNE). Comme disait Gramsci, cette séparation au sens strict est un mythe dans les démocraties libérales, même quand toutes les procédures sont respectées (cf. le Conseil constitutionnel ou le Conseil d’État). Ça relève purement de la fantaisie au Venezuela, et s’agissant du CNE, au moins depuis que Maduro a perdu les législatives en 2015 : annulation, report ou anticipation de scrutins, invention d’une « Constituante » qui n’a jamais rédigé de Constitution avec un mode de scrutin très inégal (pour se substituer à l’AN), interdictions de candidatures, changements de règles en cours de route, etc. Tout ceci avec l’aval du Tribunal suprême de justice, dont les membres, renouvelés par quorums, l’ont été d’abord par anticipation par l’Assemblée Nationale (AN) sortante — perdante — fin 2015, puis par l’AN de 2020 après les dernières législatives (que l’opposition avait en partie boycottées dans le cadre du conflit avec l’AN de 2015 et son président Juan Guaidó).
  • Sur la proclamation et son mode de réalisation, cf. point 5
  • Certes, c’est le CNE qui « proclame » les résultats : des résultats qui ne correspondent pas aux documents débattus de façon pluraliste dans la salle de délibération avant la conférence de presse du CNE. De plus, l’indépendance du TSJ et les modalités de nomination de ses membres restent des questions très discutables. Par exemple, son actuelle présidente, Caryslia Beatriz, a été candidate du PSUV, ce pourquoi sa fonction a précisément été controversée (https://es.wikipedia.org/wiki/Caryslia_Rodr%C3%ADguez).
5. Le CNE n’a pas publié « comme il en a l’obligation, les résultats détaillés du scrutin » Fins connaisseurs ! Ils connaissent donc l’article 155 de la loi organique sur les processus électoraux ? Le CNE a 30 jours pour publier les résultats détaillés, et l’a TOUJOURS fait.
Conseil national électoral du Venezuela © Victor Bujosa Michelli

Conseil national électoral du Venezuela © Victor Bujosa Michelli

  • Article 116 du Code électoral : « La Junta Nationale Électorale et les Juntas Électorales, ces dernières sous la supervision de la première, auront l’obligation de réaliser le processus de totalisation dans un délai de quarante-huit (48) heures. Dans le cas où les Juntas Électorales n’auraient pas effectué la totalisation dans le délai prévu à l’article précédent, la Junta Nationale Électorale pourra procéder à la totalisation. La totalisation devra inclure les résultats de tous les procès-verbaux de dépouillement de la circonscription respective. » Peut-on sérieusement imaginer une élection dans laquelle les résultats de chaque scrutin par bureau de vote ne soient pas publiés ?
  • D’ailleurs, sur les 30 scrutins organisés depuis l’arrivée de Chávez au pouvoir, seuls 3 n’ont pas vu leurs résultats détaillés publiés : les élections pour l’Assemblée nationale constituante en 2017, le référendum sur la Guyane Euséquibe en 2023… et les élections présidentielles de 2024, les trois scrutins dont le taux de participation (dans le cas des deux premiers scrutins) ou les résultats des différents candidats (pour le troisième cas) ne correspondent pas à ce qui a été observé sur le terrain.
6. En attendant, il publie des résultats partiels. Mais peut-être que la loi ne les intéresse pas. Un peu comme ceux qui ont lancé 500000 attaques par seconde au système de transmission de données du CNE depuis la Macédoine du Nord, ce qui ralentit considérablement le comptage.
  • Les machines électorales ne sont tout simplement pas connectées à internet, mais au réseau téléphonique et ne peuvent donc être hackées, du moins selon les déclarations du CNE. Voici une explication vidéo réalisée par le CNE lui-même qui explique les mesures de sécurité prises pour éviter les problèmes de transmission des résultats, tout en détaillant le fait que les machines marchent avec une connexion téléphonique indépendante, rendant tout piratage impossible. https://x.com/4n4lisis/status/1822008022995963996
  • De plus, le gouvernement Maduro a changé son discours à différentes reprises concernant ces procès-verbaux, passant en substance de « nous les publierons lorsque l’attaque informatique sera terminée » à « nous ne les publierons pas car ce n’est pas conforme à la loi vénézuélienne de les publier », pour finalement aboutir à « nous ne les avons jamais publiés. » Ce qui est factuellement faux, puisque le chavisme lui-même a organisé une campagne similaire à ce que l’opposition réalise en ce moment même, en 2013, pour faire reconnaître leur victoire sur l’opposition, et ce, via une publication des procès-verbaux sur un site internet (https://x.com/puzkas/status/1821592714372378892).
  • Enfin, les résultats de l’élection – validés à deux reprises par le CNE sans les détailler – sont présentés selon son président Elvis Amoroso après avoir réussi à avoir accès d’abord 80% et ensuite plus de 90% des scrutins. S’il est possible de donner un résultat total, qui doit nécessairement découler des résultats détaillés bureau par bureau, pour quelle raison n’est-il pas possible de les présenter de manière détaillée aux Vénézuéliens, comme cela a été historiquement fait ?
7. Le « principal concurrent » de Maduro a publié sur internet ses « procès-verbaux […] lui donnant un avantage de 37 points ». Le site internet est rempli de faux, comme on l’a déjà montré dans des publications précédentes.
  • Nuance : la phrase d’origine dans le communiqué est la suivante : « L’équipe de son principal concurrent, Edmundo González, a quant à elle publié sur Internet ce qu’elle affirme être les procès-verbaux de 81,7 % des bureaux de vote lui donnant un avantage de 37 points ». Des institutions ayant les capacités techniques pour vérifier ces procès-verbaux se sont prononcées à leur propos. En particulier, le Centre Carter, qui a été loué par le président Chavez lui-même pour son regard objectif sur le système électoral vénézuélien et qui a été invité à nouveau par le gouvernement Maduro pour observer les élections présidentielles en question. Les chercheurs du Centre Carter assurent que les procès-verbaux publiés par l’opposition sont fiables.
  • Toutefois, sans se prononcer sur les aspects techniques, il existe une controverse et celle-ci est reconnue en tant que telle à échelle nationale et internationale. Sa résolution la plus simple serait celle de l’audit et de la publication des procès-verbaux, telle qu’elle est demandée par de nombreuses forces politiques, y compris des forces de gauche sur le terrain.
  • Lors d’une élection présidentielle précédente en 2013, gagnée par Nicolas Maduro, c’est le PSUV lui-même qui publie les procès-verbaux entre leurs mains sur internet. Voir : https://x.com/Gbastidas/status/1819512500146393286

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Notes