Note d’introduction au débat du Collectif National sur le nucléaire
(rédigée après une discussion de la commission écologie du 27/3/2023
Un rappel préalable

Depuis sa création, ENSEMBLE! s’est positionné contre le nucléaire civil et militaire. Cela figurait déjà dans le texte de référence adopté par nos assises nationales de novembre 2013. Cette position a été confirmée dans un texte adopté lors de l’AG constitutive de janvier 2015 et qui précisait :

« Ensemble ! réaffirme, à l’occasion de son assemblée générale constitutive des 31 janvier et 1er février, sa position pour une sortie du nucléaire militaire et civil dans le cadre de la transition énergétique et de la nécessaire mobilisation contre la militarisation du monde.

La sortie du nucléaire doit enfin faire l’objet d’un large débat démocratique où nous proposerons :

    • la décision immédiate de la fermeture des réacteurs de plus de 30 ans,
    • les échéances d’un démantèlement du parc nucléaire dans une perspective de 10 années,
    • les modalités de conversion de l’appareil nucléaire et industriel dans le cadre d’un service public national, articulé avec les revendications des salarié-e-s du secteur et les garanties quant à leur statut et leur protection. »

Cette opposition au nucléaire a été reprise dans la brochure « écologie et dépassement du capitalisme » que nous avons publiée au printemps 2022.

Pourquoi rouvrir un débat sur le nucléaire ?

Mis à part l’EPR de Flamanville, il n’y avait pas eu de mise en chantier de nouveau réacteur en France depuis 30 ans. Le dernier étant CIVAUX 4, démarré en 1991 et mis en service commercial en 2002.

Ce qui nécessite de remettre cette question à l’ordre du jour de nos débats, c’est la décision de Macron – annoncée en février 2022 – de relancer un programme de grande ampleur de développement de l’énergie électronucléaire : 6 réacteurs EPR dans un premier temps, a priori sur des sites déjà nucléarisés. Puis 8 autres nouveaux EPR à plus long terme, sans compter l’annonce du développement de petits réacteurs modulaires (SMR d’une puissance prévisionnelle autour de 300 MW) et dont le 1er prototype sortirait vers 2030.

Cette orientation macroniste a trouvé sa traduction dans le vote, en première lecture, de la Loi d’accélération du nucléaire par l’Assemblée nationale, le 21 mars dernier (elle avait déjà été votée par le Sénat). À noter que, si les député·es FI, EELV et PS ont voté contre, au sein du groupe PC, 10 député·es ont voté pour, 4 contre et 4 s’abstenant.

Cette Loi vise à dispenser le gouvernement du respect des procédures de droit commun pour l’implantation d’installations nucléaires. Elle tend à accélérer la réalisation de nouveaux réacteurs EPR (dispense de permis de construire, expropriation si besoin avec prise de possession immédiate, suspension de la Loi littoral, démarrage des travaux préparatoires avant le décret d’autorisation de création). Elle permet également la prolongation des installations existantes, supprime le plafond de 50 % de nucléaire dans le mix énergétique à l’horizon 2035 (amendement de la droite), confère une présomption de raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) aux réacteurs nucléaires, et renforce les sanctions pénales contre d’éventuel·les opposant·es qui s’introduiraient sur les sites.

Banderole nucléaire 2

Quelles questions pose cette relance du nucléaire en France ?
  1. Il y a d’abord et comme toujours un déni de démocratie. Cette loi a été votée sans le moindre débat citoyen réel dans le pays. Les maigres réserves formulées par le Conseil National de la Transition Écologique (instance consultative devant rendre un avis sur tout projet de loi relatif à l’environnement et qui a fini par prononcer un avis favorable au texte) n’ont aucunement été prises en compte. Pire : le texte a été adopté avant que la Commission Nationale du débat Public ne rende ses conclusions et avant même qu’ait lieu le « débat parlementaire prévu sur le projet de loi de programmation Énergie Climat dont seront notamment issues la Programmation pluriannuelle de l’énergie et la Stratégie nationale bas-carbone ».
  2. Contrairement au premier programme électro-nucléaire de 1974, l’argument principal avancé par les promoteurs de la relance du nucléaire n’est plus tant celui de l’indépendance nationale (quoique). Il faut dire qu’en termes d’indépendance nationale, la France importe l’essentiel de son uranium. À noter que, malgré les sanctions contre la Russie pour cause d’agression contre l’Ukraine, la filière nucléaire française a allègrement continué à commercer avec Rosatom tant pour s’approvisionner en combustible que pour expédier une part de ses déchets en Sibérie. L’argument majeur des pro-nucléaires aujourd’hui, c’est le réchauffement climatique et la nécessité, non contestable par ailleurs, de décarboner les modes de production de l’énergie. Sauf que le réchauffement climatique justement pose un certain nombre de problèmes de fonctionnement des centrales : sécheresses et baisse du niveau des cours d’eau entravant le refroidissement des réacteurs, risques de submersion marine lié à l’élévation du niveau de la mer, etc. Et que, par ailleurs, est pointé – notamment par les Amis de la Terre – le décalage entre l’entrée en service de ces nouveaux réacteurs et l’urgence de mesures effectives pour lutter contre les GES.
  3. L’industrie nucléaire reste une industrie dangereuse dont les risques pour les populations sont toujours passés sous silence. La question majeure n’est peut-être pas tant le risque d’accident, quoique les dernières informations sur l’état de certaines installations – fissures – montrent que nous ne sommes pas à l’abri. Cela pose la problématique de la qualification et du statut des personnels, premiers garants de la sûreté des installations et donc de la place de la sous traitance. La question majeure est plutôt celle de la gestion des déchets radio-actifs, certains dangereux pour des milliers d’années (à une échelle de temps difficilement compatible avec la mémoire humaine) et qu’il est prévu, entre autres, d’enfouir à Bure. Spéculer sur une solution technologique d’inactivation qui pourrait être opérationnelle dans un avenir incertain, comme la transmutation, ne paraît pas sérieux à ce jour. Dernière remarque sur ce point, la guerre en Ukraine autour de la centrale de Zaporijjia vient rappeler la vulnérabilité des centrales nucléaires en cas de conflit ou d’attaque terroriste (sans compter les risques de contamination par la fourniture d’obus à l’uranium appauvri déjà utilisés en Irak, les menaces de Poutine d’utiliser des armes atomiques dites « tactiques », etc.).
  4. Même si on allait vers la sortie du nucléaire à l’horizon 10 à 15 ans, ça ne se ferait pas d’un claquement de doigts. Il resterait à gérer la fin des sites existants et leur éventuel démantèlement. Ce qui pose la question de maintenir des compétences techniques et humaines sur le long terme. À titre d’exemple, la centrale de Brennilis (dans le Finistère) a fonctionné 19 ans de 1967 à 1985. Son démantèlement complet est prévu pour une durée de 55 ans, jusqu’en 2040.
  5. Le projet de Macron se fonde sur une perspective de croissance des consommations d’énergie. Il revient ni plus ni moins qu’à substituer une électricité d’origine principalement nucléaire aux énergies fossiles, sans se poser la moindre question sur les usages de l’énergie, ce que sont les besoins de la société et les modes de consommation. La décarbonation de la société n’a pas de sens si on ne prend pas en compte les ressources nécessaires à la mise en œuvre d’autres modes de production de l’énergie. La consommation d’énergie, en particulier d’énergies fossiles, s’est accélérée avec la mondialisation capitaliste et l’accroissement des flux de marchandises et de services qu’elle a généré. Voir aussi l’impact du numérique et la tentation d’une fuite en avant technologique censée répondre à tous les problèmes de la société.
Pour conclure cette introduction, quelques questions en vrac :
  • Quels sont les réels besoins à satisfaire, comment on définit collectivement les choix à faire
  • Qu’est-ce que ça implique en termes de quantité d’énergie à produire et de modes de production à retenir
  • Qu’entendons-nous par sobriété et efficacité énergétique
  • la production d’électricité est-elle la seule solution ou ne faut-il pas rechercher une diversification des sources d’énergie (solaire passif, géothermie, biomasse…) et une relocalisation des unités de production au plus près des lieux de consommation, ce qui peut impliquer des modifications des réseaux de distribution
  • Si, comme pour toute activité humaine, tout mode de production d’énergie à un impact écologique, qu’est-ce qui est socialement, économiquement et politiquement acceptable
  • quel type de planification démocratique pour quel type de société

Avant d’être technique, la problématique de l’énergie est une question politique. Elle pose la perspective d’un changement de civilisation qui entraîne un bouleversement de notre univers mental, une autre façon de penser.

Jean-Louis Griveau (Commission écologie d’ENSEMBLE!)


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