Le nucléaire, obstacle au développement des énergies renouvelables, ne sauvera pas le climat
I – La flambée des prix de l’énergie : une opportunité pour relancer le nucléaire

La flambée des prix du gaz et de l’électricité, mais aussi les chiffres alarmants sur le climat ont remis sur le devant de la scène un débat sur l’énergie.

Les pro-nucléaires saisissent l’opportunité pour vanter les soi-disant avantages du nucléaire :

  • il ne produit pas de gaz à effet de serre,
  • il assure l’indépendance énergétique,
  • il garantit des prix bas.

Cette politique est pilotée au plus haut de l’État.

Après avoir commencé à préparer l’opinion fin 2021, le 10 février 2022 et avant tout débat parlementaire, Macron annonçait la construction de 6 EPR2 et potentiellement 8 autres.

Déjà au printemps 2021, EDF avait commandé à Framatome, au Creusot, 600 pièces métalliques en vue de la construction de 6 EPR (source : Sortir du Nucléaire).

Y compris à gauche, où on s’était fait plus discret sur le sujet depuis Tchernobyl et l’accident de Fukushima, certains repartent à l’offensive….

À l’Assemblée nationale, le 21/03/2023, le projet de loi de relance du nucléaire, amputé de la très controversée réforme de la sûreté (IRSN), a été largement adopté par 402 voix contre 130 (LREM, LR, RN et des communistes). Ce projet de loi réduit les procédures et les délais pour concrétiser les promesses d’Emmanuel Macron de bâtir six nouveaux réacteurs EPR à l’horizon 2035.

Les tenants du nucléaire oublient pourtant des arguments forts contre cette source d’énergie :

Le coût du nucléaire est très élevé
  • Son coût n’est bas que si on ne tient pas compte des coûts cachés pris en charge par les pouvoir publics et donc nos impôts.

Les résultats d’EDF en 2022 ont été catastrophiques (bouclier tarifaire, vente à bas coût de l’énergie à ses concurrents, arrêts de réacteurs pour vérification des soudures défectueuses ayant entraîné une chute de la production) : la perte de l’exercice 2022 est de – 17,9 Mds € et l’endettement a grimpé à 64,5 Mds €

L’État est venu une fois de plus au secours d’EDF au bord de la faillite : une renationalisation à 9,7 Mds € (source Le Monde du 19/07/2022). En janvier l’Etat possède 90 % d’EDF. Rappelons-nous que le gouvernement Villepin en oct 2005 avait privatisé EDF à 32 €/action. Le cours était descendu à 12 € en juillet 2022.

ORANO (ex-AREVA) est détenu à 90 % par l’Etat après un rachat de 10 % des actions à la banque Natixis qui a coûté 638 M € en juillet 2022

  • Le grand carénage a été provisionné par EDF pour 50 milliards, montant visiblement minimisé, alors que, selon la Cour des Comptes, il faudrait plutôt tabler sur 100 milliards. La dette actuelle d’EDF de 64,5 milliards d’euros pourrait encore monter en flèche avec les nécessités du financement du grand carénage dès lors que l’option de rallonger la vie des vieilles centrales est au programme.

    Centrale EPR

    Centrale EPR

  • Le coût des EPR est hors de contrôle. L’EPR de Flamanville devait coûter 3,3 milliards d’euros et être livré en 2012, mais aujourd’hui son coût est monté à 19 milliards d’euros (incluant le coût du financement) et sa mise en service est maintenant programmée pour 2024. L’EPR Finlandais commencé en 2005 devait être terminé en 2009 et coûter 3 milliards d’euros. Le coût total devrait avoisiner les 10 milliards d’euros. Selon un article du Monde du 10/12/2020, l’État devrait débourser un minimum d’1 milliard d’euros pour éponger les surcoûts. Sa mise en service, reportée à plusieurs reprises, devrait se faire en avril 2023. Cette envolée des prix et des délais n’est d’ailleurs pas propre à la France. Aux USA, en 2012, a été décidée la construction de 2 réacteurs sur le site de Vogtle en Géorgie. En octobre 2021, l’EPR n’est toujours pas achevé et son coût a été multiplié par 4,6. Le nucléaire aux USA dépend en grande partie, comme en France, de l’État.
  • Le coût de CIGEO (site d’enfouissement de Bure) est évalué officiellement à 25 milliards d’euros, mais selon l’ANDRA (agence nationale de traitement des déchets nucléaires) atteindra plus vraisemblablement 34,5 milliards.

En résumé, le nucléaire est un gouffre financier et parler d’énergie bon marché est une imposture.

Et ici, on n’aborde même pas l’hypothèse d’un accident nucléaire majeur qui pourrait coûter 430 milliards d’euros, selon une étude publiée par l’IRSN en 2013. Chiffre à comparer avec le budget de l’État qui était de 250 milliards d’euros en 2017.

Le nucléaire ne donne pas de réponse à court terme
  • Le réchauffement climatique nécessite des réponses rapides. Or, le nucléaire ne peut apporter de réponses que sur le long terme.
Le nucléaire ce n’est pas la sécurité
  • Les accidents, anomalies ou incidents se sont multipliés dans les centrales ces dernières années ; toujours minimisés par l’information officielle. Des pièces maîtresses des installations nucléaires fabriquées au Creusot ont présenté des défauts cachés par AREVA, mais révélés par l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN). Le président de l’ASN lui-même avait été obligé de reconnaître en 2016 qu’un accident majeur du type Tchernobyl ou Fukushima ne pouvait être exclu nulle part dans le monde, y compris en Europe. Et donc en France également.

    Accident nucléaire à Penly

    Accident nucléaire à Penly

  • En 2022, une partie des réacteurs ont dû être arrêtés pour réparer des fissures sur tuyauteries. Au mois de mars 2023, viennent d’être découvertes des fissures encore plus profondes à Cattenom 3 et Penly, où une tuyauterie risquait de rompre. À la suite de cela, EDF va devoir vérifier 200 soudures sur l’ensemble du parc nucléaire, ce qui va encore contrarier l’objectif d’augmentation de la production. Le couvercle de la cuve de l’EPR de Flamanville, défectueux, sera autorisé plusieurs années mais devra être remplacé….
Le nucléaire est sensible aux changements climatiques

Il a besoin de beaucoup d’eau pour refroidir les tours et il rejette des eaux plus chaudes dans les rivières ou l’océan. Certains étés très chauds, les centrales ont dû être arrêtées car elles mettaient en danger les cours d’eau.

En bord de mer, elles peuvent être submergées par des inondations. D’ailleurs, cela a failli arriver à la centrale de Blaye dans le Bordelais en 1999 à l’occasion d’une forte tempête. Les eaux ont envahi la centrale et l’accident majeur a été évité de justesse. Selon une chercheuse du CNRS – Monique SENE – 16 réacteurs seraient menacés en cas de tempête.

Le nucléaire ce n’est pas l’indépendance énergétique

Nous dépendons de l’uranium du Niger, du Canada, de l’Ouzbékistan et du Kazaksthan.

Selon les informations de Greenpeace, ROSATOM, la société nationale russe pour le nucléaire, a la mainmise sur le transport d’uranium naturel en provenance de l’Ouzbékistan et du Kazaksthan et contrôle l’import-export de matières nucléaires. Ainsi, la France exporte ses déchets nucléaires vers la Russie et importe l’uranium enrichi nécessaire à ses centrales nucléaires. En 2022, en pleine guerre en Ukraine, la France a augmenté ces importations qui constituent aujourd’hui 1/3 de l’uranium enrichi consommé par nos centrales.

Les médias soit ignorent la question, soit relaient les affirmations gouvernementales prétendant que ces importations ont diminué et seraient aujourd’hui négligeables.

EDF fait de la propagande

EDF fait de la propagande

Le nucléaire ne fait pas bon ménage avec la démocratie

À l’intérieur d’EDF, les pressions sont très fortes pour protéger les informations qui pourraient porter tort à l’entreprise : pression sur les salarié·es mais aussi sur les salarié·es de la sous-traitance.

C’est presque du secret défense ! Le film La Syndicaliste, sorti récemment, en donne une idée…

D’ailleurs, la France a été obligée, comme les autres pays, après Fukushima, d’établir un « plan national de réponse à un accident nucléaire ou radiologique majeur » en 2016. Dans ce plan, il est prévu que l’état de paix sera garanti par l’armée, et la cacophonie des informations ne sera pas bienvenue. On pourrait s’attendre à un état d’urgence renforcé, presque comme en temps de guerre…

II Les 6 scénarios de RTE

Dans son étude « Futurs énergétiques 2050 » – commandée par le gouvernement en 2019 et publiée le 25 octobre 2021 – RTE envisage différents scénarios pour atteindre la neutralité carbone en 2050, prévue par les Accords de Paris, qui devraient permettre de sortir des énergies fossiles.

RTE a présenté 6 scénarios pour atteindre la neutralité carbone. La prévision de consommation d’électricité en 2050 a été évaluée à +35 % par rapport à aujourd’hui, en gardant le mode de vie actuel des Français·es. Seule cette trajectoire de référence a été prise en compte. Deux autres trajectoires (une de sobriété et une de réindustrialisation) ont été esquissées mais n’ont pas servi d’hypothèses de travail. L’hypothèse de la trajectoire de sobriété ne sera examinée qu’ultérieurement (il était question de 2022 mais nous n’avons rien vu venir).

Trois scénarios examinent l’hypothèse d’un abandon du nucléaire mais pas avant 2050. Pour les 3 autres, l’un prévoit la construction de 8 EPR à partir de 2035, l’autre de 14 EPR et le dernier de 14 EPR + quelques petits réacteurs modulaires et la prolongation des centrales au delà de 60 ans.

Le commentaire de RTE dévalorise les 3 premiers scénarios car « impliquant des paris technologiques lourds » et les présentant comme plus coûteux.

Présentation partielle et partiale en faveur du nucléaire

On remet à plus tard l’examen de la trajectoire basée sur la sobriété pour laisser le champ libre à la relance du nucléaire.

Le nucléaire est présenté comme moins cher, mais les calculs sont basés sur une hypothèse optimiste de 50 milliards d’euros pour 6 EPR, alors que l’EPR de Flamanville qui devait coûter 3,3 milliards d’euros en coûtera 19 milliards (avec le coût du financement). Il devait être livré en 2012 et ne l’est toujours pas aujourd’hui.

Même la Cour des Comptes a émis des réserves sur le coût des EPR estimé par EDF.

III – L’illusion d’optique à partir du cas français – le nucléaire est marginal au niveau mondial

L’illusion que l’on peut avoir en projetant la situation de la France au niveau mondial, c’est que le nucléaire a une grande place dans les sources d’énergie.

Or, le nucléaire fournit 70 % de l’électricité en France mais seulement 10 % au niveau mondial.

Dans le mix énergétique (donc bien au delà de la production d’électricité), le nucléaire représente 36,8 % en France mais 4 % dans le monde (article Ouest France paru en octobre 2021 à partir de la statistical review of world energy)

Les principaux producteurs d’énergie nucléaire dans le monde sont en premier les USA (841 Twh), puis la France (412,9 Twh) et la Chine (295 Twh). La Chine est passée devant la France en 2020.

Mais aucun pays n’est aussi dépendant que la France du nucléaire (70 % de la production d’électricité).

En Ukraine, 52 % de l’électricité provient du nucléaire (chiffres 2020).

Aux USA, 93 réacteurs produisent 20 % de l’électricité.

En Chine, le nucléaire représente 5 % de la production électrique pour ce pays de 1,4 milliards d’habitants.

En Russie, 37 réacteurs produisent 20 % de l’électricité du pays.

La part du nucléaire dans le monde, déjà faible, a diminué dans la période post-Fukushima.

Actuellement, on assiste à une certaine relance de la construction de centrales. Aux USA, où les centrales ont un âge encore plus avancé qu’en France, le grand plan d’investissement de Joe Biden prévoit 6 milliards de dollars pour maintenir en fonctionnement le parc nucléaire existant et 6 autres milliards pour la construction de nouveaux réacteurs.

Emmanuel Macron, dans son plan de relance, avait annoncé, en septembre 2020, que 200 millions d’euros seraient accordés au nucléaire, dont 170 millions pour les prototypes des petits réacteurs modulaires (SMR), tentative pour sauver une filière en perdition. Actuellement, un seul SMR est en fonctionnement dans le monde.

Entre le nucléaire et la bougie, il y a l'intelligence

Le moment est venu de redévelopper notre argumentaire contre le nucléaire, sans attendre qu’une nouvelle catastrophe ou que des faillites stoppent la fuite en avant qui risque d’advenir.

IV – Le cas allemand est moqué par les tenants de l’atome mais il montre qu’un autre chemin est possible : la sortie du nucléaire

En Allemagne, une sortie progressive du nucléaire a été adoptée en 2002 instaurant une durée de vie maximale de production de 32 ans pour une centrale. Mais cette décision fut, de fait, remise en cause avec l’allongement de 10 ans de cette durée de vie.

Mais, de très fortes mobilisations antinucléaires en 2010 et l’accident de Fukushima en mars 2011 ont conduit à des positions plus radicales et à un revirement complet d’Angela Merkel.

L’Allemagne disposait de 19 réacteurs dont les 2 plus anciens avaient été fermés en 2003 et 2005.

Huit réacteurs furent fermés en 2011 après une série de tests approfondis et les autres progressivement fermés (3 entre 2015 et 2019). Trois autres devraient fermer en 2021 et les 3 derniers en 2022. De 22 % en 2010, la part du nucléaire dans la production électrique devait passer à 0 % en 2022. Mais, avec la guerre en Ukraine, le chancelier allemand a annoncé, le 17/10/2022, la prolongation du fonctionnement des 3 dernières centrales jusqu’en en avril 2023.

Aujourd’hui, il existe un consensus en Allemagne sur l’arrêt du nucléaire. 76 % de la population l’approuve. Seule l’extrême droite réclame la construction de nouvelles centrales.

La sortie du nucléaire ne s’est pas accompagnée d’un retour du charbon. La production électrique à base de charbon a diminué elle aussi. Mais, à l’été 2022, sous la pression de la guerre en Ukraine et de ses conséquences (la Russie venait de baisser de 60 % ses livraisons de gaz à l’Allemagne), 5 sites qui devaient fermer leurs portes fin 2022 et fin 2023 ont rejoint la « réserve de réseau », un dispositif qui permet de faire face à d’éventuelles pénuries (10 centrales à charbon maintenues opérationnelles mais qui ne fonctionnent qu’en cas de pénurie).

Au premier semestre 2021, en Allemagne, les renouvelables représentaient 44 % de la production d’électricité. Si on compare à 19,1 % en France en 2020, on voit que l’Allemagne a une grande longueur d’avance sur nous, même si elle n’est pas encore totalement sortie du charbon.

Les moqueries et critiques sur le modèle allemand devraient donc être évités car les choix sur le long terme sont bien meilleurs qu’en France.

V – Les énergies renouvelables

La France est le seul pays européen à ne pas avoir atteint l’objectif fixé par l’Union Européenne de 23 % de part de renouvelables.

Du coup, le gouvernement a mis un coup d’accélérateur pour augmenter, à marche forcée, la part des énergies renouvelables en faisant adopter la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables du 10/3/2023 publiée au JO le 11/3/2023 avec le soutien d’une partie de la gauche. Des décrets sont attendus.

L’objectif est de multiplier par 10 la production d’énergie solaire, de déployer 50 parcs éoliens en mer et de doubler la production d’éoliennes terrestres.

Pour cela, la loi prévoit de « simplifier les procédures » avec la présomption de reconnaissance de la raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM).

L’autorité et le passage en force suscitera inévitablement des réactions négatives des populations face aux renouvelables, ce qui est le contraire de ce qui est recherché.

L’association Negawatt travaille à un projet autrement ambitieux

Elle a publié son 5e scenario de transition énergétique pour la France (scénario Negawatt 2022).

À la différence de RTE, elle travaille sur un scénario de sobriété énergétique.

Elle prévoit que ce scénario atteindrait la neutralité carbone en 2050 avec 96 % d’énergies renouvelables.

À l’inverse du fonctionnement vertical, autoritaire et non transparent actuel, elle promeut des formes participatives de gouvernance plus horizontales et démocratiques.

6 EPR branle-bas de combat

VI – Quelles mobilisations contre le nucléaire aujourd’hui ?

Il devient de plus en plus urgent qu’une initiative de mobilisation antinucléaire émerge enfin, au moment où les pro-nucléaires déversent des tombereaux de propagande et de contre-vérités et où s’engage une politique qui va plomber les finances publiques avec des investissements faramineux, inutiles et dangereux dans la filière nucléaire. Ces investissements se feront au détriment des renouvelables et d’une politique sociale.

ENSEMBLE!, dans une telle hypothèse, devra prendre toute sa place dans la mobilisation.

D’ores et déjà, dans nos communiqués, dans notre feuille, dans nos tracts, il nous faut décliner régulièrement la thématique du nucléaire dans ses différents aspects.

Enfin, il est important d’intégrer la dimension du nucléaire dans notre action de solidarité avec le peuple ukrainien en exigeant que les sanctions à l’égard de la Russie s’étendent au nucléaire puisqu’en 2022 l’importation d’uranium enrichi de Russie et l’exportation de déchets vers ce pays ont continué et ont même augmenté selon les informations diffusées par Green Peace.

 

3 avril 2023

Danielle CHEUTON (Collectif Ensemble Paris Nord-Est)

 


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