Suite à un accident du travail à l’Assemblée nationale, Moussa Sylla est mort. Son employeur a été jugé coupable. Pour la famille, un long parcours commence. Les familles des morts au travail sont des victimes trop invisibilisées. Pourtant, on compte deux morts par accident du travail chaque jour en France.

Morts suite à des accidents du travail : La route est longue pour que justice soit faite

Par Danielle CHEUTON. Le 27 janvier 2025

Mort de Moussa SYLLA suite à un accident du travail à l’Assemblée Nationale.  Son employeur, la société EUROP NET, reconnue coupable par la justice (sous réserve d’appel).

Les faits

Moussa SYLLA – un salarié du nettoyage travaillant sur le site de l’Assemblée Nationale – a été victime d’un accident du travail, le 9 juillet 2022, dans les sous-sols de l’Assemblée. Il conduisait une autolaveuse auto-portée pour descendre d’un étage à l’autre quand la machine a échappé à son contrôle. Projeté violemment tête la première contre le mur, selon les enregistrements des caméras de vidéo-surveillance, il est mort 3 jours plus tard à l’hôpital, le 12 juillet.

Le jugement

Vendredi 24 janvier 2025, deux ans et demi après les faits, le Tribunal Judiciaire de Paris a fait connaître son verdict. La société EUROP NET est reconnue coupable d’homicide involontaire dans le décès de Moussa SYLLA pour ne pas avoir mis à sa disposition un matériel adéquat (la pente était de 13,8 % alors que la machine ne devait pas emprunter une voie avec une pente supérieure à 10 %, soit 38 % d’écart au cas présent) et ne pas lui avoir dispensé une formation suffisante (une demi-journée par une responsable qui n’avait pas les compétences techniques pour le faire).

La société a été condamnée à 150 000 € pour homicide involontaire et à 10 000 € au titre de chacune des 2 infractions constatées (matériel inadapté et formation insuffisante). Les 2 dirigeants MM Payan et De Moura ont été relaxés pour l’homicide involontaire, alors que le parquet réclamait leur condamnation.

Ils ont néanmoins été condamnés pour les 2 infractions constatées à 3 000 € chacun. Le communiqué de la CGT fournit des informations plus détaillées.

Ces sommes doivent être comparées avec le bénéfice de l’entreprise (2 275 000 € pour un chiffre d’affaires d’un peu plus de 7 620 000 € en 2023) et du salaire de ses deux dirigeants (28 000 € et 22 000 € par mois).

Pour la famille, c’est la première étape d’un long parcours

Les sommes réclamées par le parquet ne sont pas destinées à la famille (sauf une indemnisation de 10 000 € accordée au frère de la victime pour le préjudice moral). Les ayants-droit de la victime, principalement les deux enfants de Moussa peuvent maintenant engager une procédure civile pour reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. Une longue attente en perspective avant de pouvoir percevoir une indemnisation conséquente ! En attendant, la famille qui vit principalement en Mauritanie est très démunie.

Les morts au travail et leurs familles : des victimes trop souvent invisibilisées

Le lieu emblématique du décès, à l’Assemblée Nationale, et la médiatisation de l’affaire ont probablement permis un meilleur traitement judiciaire que de nombreuses affaires similaires.

Par exemple, la CGT signalait qu’en Seine Saint Denis, sur 150 procès verbaux d’infractions dressés par l’inspection du travail entre 2014 et 2020 en matière d’accident et de sécurité au travail et dont les suites étaient connues, seul un tiers avait fait l’objet d’un traitement judiciaire, un second tiers avait fait l’objet d’un classement sans suite et pour le dernier tiers, l’enquête était toujours en cours plus de 4 ans après la verbalisation.

Si l’inspection du travail doit obligatoirement ouvrir une enquête après un accident du travail mortel, la faiblesse de ses moyens ajoutée à l’insuffisance des moyens de la justice conduit à des procédures extrêmement longues, voire à pas de procédure du tout.

Un article du Monde du 6 février 2024 signalait le cas d’une femme qui avait perdu son mari, cordiste, suite à un accident du travail et qui n’était toujours pas passée en justice pour être indemnisée 12 ans après les faits.

Deux morts par accident du travail chaque jour en France, c’est inacceptable !

En 2023, 759 travailleur·euses ont perdu la vie suite à un accident du travail, soit une augmentation de 2,8 % par rapport à 2022, sans compter les victimes de maladies professionnelles, d’accidents de trajet ou travaillant dans le secteur public.

Les causes sont connues : insuffisance des moyens de prévention, extension de la sous-traitance et des statuts précaires, course au profit, diminution des effectifs de l’inspection du travail de la médecine du travail, diminution des droits prévus dans le Code du Travail, suppression des CHS-CT, etc.

Il serait possible de faire beaucoup diminuer cette « hécatombe silencieuse » si on voulait s’en donner les moyens.

Pour cela il faudrait augmenter la prévention des risques, rétablir les CHS-CT, augmenter les effectifs des inspecteurs du travail, des médecins du travail, ralentir les cadences impossibles à tenir, interdire la sous-traitance en cascade et l’interdire purement et simplement dans les activités à risques.

Il faudrait aussi une politique pénale plus sévère

Pour ceux et celles qui s’intéressent à ces questions, des Assises sur la santé et la sécurité des travailleur·euses vont se tenir pour la 2ᵉ année consécutive à la Bourse du travail de Paris, les 25 et 26 mars prochains, à l’initiative de syndicats et d’associations.