Non à la mainmise des promoteurs sur notre patrimoine historique

Sans doute plus de 500 personnes se sont rassemblées, ce samedi 5 novembre à Douarnenez, pour exprimer leur opposition à la vente de l’Abri du Marin à un promoteur privé spécialisé dans la réalisation de logements de luxe au sein de bâtiments historiques.

Les abris du marin étaient des lieux d’accueil à destination des marins pêcheurs, en particulier des marins pêcheurs de passage, fondés au début du 20ᵉ siècle par Jacques de Thézac, un philanthrope catholique. Implantés dans 15 ports de Bretagne, ce n’étaient pas seulement des foyers d’hébergement, mais aussi des lieux de formation et d’éducation populaire (grâce, entre autres, à l’Almanach du Marin Breton, fondé en 1899 par Jacques de Thézac). Celui de Douarnenez, ouvert en 1912, a été acheté par la Ville au milieu des années 70 et revendu aux éditions Le Chasse Marée (revue de culture maritime) en 1981. Le bâtiment a été inscrit au titre des monuments historiques en 1987. Les éditions Le Chasse Marée ont été reprises par le groupe Ouest France et le bâtiment revendu, en 2018, à une avocate d’affaires pour la somme de 290 000 €. Cette dernière annonçait alors son intention d’y créer un lieu d’art contemporain (« La maison des lumières ») qui n’a jamais vu le jour.

Manifestation à Douarnenez

Manifestation à Douarnenez le 5 novembre, Photo : JLG

Quatre ans après cette acquisition, ce qui met de nombreux habitants en ébullition, c’est l’annonce de la revente de l’Abri du Marin à un groupe immobilier bordelais, avec sans doute à la clé une coquette plus-value pour la vendeuse. Une première mise en vente, il y a un an dans le réseau immobilier Sotheby’s (et qui n’avait pas abouti), était alors indiquée à plus de 900 000 €. Le nouvel acquéreur compte y réaliser 9 logements « haut de gamme » : de 224 500 € pour un T1 de 28,5 m² à 517 500 € pour un T3 de 75,6 m². Le tout en profitant d’une défiscalisation dite « dispositif monuments historiques » qui permet aux investisseurs de déduire, sans plafonnement de leurs revenus fonciers et de leur revenu global, les travaux de rénovation ainsi que les intérêts d’emprunt et frais assimilés. En d’autres termes, c’est le contribuable qui va en grande partie financer cette opération spéculative.

Cette affaire est emblématique des dérives de la spéculation immobilière et d’une forme de gentrification qu’on constate dans de très nombreuses communes bretonnes, en particulier sur le littoral. D’autant plus emblématique qu’elle concerne un immeuble ayant eu une vocation sociale à sa création. Sous l’effet de l’explosion des coûts immobiliers, de la pression touristique, du développement des plateformes de location de courte durée (airbnb …) et de la multiplication des résidences secondaires, il devient de plus en plus difficile de se loger dignement et à un prix abordable pour une partie importante de la population. Cette situation suscite un mouvement de mobilisation dans de nombreux endroits, mouvement de mobilisation qui pourrait s’étendre à l’échelle régionale dans les prochains mois.

Jean-Louis Griveau

7 octobre 2022