Le phénomène est sans précédent depuis les manifestations de chercheurs sous Fillion, et même sans précédents tout court : en première page du Monde daté du 24/05/2016, sept Prix Nobel et une médaille Fields (une récompense équivalente pour les mathématiques) dénoncent « un coup de massue » budgétaire et décrivent des mesures qui « s’apparentent à un suicide scientifique et industriel ». Connaissant personnellement plusieurs des signataires, ayant même coopéré scientifiquement avec certain-es, je peux témogner qu’aucun-e n’est un dangereux syndicaliste minoritaire, ni un excité « islamo gauchiste ». Les termes particulièrement vifs sont donc à prendre très au sérieux.
Qu’en est-il ?
Après la politique de Sarkozy, véritable fossoyeur de la Recherche, avec la gestion d’une partie importante des crédits d’Etat par l’Agence National pour la Recherche (ANR), donc une recherche sur projets sacrifiant la prise de risque scientifique et la vraie innovation, de grands espoirs s’étaient portés sur François Hollande. Celui-ci n’avait-il pas, au hasard de ses discours, promis de réviser l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, de réformer ou détruire l’ANR, de « sanctuariser » et d’augmenter le budget de la recherche, pour tenir l’objectif d’atteindre au plus vite 3 % du PIB, objectif européen ?
Comme pour d’autres domaines, on a rapidement vu : la ministre Fioraso a orienté son action vers « l’innovation » (traduisez le transfert aux industriels), n’a pratiquement rien fait pour diminuer la précarité dans les organismes de recherche (chiffre ahurissant de 37 000 précaires reconnus à son départ par Pécresse, 50 000 en réalité selon les syndicats en 2014), a maintenu l’ANR et joué au théâtre d’ombres sur l’évaluation, remplacant l’AERES par une HCERES ( Haut conseil de la recherche et de l’enseignement supérieur) ….. qui en fait a les mêmes fonctions.
Quant à l’emploi, le SNCS (syndicat national des chercheurs scientifiques) pouvait titrer : « Mensonges sur l’emploi scientifique : Fioraso va-t-elle faire mieux que Pecresse ? Et dénoncer le mensonge de Geneviève Fioraso déclarant « Concernant l’emploi scientifique, je voudrais rappeler simplement les chiffres : dans les grands organismes de recherche, l’emploi a augmenté de 1 437 personnels de recherche ». C’était faux : la réalité est que le CNRS, par exemple, a perdu 800 emplois de toutes natures en une dizaine d’années  dont une partie sous son propre ministère. D’où une série de manifestations, dont une très importante à l’appel des syndicats et de « Sciences en marche », créée pour l’occasion, fin 2014.
Au moins, nous dira-t-on, les crédits augmentaient et étaient « sanctuarisés » au milieu des coupes budgétaires Ayrault, puis Valls, au nom de l’austérité…
Et bien non ….
Des coupes avaient déjà été pratiqués, Mandon, secrétaire d’état succédant à Fioraso, reconnaissant une diminution du budget recherche de 2015 de 150 millions d’euros …Sur un budget en stagnation de fait en 2014 et 2013….. Inutile de dire que les organismes de recherche, mis en difficulté sous Sarkozy, avaient de plus en plus de mal à respirer.
Or là, le projet de décret d’avance budgétaire prévoit aujourd’hui d’annuler 256 M€ de crédits de la MIRES. Cette suppression budgétaire porte essentiellement sur la recherche pour 168,7 M€, avec 134 M€ supprimés sur les organismes de recherche, accentuant ainsi les manques de moyens de ces organismes (CNRS, CEA, INRA, INRIA), 23,1 M€ sur la recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durable, 6,6 M€ sur la recherche culturelle et la culture scientifique, 5 M€ sur la recherche spatiale. L’enseignement supérieur voit son budget diminuer de 50,2 M€, et 26,05 M€ pour la « recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle ». Enfin, 10 M€ sont supprimés du programme « vie étudiante » pour des opérations immobilières, et 1.2 millions du programme « enseignement supérieur et recherches agricoles »…
Le secrétaire d’Etat et la ministre de tutelle, Najat Vallot Belkacem, prétendent que les coupes n’auront aucun effet en « expliquant » que les 134 M€ de crédits annulés aux CEA, CNRS, INRA, INRIA seront prélevés sur les fonds de roulement des organismes. Mais par exemple, avec de tels tours de passe-passe, selon lesquels des annulations n’en seraient pas, en 2015, 45 M€ ont été supprimé en crédits de paiement (CP) au CNRS. Comme le note le SNCS-FSU, le ministère avait déjà expliqué qu’il n’y avait pas de problème, car il n’y avait pas de suppression en autorisations d’engagement (AE). Il suffisait de le prendre sur le fond de roulement et ce crédit n’a jamais été restitué. Pour 2016, 50 M€ seront supprimés en AE et CP (coupure sèche).
Dans le cas du CNRS, 50 M€ supprimés en 2016 se rajoute au 45 M€ reporté sur 2016.
Deux exemples cités par le Monde (le CNRS garde le silence, comme l’INSERM) : le directeur de l’INRIA, Antoine Petit, estime ne pas pouvoir diminuer son budget de 10 millions d’euros et au CEA, la trésorerie est actuellement négative, l’intersyndicale indique que pour seules marges, « il reste les charges salariales des chercheurs des Recherches Fondamentale et Technologique. Faut-il en arriver à sacrifier des emplois et des compétences si longuement acquises ?».
La réponse est très probablement …..oui…. !!!
D’où l’extrême dureté de l’appel des Nobels (extraits qu’il faut citer ) : « Hasards de l’actualité : nous avons appris le même jour que les dépenses de recherche et développement (R&D) de l’Etat fédéral allemand ont augmenté de 75 % en dix ans » « Nous savons combien les budgets de ces organismes sont tendus depuis de longues années. Ce coup de massue vient confirmer les craintes régulièrement exprimées : la recherche scientifique française, dont le gouvernement ne cesse par ailleurs de louer la grande qualité et son apport à la R&D, est menacée de décrochage vis-à-vis de ses principaux concurrents dans l’espace mondialisé et hautement compétitif de la recherche scientifique. Exemple parmi d’autres, le gouvernement américain vient de décider de doubler son effort dans le domaine des recherches sur l’énergie. » (je ne suis pas partisan de l’idéologie de la guerre économique nécessaire, mais …).
Et « Ce que l’on détruit brutalement, d’un simple trait de plume budgétaire, ne se reconstruit pas en un jour. Les organismes nationaux de recherche vont devoir arrêter des opérations en cours et notamment limiter les embauches de chercheurs et de personnels techniques. Ce coup d’arrêt laissera des traces, et pour de longues années. Le message envoyé par le gouvernement n’incitera pas non plus la jeunesse à se tourner vers les métiers de la recherche scientifique et de la R&D en général. »
Pour terminer par : « Les mesures qui viennent d’être prises s’apparentent à un suicide scientifique et industriel. »
Les syndicats (dont le mien, le SNCS-FSU) exigent que la recherche soit une réelle priorité, non pas dans les discours des présidents ou des présidentiables, mais par un réel investissement.
Il faut sortir des mensonges !
D’ores et déjà circulent des appels à la communauté scientifique à se mobiliser dans le cadre des actions que lancera l’intersyndicale de l’ESR pour exiger que le budget 2015 de la recherche ne subisse pas de coupure et une loi de programmation de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR), avec un financement en augmentation de 3,5 milliards d’euros par année pendant dix ans, pour atteindre l’objectif de 1% du PIB pour la recherche publique, 2% de PIB pour l’enseignement supérieur.
Les chercheurs ont déjà monté qu’ils savent sortir dans la rue ! ils vont le refaire, comme sous Fillion et Pécresse, et participer ainsi au vaste mouvement social que ce gouvernement illégitime car minoritaire partout est en train de susciter.
C’est l’avenir économique, social et environnemental de la France qui est en jeu.
Gérard Chaouat