L’Assemblée générale d’ENSEMBLE! avait, en cet automne 2024 – après la séquence des élections européennes et législatives – un débat d’orientation indispensable sur l’avenir de la gauche après la constitution du Nouveau Front Populaire (NFP). Il s’agissait aussi de débattre sur l’avenir et l’action d’ENSEMBLE! Voici le texte adopté le 11 novembre.
Combattre la droite et l’extrême droite, construire une alternative politique majoritaire1Ce texte est la seconde partie des documents adoptés lors de l’AG des 9,10 et 11 nov.
En France, une menace pèse sur la société. Le RN est aux portes du pouvoir. Il peut y parvenir en l’absence d’une alternative politique de gauche et écologiste suffisamment attractive et mobilisée, en lien avec un mouvement social et citoyen.
Nous sommes en effet dans un enchevêtrement de crises et de dangers : détresses sociales, angoisse climatique et écologique, guerres, oppressions et atteintes à la dignité, crise politique et démocratique gravissime pouvant déboucher sur une paralysie totale du pouvoir et une crise de régime. C’est le résultat de l’offensive mondiale et systématique du capitalisme néolibéral qui désagrège les sociétés, les communs conquis et « le commun » de nos actions, le travail et la socialisation des richesses, les solidarités, l’égalité, les libertés. Les gauches, malgré des phases de soulèvements divers, n’ont pas réussi à y faire face.
La gauche et l’écologie politique (malgré un rebond en juillet 2024), ne sont pas à la hauteur du défi, pour des raisons anciennes ou récurrentes : bilan catastrophique des gouvernements de gauche, sectarisme des appareils, défaites sociales malgré des mouvements sociaux parfois très forts et créatifs, divisions dans le salariat (la précarité comme norme imposée). Dans le même temps, le développement du féminisme, les initiatives de solidarité contre les discriminations, la misère, le racisme, l’action pour refuser les gâchis écologiques montrent une société ouverte au progrès social et à la justice, la tolérance, les droits. Beaucoup ont signé des appels unitaires pour le succès du Nouveau Front populaire et le sursaut antifasciste de juillet dernier.
Cependant l’imaginaire historique de la gauche ne répond pas à la gravité de la situation que nous vivons : l’obsession de l’immigration, les questions du productivisme et de l’extractivisme, les enjeux liés au féminisme et aux discriminations, la question démocratique ne sont pas prises au niveau nécessaire. Les hésitations et atermoiements rendent la gauche illisible. Une partie importante de la gauche est héritière de visions issues d’un passé dépassé, et a du mal à porter clairement et partout le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à mener une critique résolue des régimes politiques qui ne respectent pas les droits fondamentaux.
La crise politique, le système autoritaire usé du « macronisme » et de la Cinquième République, l’assise de plus en plus étroite de son pouvoir et du régime, ont pris un tour de plus en plus aigu, au fil des mouvements sociaux de forte ampleur : gilets jaunes, luttes écologistes, environnementales et féministes, mouvement en défense des retraites. Le recours massif aux 49.3 et 49.7 montre les difficultés du pouvoir en place, confronté à une perte d’hégémonie. Cela a pris une dimension nouvelle et inconnue à ce jour, avec la dissolution de l’Assemblée nationale. Pire encore : la méthode de gouvernement – en collusion avec les exigences des droites extrêmes et du RN (ex : lois immigrations, connivences parlementaires, ordre policier) – montrent que des secteurs des couches dominantes, notamment dans les médias ou des secteurs économiques, seraient prêts à laisser les clefs du pouvoir au RN plutôt qu’à une alternative démocratique.
S’il est essentiel de souligner le rôle essentiel des couches dominantes dans la menace de l’extrême-droite, cela ne doit pas nous faire minimiser le fait que le ferment essentiel de l’audience de la droite néo-fasciste est l’absence de perspective sociale, culturelle, politique.
Si la gauche n’arrive pas à articuler mouvement social et perspectives politiques en rendant crédible la perspective de changer la vie, la traduction électorale risque fort d’être un million d’abstentionnistes de plus et le RN sera le vainqueur électoral (législatives ou présidentielle, anticipées ou non). Le perdre de vue un instant serait irresponsable. S’il parvenait aux commandes politiques, la France et l’Europe basculeraient dans une régression historique. « Il est minuit moins le quart ».
Le défi à relever, avec le Nouveau Front populaire
En rupture avec le bilan catastrophique des gouvernements de gauche antérieurs, une nouvelle phase s’est ouverte. Ce qui a fait la force du Nouveau Front populaire a plusieurs sources : les mobilisations sociales de l’année 2023, le mouvement féministe, les actions écologistes, antiracistes, contre les répressions et pour les libertés. Mais aussi le rassemblement politique devant l’urgence.
Aussi convient-il d’agir sur ces deux plans :
- d’une part un rassemblement politique à vocation majoritaire à gauche ;
- et d’autre part une capacité renforcée des mouvements citoyens et des luttes sociales pour coproduire une alternative par l’action.
Une condition est aussi que les forces politiques soutiennent et participent aux initiatives de luttes, tout en respectant leurs modalités.
Le Nouveau Front populaire rassemble la plus grosse minorité de l’Assemblée pour un Contrat de législature exprimant les exigences portées par les mouvements ces dernières années. Pour des forces et des militant·es qui souhaitent que la domination du système capitaliste soit remplacée par un progrès de démocratie et de socialisation des richesses, il faut donc être lucides : empêcher le pire, renforcer les forces d’émancipation, agir pour une société libérée du système d’exploitation et d’oppression. Les victoires partielles sont un point d’appui décisif parce que les buts se clarifient et paraissent un pas de plus à faire.
Le Nouveau Front populaire ne doit pas se réduire à un cartel de partis politiques, ni réduire son action à des issues institutionnelles. Il est essentiel que se développent les assemblées citoyennes du NFP, pour favoriser le débat et l’action politique au plus près des citoyens.nes.
Notre mouvement se doit donc d’« être acteur dans la situation nouvelle » (texte n° 1). Construisons un rapport de force et une coalition des organisations et des courants politiques issus de plusieurs traditions, mais qui convergent pour agir en commun dans cette direction.
Ce défi s’adresse à toutes et tous, membres ou pas de toutes les organisations politiques engagées dans la dynamique du Front populaire : les quatre partis présents à l’Assemblée et les vingt autres organisations politiques qui soutiennent et participent pleinement. Ainsi que les associations, collectifs unitaires et syndicats qui sont des points d’appui décisifs pour mobiliser au sein d’Assemblées citoyennes du Nouveau Front populaire.
Construire une force politique, un pôle de gauche alternative, sociale et écologique, au sein du Nouveau Front Populaire.
Depuis 2022, d’abord avec la NUPES, puis avec le Nouveau Front populaire, l’espoir est immense, mais la fragilité aussi. À tout moment des dérapages sont possibles, voire un éclatement, résultat des batailles d’égos et des inerties bureaucratiques.
C’est pourquoi il y a besoin d’un rapport de force, d’une « Alliance » ou d’un « cadre politique commun » pour faire progresser l’union, animer la réflexion politique, aider l’action. Nous devrons le proposer à toutes les forces et tous les groupes militants qui partagent nos axes d’activité pour une victoire du NFP : toutes les forces et courants issues des expériences de gauche (insoumis·es, anticapitalistes, communistes, révolutionnaires, autogestionnaires, écologistes, sans exclusive a priori…). Ainsi que toutes les personnes volontaires et/ou animatrices des luttes sociales, notamment les jeunes. C’est urgent.
Pour cette force politique, il faut une visée commune qui réponde aux enjeux posés par les crises profondes que nous vivons, des pratiques et des campagnes politiques, des succès communs, avec des désaccords assumés et maitrisés. Sur la base d’Assemblées locales pour le Nouveau Front populaire, contribuer au développement des mouvements sociaux, proposer des candidatures à d’éventuelles législatives anticipées, préparer les municipales.
Il s’agit donc de constituer une force politique, fédérative, ancrée dans les mobilisations et rendant possible les débats pour un pluralisme stimulant.
Pour y parvenir, notre méthode repose sur un triptyque :
- Vérifier une compréhension commune des tâches urgentes de la situation politique et de la manière d’agir (cf. : « le défi à relever » et, ci-dessous, « les bases immédiates »)
- Débattre, sans ultimatisme, des questions stratégiques de notre temps (actualité de la « révolution » aujourd’hui, bifurcation écologique, démocratique, l’internationalisme, l’Europe et ONU…) ; ce qui signifie que des questions resteront en suspens.
Par ailleurs, dans la période actuelle, les forces politiques ne peuvent se limiter à des analyses et revendications. Une perspective de société est nécessaire pour tendre nos actions vers un imaginaire à partager, un imaginaire qui nous porte.
Il est donc temps de synthétiser plusieurs années de réflexions qui, par petites touches, peuvent la dessiner.
Aussi, ENSEMBLE! propose à ses partenaires de s’associer à un atelier dont le but sera de définir ce que serait la société que nous souhaitons construire. Comment elle fonctionne ? comment elle produit ? comment elle gère les décisions ? comment elle innove ? comment elle inclut ? comment elle permet l’émancipation ? - Se mettre d’accord sur un fonctionnement démocratique commun nécessitant le respect des histoires différentes et du pluralisme, la recherche du consensus sans rejeter le vote si nécessaire.
Les bases d’orientations immédiates2cf. : texte n° 1 « ENSEMBLE! acteur dans la situation politique »
- Combattre dans les actes le capitalisme néolibéral dominant (en gros le programme du NFP ou de la NUPES) ;
- Battre les droites et le RN ;
- Refuser le social-libéralisme (type gouvernement Hollande), sans pour autant théoriser les « deux gauches inconciliables » ;
- Combattre le productivisme qui détruit la vie.
- Contre un NFP réduit à un cartel d’états-majors, agir partout pour généraliser des assemblées populaires ou citoyennes, ouvertes aux luttes de la société, et pour une adhésion directe au NFP ;
- Développer une culture de l’union et du rassemblement, refuser le clivage permanent et le sectarisme, respecter le pluralisme ;
- Combattre toutes les formes de racisme, contre les roms, contre les noirs, contre l’antisémitisme, contre l’islamophobie, etc. ;
- Agir contre les VSS, pour l’égalité F/H, et les droits LGBTQI+ ;
- Combattre les dérives présidentialistes, soutenir l’aspiration à l’auto-organisation/autogestion sur le plan citoyen et dans les luttes ;
- Agir pour démocratiser la démocratie (nourrir le débat sur les réponses institutionnelles qui existent) : corriger immédiatement la Constitution par une proportionnelle permettant les débats et les alliances ; corriger les pouvoirs du Président (supprimer son droit à dissoudre l’Assemblée et à présider le Conseil des ministres) et décider qu’un Premier ministre sera choisi par les députés.
- Défendre les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes. Promouvoir la solidarité internationale contre les impérialismes et le néocolonialisme, notamment la solidarité active avec le peuple d’Ukraine, de Palestine, de Kanaky.
- Avoir des pratiques à l’image de nos objectifs politiques : fonctionnement démocratique favorisant l’autogestion et l’auto-organisation, pratique de la parité Femmes/Hommes à tous les niveaux de l’organisation, refus des comportements discriminatoires, racistes, sexistes, respect de la diversité des positions et recherche active du consensus (sans renoncer au vote si nécessaire).
Combattre la droite et l’extrême droite, construire une alternative politique majoritaire
Texte adopté le 11 novembre 2024.
Consultable ci-dessous et téléchargeable au format PDF
Notes
- 1Ce texte est la seconde partie des documents adoptés lors de l’AG des 9,10 et 11 nov.
- 2cf. : texte n° 1 « ENSEMBLE! acteur dans la situation politique »