État espagnol : Une victoire des droites réactionnaires et un camp progressiste à la dérive

À l’exception remarquable de l’Euskadi, de la Navarre et d’une partie de la Catalogne, les élections locales de ce 28 mai ont marqué une victoire retentissante du bloc néoconservateur et réactionnaire des droites. Ce dernier a réussi à arracher au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) ((https://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_socialiste_ouvrier_espagnol)) une partie importante de son pouvoir institutionnel afin de préparer dans de meilleures conditions la bataille des élections générales.

La réponse du Premier ministre socialiste, Pedro Sánchez, en décidant de convoquer des législatives anticipées le 23 juillet prochain obéit notamment à sa volonté de récupérer un électorat de gauche déçu par la débâcle de Unidas Podemos (UP) ((https://fr.wikipedia.org/wiki/Unidas_Podemos)). Il va lui demander de voter utile face à la menace d’un Parti populaire (PP) ((https://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_populaire_(Espagne))) qui aura besoin de Vox ((https://fr.wikipedia.org/wiki/Vox_(parti_politique))) pour former des majorités de gouvernement. En outre, il est à craindre que Sánchez le fasse en s’adaptant à l’agenda des droites, comme il l’a déjà fait dans de nombreuses politiques, malgré l’image de « gouvernement le plus progressiste de l’histoire » qu’il a prétendu donner avec la collaboration, active ou passive, de UP.

Il ne sera pas facile non plus de contrer cette menace à court terme avec un projet comme Sumar ((https://www.euractiv.fr/section/elections/news/espagne-la-plateforme-de-gauche-sumar-senregistre-en-tant-que-parti-en-vue-des-elections/)) – le parti de la vice-ministre en charge du travail, Yolanda Díaz, ex membre d’Izquierda Unida (IU) ((https://fr.wikipedia.org/wiki/Izquierda_Unida_(Espagne))) – qui est également affaibli (surtout par la défaite d’Ada Colau à Barcelone) et qui a montré peu de volonté de construire un projet autonome face au PSOE.

La gauche anticapitaliste ne sera pas non plus en mesure d’offrir une alternative électorale, même si elle ne pourra pas se détourner du nouveau défi électoral.

Ainsi, au-delà du 23 juillet, des temps difficiles arrivent. Il est temps de résister à un bipartisme systémique qui se renforce. Il va falloir trouver la convergence avec les couches populaires les plus touchées par la précarisation de leurs conditions de vie en pleine urgence climatique mondiale. Revenir, en somme, à mettre le conflit et la mobilisation sociale au centre, renoncer à être la béquille d’un PSOE qui reste le pilier fondamental de ce régime.

Pour celles et ceux qui lisent le castillan, voici l’article plus développé paru ce jour sur Viento Sur : « Del 28M al 23J. Marea derechista vs. progresismo en declive »

Quelques remarques supplémentaires

Après la débâcle électorale de dimanche 29 mai aux élections municipales et régionales, le Premier ministre socialiste, Pedro Sánchez, essaye de reprendre la main ou au moins de limiter la casse qui s’annonce pour les élections générales prévues fin 2023. Il essaye, à la fois, de prendre de court la droite du PP et l’extrême droite de Vox, mais aussi la gauche.

En effet, c’est une course de vitesse : les partis ont dix jours seulement pour constituer des coalitions. Pedro Sánchez espère ainsi imposer les conditions d’un accord à Podemos voire à Sumar, la formation de Yolanda Díaz, ou à défaut forcer la main du reste de la gauche pour le soutenir comme seule alternative à la droite extrême. Yolanda Diaz, qui est sa vice-présidente et ministre du Travail, venue du PC a, en effet, pris ses distances vis-à-vis de Podemos. Il espère aussi jouer sur l’épouvantail de la peur et des pressions qu’un retour de la droite alliée à Vox (7,19 % des voix aux municipales) peut exercer sur les nationalistes de toutes tendances ainsi que sur l’électorat démobilisé de gauche.

Les résultats par régions

1/ En Catalogne, le bloc indépendantiste obtient 40 % des voix aux municipales (il avait dépassé les 50 % aux dernières élections régionales). Il paye le prix de sa division et peut-être aussi des renoncements de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) ((https://fr.wikipedia.org/wiki/Gauche_r%C3%A9publicaine_de_Catalogne)) dans les négociations avec Madrid. L’abstention bat, en effet, des records, notamment dans les régions ou localités les plus traditionnellement indépendantistes.

Xavier Trias – candidat au nom de Ensemble pour la Catalogne (Junts) ((https://fr.wikipedia.org/wiki/Ensemble_pour_la_Catalogne_(parti_politique))) mais très marqué par l’héritage de Convergence démocratique de Catalogne (Convergencia) ((https://fr.wikipedia.org/wiki/Convergence_d%C3%A9mocratique_de_Catalogne)), la droite nationaliste de Jordi Pujol, premier président post-franquiste de Catalogne – arrive pourtant en tête à Barcelone. Il en appelle au bloc indépendantiste pour les élections générales, mais que fera-t-il pour arracher la mairie ? Une alliance avec le Parti des socialistes de Catalogne (PSC) ((https://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_des_socialistes_de_Catalogne)) ? Avec le PP ? Cela paraît difficile.

L’ancienne maire, Ada Colau, arrive troisième (usure de deux mandats, politique des grands projets au détriment des couches populaires, spéculation immobilière, problème des logements, etc.) et n’aurait les moyens de s’en sortir qu’avec d’improbables alliances avec ERC et PSC. Les Communs – proches des Unidas-Podemos à leur création – se projettent plutôt vers les élections générales, dans le sillage de Yolanda Díaz, en ce qui concerne Colau.

ERC (qui dirige le gouvernement catalan) perd 300 000 voix. Le PSC – celui-là même qui avait soutenu l’application de l’article 155 de la constitution ((https://www.francetvinfo.fr/monde/espagne/referendum-en-catalogne/catalogne-quatre-questions-sur-l-article-155-de-la-constitution-espagnole-arme-ultime-de-madrid-face-aux-independantistes_2406273.html)) – arrive, lui, en tête.

La Candidature d’unité populaire (CUP) ((https://fr.wikipedia.org/wiki/Candidature_d%27unit%C3%A9_populaire)) perd des voix (40 000) et ne sera pas présente à la mairie de Barcelone, même si elle reste la deuxième force à Gérone et la quatrième dans nombre de mairies catalanes. Le vote utile, d’un côté et la démobilisation de l’électorat indépendantiste, de l’autre, ont joué à fond contre la formation anticapitaliste.

Le PP, comme ailleurs dans l’État, rafle les voix de Ciudadanos ((https://fr.wikipedia.org/wiki/Ciudadanos)), qui disparaît. La victoire écrasante de Xavier García Albiol à Badalone est symbolique. Celui qui avait mené la fronde (et appelé la Guardia civil et l’armée à la rescousse) contre le référendum de 2017, avec des arguments franquistes, reprend une ville jadis dirigée par Dolors Sabater (2015 à 2018), dirigeante de Gagnons la Catalogne, députée sur les bancs de la CUP.

Vox entre dans 76 mairies catalanes (il passe de 3 à 124 élu·es municipaux).

2/ Pour ce qui est du Pays basque/ Euskadi, quelques éléments :

  • La gauche indépendantiste et radicale sociale-écologiste, Euskal Herria Bildu (EH Bildu) ((https://fr.wikipedia.org/wiki/Euskal_Herria_Bildu)), sort nettement gagnante de ce scrutin.
  • Le Parti nationaliste basque (PNV) ((https://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_nationaliste_basque)) – démocratie chrétienne libérale – perd du terrain partout.
  • Le PSOE minoritaire dans l’autonomie, ne perd pas autant que dans le reste de l’État espagnol, situation qui se rapproche de celle de la Catalogne.
  • Le PP et Vox restent marginaux, sauf pour l’extrême sud de l’Alava (Rioja).

« L’équilibrage » avec le PNV est spectaculaire. Dans les trois provinces de l’autonomie, EH Bildu distance le PNV de 9 points en Guipuzkoa, alors que les deux forces étaient au même niveau, il y a quatre ans. Pour la première fois depuis 1986 dans la province très modérée et la moins indépendantiste de l’Alava, EHB (ex HB) dépasse le PNV.

Enfin, dans son fief de la Bizkaya/Bilbao le PNV chute à 35 %, tandis que EHB grimpe à 25 %, alors que le PNV faisait le double des voix de EHB il y a quatre ans.

De nombreux ex-etarras ont été élu·es ce qui a fait dire à la présidente PP de la communauté de Madrid, que Sánchez était « allié aux terroristes ».
Cela a aussi contribué (entre autres) à la débâcle du PSOE, paramètre indéniable dans une Espagne aux réflexes anti-basques récurrents.
En Navarre, EH Bildu progresse aussi en dépassant les 20 %. Mais le PSOE perd beaucoup face la droite carliste et réactionnaire.

3/ Dans le reste de l’État, on retrouve le bipartisme (droite / socialistes) qui a marqué la transition, avec des pressions de Vox sur le PP et, à bien moindre échelle, mais utiles pour d’éventuelles coalitions de Sumar/Unidas Podemos sur le PSOE.

Il faut souligner la remontada du PP, qui retrouve sa place avec Vox sur le cadavre de Ciudadanos, dont ils se partagent les voix.

Les élu·es du PP vont s’exercer à gouverner avec les fachos de Vox dans plusieurs régions dont les Baléares, Estrémadure, Valence et Aragon… Vox (par la voix de son leader, Santiago Abascal) tend déjà la main au PP pour former de nouvelles majorités.

Le PSOE cède plusieurs des régions qu’il gouvernait à la droite (Baléares, Estrémadoure, Valence et Aragon).
La gauche du PSOE et la gauche radicale perdent du terrain dans tout l’État, sauf en Euskadi.

Unidas-Podemos poursuit sa dégringolade et a disparu des gouvernements autonomes de Madrid, Valence et des Canaries ainsi que de beaucoup de mairies, dont celle de Madrid. Il sera ainsi à la traîne des projets de l’ambitieuse Yolanda Díaz et de son parti, Sumar.

D’autres articles de contexte (toujours en castillan) pour comprendre la situation espagnole :

 

31 mai 2023
François Caussarieu et Mariana Sanchez


Pour compléter, vous pouvez lire sur notre site :