Des nouvelles de la journée sur la situation des migrant·es à Gap et dans le département des Hautes-Alpes

Le 31 mars 2023, , au Pôle universitaire de Gap, plus de cent personnes ont participé à une journée de travail consacrée à l’hébergement des populations migrantes. Le Réseau Hospitalité, le Collectif des réfugiés et l’association Tous Migrants y avaient invité un panel de personnalités très large.

Il faut savoir qu’à Gap, 120 sans-papiers vivent dans les bungalows d’un camping, parfois depuis cinq ans.

Dans l’amphithéâtre du Pôle universitaire, des chercheurs, élus et militants sont donc venus partager leurs expériences et leurs travaux.

Ainsi que vous pouvez le constater, le programme de la journée était particulièrement riche. Ce fût une belle réussite par la qualité des intervenants. Le plus connu était Damien Carême, député européen EE-LV, ancien maire de Grande-Synthe et président de l’Association Nationale des Villes et Territoires Accueillants (ANVITA). Mais une autre raison du succès de cette rencontre tient à la diversité des participant·es.  En effet, ont mis en commun leurs expériences et leurs pratiques des militant·es politiques du PCF, d’ENSEMBLE! 05, de LO, des anarchistes, des membres du personnel hospitalier, des représentant·es d’associations de soutien aux migrant·es d’Embrun et Sisteron et, bien sûr, beaucoup de personnes ayant accueilli des jeunes migrant·es. N’oublions pas nos ami·es de Tous Migrants de Briançon et nos amies du Collectif des Réfugiés des Hautes-Alpes.

Le Réseau Hospitalité, à l’origine de la manifestation et organisateur de la rencontre, est heureux du bon déroulement de cette journée et ses membres sont tous et toutes fier·ères de l’avoir organisée.

Le compte rendu, paru dans le Dauphiné Libéré sous la plume d’une jeune journaliste, a été apprécié par les participant·es. Vous pouvez, à votre tour, en prendre connaissance : « Si l’habitat n’est pas digne, la dignité ne revient pas »

Beaucoup de personnes ont trouvé, dans cette journée, des sources d’inquiétudes, mais aussi des raisons d’espérer et de lutter encore plus fortement contre Darmanin et l’extrême droite. La nécessité de faire « bloc » contre Macron et le RN a été soulignée par plusieurs participant·es.

Ainsi, cette journée de travail sur la situation actuelle des migrant·es a eu une dimension politique essentielle : renforcer nos luttes pour la liberté de circulation, pour un accueil non seulement humanitaire, mais également juridique et politique. Ce qui a été rappelé, c’est la nécessité d’attribuer des papiers pour que les familles trouvent du travail et ne soient plus dans une situation d’« encampement » et dans des difficultés de santé et financières.

Ci-dessous, vous pourrez lire la conclusion que j’ai présentée à l’issue de cette belle manifestation.

Essai de conclusion : en guise d’ouverture

Cette journée ne peut que permettre des remises en cause indispensables, ainsi qu’il a été souligné aujourd’hui, si nous voulons une terre habitable par toutes et tous.

Nous n’avons pas oublié que l’humanité est composée de marcheurs et de marcheuses originelles. Nos pieds sont plus que le symbole de cette aventure, ils signent notre humaine condition selon l’anthropologie physique. Les hommes sont des voyageur·es éternel·es. Poussé·es par les guerres, les famines, les catastrophes naturelles, mais surtout, surtout, par une curiosité insatiable, l’humanité erre de tout temps, elle est l’errance même.

Mais aujourd’hui, où aller ?

L’errance ne peut plus être simplement spatiale, elle est devenue errance entre deux sociabilités, celle du départ, celle d’arrivée. Créer de nouvelles formes d’existence amicale, marcher sans fin vers cet objectif, n’est-ce pas avoir comme but une humanité pacifiée, c’est-à-dire vouloir la paix ?

Kant nomme la paix le « souverain Bien politique ». Est-il atteignable ? Pour lui – nous sommes à la fin du XVIIIe siècle – elle demande, au minimum, la naissance d’une fédération de tous les états du monde. On peut dire que l’ONU en est la forme désirée par lui et réalisée imparfaitement.

Cette forme implique, immédiatement, l’existence de marcheur·es impénitent·es : les migrants et les migrantes.

Car avec l’ONU, réalisation actuelle de ce que Kant anticipait, existe un droit universel entre les nations. C’est le droit international qui devrait gérer les relations entre celles-ci. Et il existe de plus – grande nouveauté – ce qu’il nomme le « Droit Cosmopolitique » qui se résume aux conditions d’une hospitalité universelle.

Il s’agit, pour lui, d’un droit constitutif de l’humanité. Il s’agit, en effet, d’un droit, non pas d’une philanthropie ou de la compassion. L’hospitalité, écrit-il, « signifie le droit qu’à un étranger de ne pas être traité en ennemi dans le pays où il arrive ». Ne pas être traité en ennemi, tout est là, tout est dit.

Car la base de ce droit se fonde pour Kant sur celui de la possession commune de la surface de la terre, et sur cet argument imparable : « la forme sphérique de la terre, nous oblige à nous supporter les uns à côté des autres, parce que nous ne saurions nous disperser à l’infini et qu’originairement l’un d’entre nous n’a pas plus de droit qu’un autre à une contrée. »

Soulignons la puissance de cet argument dans lequel s’enracine l’article 13 de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Celui-ci dit : 1. « Toute. personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État, et 2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, et de revenir dans son pays. ». Cet article n’est que l’actualisation du droit cosmopolitique kantien qui, nous insistons sur ce fait, repose sur les points suivants :

    1.  La forme de la terre est le fondement du droit de circulation. Les migrant·es incarnent la dimension géographique et ontologique de l’humanité originelle, celle qui, dès l’origine, a circulé et continue de circuler. Il ne peut pas y avoir des hommes ayant le droit de circuler en jets privés et des hommes interdits de circulation. Le droit cosmopolitique est le même pour toutes et tous.
    2. L’habitat dans une contrée ne crée aucun droit à la terre. Il ne peut pas y avoir de droit de propriété de la Terre, du Ciel et de la Mer, car comme le dit Kant : « originairement personne n’a un droit supérieur à un autre pour se l’approprier ». Les migrant·es sont chez eux partout. Il nous revient alors de questionner l’existence même d’un droit de propriété, de ce qui se nomme encore territoire et qui s’enclot derrière des frontières.
    3.  Les migrant·es sont les marqueurs de la guerre et de la paix, car ils et elles ne doivent pas être traité·es, sous aucun aspect, en ennemi·es. Pour Kant, la paix est le but et le souverain Bien politique. Le statut que l’on donne aux migrant·es est l’indicateur de la situation du droit universel et donc celui de l’état de paix ou de guerre de notre monde. Aussi, vu ce que nous avons entendu au cours de cette journée, il nous faut malheureusement dire que notre humanité connaît une lutte intestine, nous sommes dans une espèce de guerre contre nous-mêmes, non pas seulement à cause de la situation en Ukraine, mais d’abord parce que nos sociétés commettent toutes sorte de violences envers les personnes voyageuses en ne les traitant pas selon la Déclaration universelle des droits de l’homme, mais selon des préjugés malveillants.

Notre journée de travail, aura été un modeste jalon à l’établissement de la paix, en tout cas un apport à l’apaisement nécessaire que peuvent éprouver nos frères et sœurs en humanité lors de leur déplacement.

Terminons en disant simplement que nous leur sommes redevables de leur voyage, nous les remercions d’avoir pu, en pensées et en actes, en marchant en quelque sorte pour venir jusqu’à nous, croire qu’ils et elles pourront être accueilli·es. Leur présence nous honore. Mais nous savons l’immense travail qu’il nous reste à entreprendre pour être à la hauteur de leurs espérances.

Je vous remercie.

 

Le 2 juin 2023
Jean-Paul Leroux