Gisèle Halimi avait l’audace de l’insoumission. Elle avait chevillé au corps le refus d’un destin préétabli. La trajectoire des grandes personnalités féministes ne commence-t-elle pas toujours par là ? Très tôt, Gisèle Halimi avait dit non. Elle voulait continuer à jouer au foot quand sa mère lui intimait l’ordre de cesser ce jeu avec les garçons, puisqu’elle venait d’avoir ses règles. Elle n’acceptait pas de réaliser les tâches domestiques que ses frères n’étaient pas sommés de faire. Elle refusa catégoriquement ce mariage arrangé par ses parents, alors qu’elle avait 16 ans et des rêves de liberté plein la tête. La rébellion face à l’injustice, Gisèle Halimi la portait viscéralement en elle, comme quelque chose de sauvage disait-elle, la poussant à épouser des causes justes autant qu’à faire surgir d’elle une insolence remarquable. C’est à la croisée de l’intime et du politique que se noue l’individu féministe, nous dit Geneviève Fraisse. Nous y sommes. Gisèle Halimi incarne cette imbrication qui façonne les pionnières, dont elle était et à qui nous devons tant.
Gisèle Halimi a mis sa rage au service de combats pour l’égalité, contre la colonisation, pour les droits des femmes. En 1960, elle signe le manifeste pour le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie. L’avocate prit la défense de Djamila Boupacha, militante du FLN torturée et violée par des militaires français. En 1973, Gisèle Halimi est aux côtés de Simone de Beauvoir et des 343 femmes qui déclarent avoir avorté, se mettant de fait dans l’illégalité. Elle a frappé les esprits dans plusieurs procès devenus historiques. A Bobigny en 1972 sur l’avortement comme à Aix en 1978 en défense de femmes violées, elle sut rendre spectaculaire l’injustice de la loi. J’entends sa voix et ses mots autant que les cris des manifestantes aux abords du tribunal. Gisèle Halimi n’avait pas peur du scandale, parce qu’elle avait compris que la conflictualité générée pouvait faire avancer les mentalités et la législation. Et elle engrangeait les injures sans donner l’impression de fléchir une seule seconde. Gisèle Halimi avait un aplomb impressionnant.
Figure majeure des années MLF, initiatrice de l’association Choisir, elle a contribué à ce que le mouvement féministe arrache la loi de 1975 sur la libéralisation de l’avortement et celle de 1980 permettant de donner une définition juridique au viol. Ces conquêtes légales, qui doivent encore se confirmer dans la réalité, sont absolument majeures. Les nouvelles générations mesurent-elles le chemin parcouru ? Le XXe siècle a bousculé en profondeur l’ordre des sexes et des sexualités. Gisèle Halimi fut une actrice de ce changement radical, une combattante, qui ne lâche pas, argumente, cherche à convaincre. Une femme qui agit sur le réel plus qu’elle ne le théorise. Ce qui m’a toujours frappée, c’est la simplicité de son langage, sa façon de rendre largement accessible le sens de la lutte et de ne pas s’attarder dans les querelles internes au féminisme. Gisèle Halimi allait droit au but. Elle incarnait un féminisme égalitariste pragmatique.
En écoutant l’unanimité des hommages qui lui sont aujourd’hui rendus, jusqu’au ministre Dupond-Moretti, dont tant de plaidoiries pétries de propos machistes ont sans doute fait bondir l’avocate Halimi, on en oublierait la subversion qui était la sienne, qui est la nôtre, celle des féministes. Ce qui faisait scandale hier est consensuel aujourd’hui ? C’est une victoire. Mais celle-ci ne doit pas masquer les conquêtes que nous avons encore à arracher. Et pour cela, l’insoumission et l’audace sont décisifs. S’il est une voie que Gisèle Halimi nous enseigne, c’est bien celle-là.
Clémentine Autain députée de Seine-Saint-Denis (Ensemble-insoumis)
Cette tribune est parue initialement dans Libération