La Nouvelle-Calédonie revient dans l’actualité. Propositions de lois donnant lieu à des débats difficiles au Sénat ces dernières semaines. Manifestations importantes dans le territoire, le 13 avril, indépendantistes et anti-indépendantistes ont massivement occupé les rues de Nouméa. D’autres manifestations sont prévues, et un débat avec vote aura lieu à l’Assemblée nationale le 13 mai. Le devenir de la Nouvelle-Calédonie est en jeu.

Kanaky, le retour

Par Francis Sitel, le 17 avril 2024.

Ces dernières années, la Nouvelle-Calédonie avait échappé à l’attention de l’opinion, y compris à gauche. Plusieurs décennies d’une paix civile permise par l’accord de Nouméa1https://www.wikiwand.com/fr/Accord_de_Noum%C3%A9a pouvaient autoriser cette indifférence, sans excuser ce qu’elle recélait de confiance dans l’État français pour assurer un rôle d’arbitre au regard de l’évolution du pays.

L’engagement – donnée inédite, prometteuse, mais difficultueuse ! – était d’assumer dans la durée un processus de décolonisation, dans des conditions respectueuses du droit à l’auto-détermination du peuple Kanak.

L’actualité vaut réveil : tensions politiques, propos provocateurs de représentants de la droite caldoche, manifestations opposées à Nouméa : lesdits « loyalistes » (sic) d’un côté, les indépendantistes de l’autre… Contrairement aux chiffres communiqués par les autorités, celles de ces derniers ont été de grande ampleur, par leur nombre et leur durée au long de la journée, ainsi que la multiplicité des actions sur l’ensemble du territoire.

Pourquoi un tel basculement de la situation et la menace de confrontations qui en résulte  ?

Macron porte la responsabilité d’avoir multiplié les coups de force. En décembre 2021, il a imposé le 3ᵉ et dernier référendum d’auto-détermination prévu par l’accord de Nouméa à une date que refusaient les Kanaks. Ceux-ci, après le choc violent de la covid, étaient dans la période du deuil. Suite à l’appel des indépendantistes à la non-participation, seule une minorité de l’électorat se rendit aux urnes. Loin de reconnaître que dans ces conditions le vote en faveur du non n’avait pas de légitimité, Macron en a tiré argument pour décréter que la Nouvelle-Calédonie avait opté pour définitivement rester dans la France. Il jugea l’heure venue d’en finir avec l’accord de Nouméa et de régler la question calédonienne.

Après avoir en 2022 asséné qu’« en France, on vote à la date prévue », aujourd’hui, on décide d’un report des élections provinciales. Afin de disposer du temps nécessaire pour ouvrir le corps électoral appelé à se prononcer pour ces élections. Ce qui nécessite une loi constitutionnelle, car l’accord de Nouméa a constitutionnalisé le gel du corps électoral pour ces élections provinciales : une garantie donnée au peuple Kanak de la préservation de ses droits spécifiques. Ce qui est en conformité avec le droit international, l’ONU ayant classé la Nouvelle-Calédonie parmi les « territoires à décoloniser ».

Concernant le corps électoral2Dégel du corps électoral calédonien : 12 clés pour comprendre le projet de loi constitutionnelle, des évolutions sont devenues nécessaires, l’inscription sur les listes des natifs est proposée par les indépendantistes au nom du droit du sol, d’autres mesures demandent un consensus pour déterminer qui est effectivement impliqué dans le devenir de la Nouvelle-Calédonie.

Le Gouvernement n’a cure de ces préoccupations : la Nouvelle-Calédonie ayant décidé, démocratiquement (sic), de « rester dans la France », la démocratie veut que tout citoyen disposant du droit de vote exerce celui-ci à toutes les élections, sans exception… Donc, dans l’immédiat, au bout de 10 ans de présence, on pourra voter aux provinciales.

En quelque sorte, un appel vigoureux au bon sens démocratique !

Sauf que ce prétendu bon sens, revendiqué ici, prend là-bas une autre couleur : celle d’une agression, sous le signe de l’arrogance colonialiste. La Nouvelle-Calédonie n’est pas la France, d’abord parce qu’elle est aux antipodes, et surtout de par l’histoire : celle de la colonisation.

De ce fait, la pseudo-argumentation démocratique du pouvoir est fragile, cachant mal que ce sont les intérêts de la France impérialiste qui invitent à perpétuer la domination de la Nouvelle-Calédonie. Le dégel du corps électoral revient à piétiner les engagements pris, et à rendre irréversible la mise en minorité du peuple Kanak. Une opération qui ne peut être perçue que comme une sinistre entreprise de recolonisation.

Faute de l’avoir compris, le gouvernement persiste dans une politique à hauts risques. D’abord pour la population de Nouvelle-Calédonie et le peuple Kanak.

À gauche, l’heure est à réaffirmer la solidarité avec le peuple Kanak. Il y a droit, elle lui est aujourd’hui plus nécessaire que jamais.


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Notes