En décidant d’imposer la réforme du collège, tout en conservant la réforme du lycée mise en place sous Sarkozy, la  ministre de l’Education Nationale procède à un passage en force :  rejetée par une large majorité des collègues malgré le forcing – parfois même  les menaces, voire  les sanctions – exercés contre eux lors des stages de « formation » imposés[1], ces réformes se confortent en effet mutuellement pour préserver la fonction structurellement ségrégative d’un système qui, au lieu de corriger les déterminismes sociaux, les aggrave et vise à faire passer une transformation radicale du système éducatif engagée depuis 2005 avec la loi Fillon, mais en échec sur le terrain du fait de la résistance des enseignants .
Au-delà de mesures ponctuelles régressives et démagogiques telles que la quasi disparition des langues anciennes, de l’allemand et la suppression des sections bilangues et européennes, la mesure principale de cette réforme est la mise en place des EPI ( Enseignements Pratiques Interdisciplinaires) conjugués à l’AP (Aide Personnalisée) pour un total de 3 à 4 h hebdomadaires en cycle 4 (classes de 5ème, 4ème et 3ème)[2]. Cette nouvelle disposition  est présentée comme une véritable révolution pédagogique devant permettre – aux dires de la ministre en personne – d’en finir avec l’échec scolaire en obligeant les enseignants à adopter la « pédagogie du projet » et ainsi de munir tous les jeunes à l’issue de la scolarité obligatoire (qui reste fixée à 16 ans) de se présenter sur le marché du travail munis du minimum de compétences qui leur permettraient d’accéder à l’emploi. Elle s’accompagne d’une réforme des programmes fortement contestée dans les établissements[3], et d’une diminution concomitante des heures d’enseignement disciplinaires. Présentée comme une manière de travailler nouvelle, plus stimulante et devant « permettre aux élèves de mieux comprendre le sens de leurs apprentissages et de mieux s’approprier des savoirs abstraits », elle instrumentalise l’échec scolaire qui frappe prioritairement les jeunes issus des milieux populaires afin de s’auto-justifier au lieu de le combattre. Or, ce point de vue ne repose sur aucune démonstration avérée. Pire : de l’avis de la plupart des chercheurs, « les meilleurs élèves tirent un avantage supplémentaire de ce genre de dispositif … qui favorise les élèves qui savent construire un texte ou une réflexion en cherchant dans différents domaines du savoir dont ils possèdent les prérequis. C’est une tâche sophistiquée qui laisse les plus faibles sur le bord de la route »[4].  Ainsi, seuls les enfants des familles qui en auront les moyens financiers et les ressorts culturels pourront  accéder à « l’élite » grâce au tri sélectif maintenu à l’issue du collège, et à l’accès aux cours et établissements privés. Pour les autres, ce sera comme d’habitude l’ « orientation choisie », au mieux vers un bac pro…
Alors que toutes les études scientifiques montrent que tous les jeunes, quel que soit leur milieux social d’origine et leurs capacités linguistiques à l’entrée dans le système scolaire, possèdent les outils intellectuels pour réussir une scolarité ambitieuse, ce projet vise en réalité à entériner définitivement l’abandon d’une ambition : l’accès de tous les jeunes aux savoirs élaborés, à un élargissement indispensable des capacités de réflexion instruite et critique qu’impose l’entrée dans une société de plus en plus complexe. Son but réel, c’est la mise en place forcée de l’école du socle commun, une école fondée sur l’acquisition de compétences utilitaristes répondant aux critères d’employabilité et aux besoins du marché du travail tels que définis par l’OCDE et le MEDEF. La persévérance des tenants de la doxa éducative dans la voie de réformes fondées sur le culte de la méritocratie et de l’individualisme qui, depuis trop longtemps, se révèlent dans l’incapacité de réduire l’échec scolaire de masse, conduit, à terme, à l’augmentation des inégalités, à un appauvrissement du niveau culturel d’une partie importante des citoyens et à des fractures profondes  de notre société.
Au passage, sous couvert « d’autonomie pédagogique », est renforcée la concurrence généralisée entre établissements, entre collègues, entre élèves. C’est l’inégalité de traitement des élèves entre les territoires, c’est-à-dire la fin du caractère national et égalitaire du service public d’éducation qui est programmée. L’entêtement de la ministre à vouloir imposer à tout prix sa réforme contre l’avis majoritaire de ceux qui seront en charge de la mettre en œuvre sur le terrain pose à l’évidence un grave problème de démocratie.
A ce système injuste, inefficace et dangereux pour l’avenir  économique et social du pays, nous proposons de substituer une véritable école commune pour tous les jeunes, construite sur la base d’un tronc commun de culture générale de haut niveau pour toutes et tous, portant la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans.
José Tovar. Le 25 01 2015.
[1] On ne compte plus le nombre de collègues enseignants en souffrance devant la complexité et la charge de travail démultipliée qui est exigée d’eux pour mettre en place cette réforme, certains allant jusqu’à envisager de changer de métier…
[2] La chute nette des horaires accordés aux différents enseignements représente environ 160 heures sur les quatre années du collège. Compte tenu des autres formes d’enseignement qui occuperont désormais une partie des heures dédiées aux disciplines, ( l’AP et les EPI ), les élèves perdront près de 500 heures d’enseignement disciplinaire sur les quatre années du collège. ( N. Bulle, sociologue de l’éducation, directrice de recherche au CNRS in « La réforme du collège ou l’avenir sombre de la société française » ; Cahiers Français , la Documentation Française N°389, décembre 2015)
[3] Et rejetée par un vote du CSE (Conseil Superieur des Programmes, le 9 octobre 2015 par 21 voix contre 18 et 12 abstentions.
[4] E. Bautier à l’émission de L. TOURET sur France Culture