Nous continuons à présenter sur notre site les textes de Sofia ou Lucile. Ils donnent une réalité concrète à ce qui ne serait sinon que des chiffres. Voici le texte dit par Sofia, le 10 février 2024, à Gap, lors de la 16ᵉ manifestation pour un cessez-le-feu immédiat et durable en Palestine.
Yeux vides
Par Sofia A., Franco-palestinienne, le 10 février 2024
Elle se nomme Jouri,
Une enfant de 5 ans presque 6 maintenant ;
Née après deux garçons, elle était la princesse de ses parents ;
Elle se nomme Jouri, et nos papas sont frères,
Mais elle est née dans la prison à ciel ouvert,
Ainsi Jouri aux yeux du monde ne compte pas comme vous et moi,
Pour Jouri la vie aujourd’hui n’est plus que désarroi,
Elle s’appelle Jouri et elle était pourtant pleine de vie, comme toute fillette à son âge,
Mais si aujourd’hui Jouri est encore en vie, elle n’est plus comme toute fillette de son âge,
Jouri, tu es née à Gaza petit bout de terre où il n’y a aucun droit ;
Jouri, tu es née à Gaza, là où les enfants naissent déjà grands ;
Là où les enfants n’ont pas le temps d’être insouciants,
Jouri, je t’ai vue en visio au début de cette guerre, témoin de tes yeux dénués d’espérance
Dénués de la lueur de l’enfance ;
Jouri, j’ai vu tes yeux vides, pourtant emplis de souffrance,
Jouri, aujourd’hui, de toi, j’ai si peu de nouvelles ;
Je sais seulement que tu subsistes dans l’horreur de la guerre ;
Je sais que tu as faim, que tu veux souvent mettre ton costume d’écolière,
Jouri, au lieu d’apprendre à lire cette année comme les enfants de ton âge, tu apprends l’enfer de la guerre,
Jouri, j’ai côtoyé son visage d’enfant et son regard de grande pourtant,
Les enfants de Gaza, on ne leur laisse pas le temps d’être insouciants,
Les enfants de Gaza maintenant, on ne leur accorde même plus le droit de devenir grands,
Jouri dans ses yeux de fille de 5 ans a vu plus de souffrances et d’horreurs que beaucoup des gens âgés de notre temps ;
Jouri, elle est comme vous, elle est comme moi, mais aux yeux du monde, si la lumière dans ses yeux d’enfant s’est éteinte, ce n’est nullement important ;
Jouri, elle est comme vous et moi, mais face aux rêves de liberté dont elle est le mendiant,
Le monde fait le choix de l’aveuglement.
Face à ses yeux vides, le monde choisi le déni ;
Elle s’appelle Jouri, et nos papas sont frères, elle est comme moi, comme vous aussi
Pourtant, face au massacre qu’elle subit, ils ont choisi le mépris,
Jouri, elle est comme vous et moi, mais si ses yeux vides d’enfant traumatisée se ferment à tout jamais, aux yeux du monde, elle ne sera recensée que comme un chiffre de plus ajouté à la liste des enfants tués de l’enclave de la mort, Gaza.
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