Prologue : la mairie Gaudin* ne s’est jamais distinguée par une politique en faveur de l’enfance et de l’école publique. Les parents du centre ville se souviennent encore de la réponse excédée de l’élue « responsable », Mme Casanova, à leurs demandes concernant les écoles maternelles trop rares alors que le baby-boom et le retour de jeunes ménages salariés vers le centre faisaient exploser la demande : « On peut pas pousser les murs ! », autre argument : « la municipalité n’est pas obligée de construire des écoles maternelles ! » Ça, c’était en 2004. Autre domaine concernant l’enfance, autre exception marseillaise : la ville est connue pour son manque d’espaces verts, et ceux-ci vont en diminuant, alors qu’on construit beaucoup d’immeubles en ville. On les met où les enfants ? C’est le cadet des soucis. Enfin, à Marseille qui abrite le plus célèbre club de natation français, l’équipe UMP fait entrer au conseil municipal un nageur médaillé olympique, mais n’a pas les installations pour le peuple, de sorte que des dizaines de milliers d’enfants n’ont jamais appris à nager conformément aux programmes d’éducation physique — ce qui n’empêche pas ces Messieurs de postuler au label « Capitale européenne du sport » !
L’UMP s’étant opposée à la réforme PS des rythmes scolaires, et la majorité des syndicats enseignants aussi (pour de tout autres raisons), la mairie de Marseille s’est distinguée en jouant systématiquement la politique du pire. Elle n’a jamais participé à une mobilisation contre : pendant ce temps-là Monsieur Tian, présenté comme dauphin de Gaudin, membre de la « Droite Populaire » mais élu des quartiers riches, faisait le coup de poing à Paris pour « défendre la famille », c’est-à-dire contre les droits des couples homosexuels. Les familles réelles et l’éducation des enfants réels, on s’en fout.
L’immense majorité des maires de France, une fois la loi votée, ont utilisé le moratoire d’un an obtenu par les opposants comme les partisans inquiets sur la mise en pratique du dispositif, se sont mis au travail, plus ou moins bien, pour savoir comment le mettre en œuvre. Une petite minorité a choisi de mener ouvertement une bataille de désobéissance, ce qui peut sembler étrange pour des gens qui n’ont que « la loi » et « la République » à la bouche — mais au moins s’agissait-il d’un combat politique ouvert, et ces maires ont pris des risques publics.
Eh bien, c’est à peine croyable, dans la deuxième ville de France, que s’est-il passé ? Pendant plus d’un an, RIEN. Pas de concertation avec les associations culturelles, avec l’éducation populaire, les parents d’élèves, les syndicats d’enseignants, l’Éducation Nationale. Les plus optimistes pensaient « en fait, ils ont un plan caché… » Non, rien ! Au printemps 2014 Mme Casanova remet à l’Éducation Nationale un projet ni fait ni à faire, évidemment refusé. Et la pression commence à monter chez les parents, les personnels etc. Tout ce qu’on pouvait savoir fin juin, c’est que les cours se feraient mercredi matin, et les supposées activités périscolaires vendredi après-midi.
Ça ressemble à une mauvaise blague : fin juin, personne n’était capable de dire quels seraient exactement les horaires et les activités des enfants, et même quels jours il y aurait cantine ou pas. Angoisse chez tous les parents qui travaillent, quand au boulot on leur demandait d’organiser leurs horaires pour l’année suivante : impossible. Et au milieu de tout cela bien sûr, les personnels municipaux — en majorité dans ce cas des femmes, souvent elles-mêmes mères de famille, ne sachant pas à quelle heure leurs propres enfants seraient pris en charge.
Angoisse chez les enseignant/es, directrices et directeurs d’écoles, à répondre tous les jours aux parents : « à la rentrée ? on sait pas ».
C’est après la fin de l’année scolaire, en plein mois de juillet, qu’aura lieu le Comité Technique réglant les incidences de ces nouvelles dispositions sur les personnels municipaux. Avec plusieurs mois de retard donc. De mémoire de parent d’élève, d’enseignants, de personnels municipaux, d’intervenants culturels et sportifs, de syndicalistes, d’associatifs : du jamais vu.
Et on apprend à quelques jours de la rentrée que la Mairie… va mettre en place la nouvelle organisation de l’école au mieux après les vacances de la Toussaint, ce que les directrices et directeurs des écoles interprètent aussitôt par : « si on a beaucoup de chance, en janvier 2015 ».
Et là on passe du n’importe quoi au délire complet. Grosse campagne de communication de la municipalité dans la presse, des affiches sur chaque école, annonces fallacieuses de Madame Casanova : « il y aura dans l’immédiat une garderie le vendredi après-midi, en attendant la mise en place des activités» Les quelques parents qui croient encore à la parole publique à Marseille se heurtent alors au démenti de la réalité : dans aucune école cela n’est possible. Les enfants restent sur le trottoir devant l’école.
Vous croyez que l’auteur de ces lignes exagère ? Deux semaines avant la rentrée l’Éducation Nationale s’est adressée à la municipalité en s’inquiétant de l’absence des classes CHAM dans le projet qu’elle présentait. Réponse : « ah ben on croyait que ces classes particulières n’étaient pas concernées par la loi » On croyait ! Un incident de ce genre dit assez bien la désinvolture de ces gens qui aiment tant parader avec leur écharpe tricolore.
Que va-t-il se passer pendant l’année ? La pagaïe, le démerdez-vous, les tentatives çà et là des parents de s’organiser entre eux quand ils le peuvent, avec le débat récurrent : mais est-ce que si on trouve des solutions provisoires la Mairie ne va pas en profiter pour dire que c’est pas si grave que ça ? Et on ne peut répondre à ça avec des mots d’ordre simples et dogmatiques, quand il s’agit d’enfants en chair et en os, et de parents qui n’en peuvent plus…
En effet, la Mairie est en train de commencer à passer les appels d’offre aux associations culturelles et sportives, multiplie les annonces contradictoires, un jour il faut des intervenants titulaires du BAFA, les professionnels savent qu’ils sont en nombre beaucoup trop réduit à Marseille, donc quelques jours après contrordre, il ne faudra pas le Bafa ; « on » annonce que ce sont les « tatas de cantine » qui s’occuperont des enfants le vendredi après le départ des enseignants, et « on » découvre après que ce n’est pas de leur responsabilité, qu’elles ne sont pas couvertes par les assurances, etc. Les parents apprennent stupéfaits, que sans même parler du fait qu’une garderie de trois heures dans des locaux pas prévus à cet effet risque d’être un enfer, on prévoit par exemple dans telle école du centre ville, deux personnes pour une capacité théorique de 115 enfants… Et c’est la panique à Pôle Emploi : la municipalité leur a demandé de recruter 800 animateurs en 15 jours Irresponsabilité générale de la municipalité Gaudin.
Ce sont ces gens-là qui tempêtent contre «l’incivisme des racailles» ! Et sont capables d’envoyer à une directrice d’école trois fois de suite un mail sur l’application de directives qu’ils affirment avoir envoyées et qu’elle n’a jamais reçues, pas plus que ses collègues…
Et pour le reste, ça avance évidemment très lentement, une fois les appels d’offre passés il faudra recruter — au fait, en attendant, les intervenants, souvent très précaires, qu’est-ce qu’ils mangent ? Bonne question, je vous remercie de l’avoir posée, en tout cas la Mairie, c’est pas son truc. Et l’on apprend que là, ça avance : un référent a été recruté. Ah, bonne nouvelle ! Euh… un référent pour organiser les activités périscolaires de 1000 élèves. D’ici le 3 novembre. Ça, c’était la bonne nouvelle. Ce sont maintenant les agents de Pôle Emploi qui sont sous pression : du jour au lendemain on leur demande de recruter 800 animateurs, en 15 jours, (« avec ou sans Bafa, étudiants ou jeunes retraités », a-t-il été précisé…). Du délire.
Tout cela est si déraisonnable que les forces politiques et sociales ont été jusqu’à maintenant assez discrètes.
Chez les syndicats des personnels, autres que FO : il faut arrêter de jouer à « si la loi n’avait pas été votée », et défendre les droits des travailleurs lorsqu’elle sera appliquée. Parents d’élèves : en gros la même position, mais il existe une division entre FCPE et MPE, en partie dommage collatéral de la déchirure du PS entre guérinistes et anti, le MPE étant plus combatif et mobilisateur. FO, majoritaire, très silencieux, comme d’hab a négocié en douce, prétend avoir obtenu des choses pour les personnels, sauf que les questions de responsabilité et d’assurances avaient été « oubliées »… Face à un début de mobilisation, d’abord dispersé puis s’unifiant, FO sort des tracts contradictoires « on se mêle pas de c’est la faute à qui » / « c’est la faute au gouvernement, pas à la municipalité », bref la collusion FO-Gaudin-Guérini continue, même si à l’occasion on utilise une rhétorique « plus à gauche que moi tu meurs ». Les autres syndicats enseignants sont en porte à faux : comment défendre les enseignants et les élèves face aux urgences de la pagaille et mettre au second plan les divergences à propos de la loi entre les « pour », les « contre », les « pour, mais »… Plusieurs manifs des vendredis après-midi, colorées et combatives mais peinant à concentrer au même endroit les mobilisations ; mais le vendredi après-midi, Gaudin fait la sieste au sénat.
Les forces mobilisées ont enfin appelé en commun personnels (sauf FO) et parents (sauf FCPE) pour une manif samedi 20 septembre. A suivre.
En tout cas, aucun élève, aucun parent, aucun personnel enseignant, de service ou aucun intervenant n’a intérêt à ce que perdure une situation pourrie par un entrelacs de calculs politicards. Gaudin paraît surpris : allant visiter une école dans un quartier qui vote à droite, il est interpellé vivement par les parents excédés, réponse : « Occupez-vous de vos enfants ! » Ça c’est un « défenseur de la famille et de l’École de la République ! » Tiens, il n’a jamais dit ça aux parents de l’école privée, dont le budget de fonctionnement alloué par la ville a flambé de +74% depuis 2005 alors que celui des écoles publiques a pris 10%…
Jean José Mesguen, parent de deux élèves.
* rappel : M. Gaudin est élu depuis 50 ans, d’abord adjoint centriste de Defferre (PS), puis dans l’opposition au PS, puis maire de droite, avec à l’occasion le soutien du FN.