Cette conférence a été donnée, le 5 avril 2024, lors d’une soirée à l’initiative du collectif 05 pour une paix juste et durable en Palestine (*). C’est Pierre Stambul qui avait été invité à intervenir. Nos camarades d’ENSEMBLE! 05 – qui sont parties prenantes de ce collectif – ont jugé utile de faire largement connaître son contenu. Nous le publions en 4 parties. Voici la partie 1/4
Palestine-Israël : quelles perspectives de paix et quelles solutions ? 1/4
Par Pierre Stambul, le 5 avril 2024
Introduction et présentation
Je suis extrêmement content que cette salle soit pleine (180 personnes).
Parce que nous jouons un rôle extrêmement important qui est de forcer nos gouvernements complices à ne plus être complices. Donc, le nombre ici, sachez qu’il a énormément de valeur.
Présentation de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP)
Je vais commencer par présenter l’Union Juive Française pour la Paix, dont je suis un des porte-paroles.
Nous existons depuis maintenant 30 ans, depuis 1994.
Au début, c’était sur la position : pas de crime en notre nom.
Mais, très rapidement, la réalité de ce que l’état d’Israël inflige au peuple palestinien nous a sauté aux yeux.
Ça s’appelle crimes de guerre, contre l’humanité, occupation, colonisation, suprémacisme, apartheid, et désormais génocide et fascisme.
Nous sommes une organisation juive antisioniste, donc ça va être un des grands thèmes.
Nous sommes antisionistes, non pas « bien que Juifs », mais « parce que Juifs ».
Je vais essayer de vous expliquer que le sionisme est un crime contre les palestiniens.
Mais pour nous Juifs, c’est une injure totale à notre mémoire, à notre histoire, à notre identité et en ce moment, avec le génocide en cours à Gaza, le gouvernement israélien n’extermine pas seulement les Palestiniens, il est en train de tuer la mémoire de l’antisémitisme, la mémoire du génocide.
Et il est en train de tuer le droit international. Donc, quelque part, c’est quelque chose qui nous concerne toutes et tous.
L’UJFP, donc l’Union Juive Française pour la Paix, est également une association antiraciste.
Si l’antisémitisme a été un racisme à part au moment du génocide nazi, il ne l’est plus. Il nous paraît complètement faux aujourd’hui de dire qu’il y a plus d’antisémitisme que de racisme contre les Noirs, contre les Arabes, contre les Roms, contre les musulmans.
Nous luttons contre le racisme sans faire de hiérarchie entre les différentes formes de racisme.
Présentation personnelle
Quelques mots sur moi-même.
Je suis professeur de maths à la retraite.
Je viens d’une famille juive athée venue de Bessarabie, un pays qui n’existe plus, partagée aujourd’hui largement entre Moldavie et un petit peu l’Ukraine.
Mes parents communistes sont arrivés en France en 1938.
Ils ont fait partie de la résistance communiste de la MOI [Main d’Œuvre Immigrée, organisation de résistance affiliée au FTP, communiste].
Ma mère a été la seule survivante d’une famille exterminée et disparue en Europe orientale, et mon père a été le seul survivant des 67 arrêtés du groupe Manouchian en novembre 1943. Il a été déporté à Buchenwald, mais il est revenu.
Donc, comme je parlerai pas mal de la question juive, qui est entrelacée à la question palestinienne, ma « légitimité » – entre guillemets – vient aussi de ce passé.
C’est au nom de ce passé que je n’ai aucun problème pour dire aujourd’hui que les dirigeants israéliens sont des fascistes.
Des idées fausses
Je vais commencer assez largement sur l’histoire de cette guerre et essayer de commencer sur toutes les idées fausses qui circulent.
Par exemple, il y a une idée que les sionistes ont émise, qui est « notre légitimité sur cette terre ne se discute pas. Nous avons été en exil et nous rentrons chez nous ». La quasi-totalité des historiens, des archéologues nient complètement cette idée.
La bible hébraïque qui est devenue l’Ancien Testament pour les chrétiens est un livre religieux, ce n’est pas un livre d’histoire.
Autrement dit, de très nombreux épisodes qui sont racontés sont légendaires.
Alors qu’Abraham et Moïse soient légendaires, chacun en fait ce qu’il en veut. Ce qui est plus important pour l’actualité, avec la Palestine, c’est que la conquête sanglante de Canaan par Josué – quand Josué détruit toutes les villes dans lesquelles il y a des impies, tue tout le monde – est le livre de chevet, aujourd’hui, des colons. Cette histoire est entièrement inventée parce que les Hébreux sont un peuple autochtone. Ils ne se sont pas conquis eux-mêmes.
Le royaume unifié de Salomon et David : j’ai appris quand j’étais en sixième le plan du Temple de Salomon.
À l’époque de Salomon ou présumée telle, Jérusalem était un petit village de l’âge de fer de quelques centaines d’habitants. Donc la reine de Saba, le Grand Temple, vous pouvez oublier.
La réalité
Les sionistes disent aujourd’hui : avec Israël, nous avons reconstitué le royaume unifié. Cela est légendaire.
Ce qui est une réalité, c’est que la Palestine – à partir du moment où commence vraiment l’histoire soit au 9ᵉ siècle avant Jésus-Christ – a toujours été un territoire constitué de populations très différentes et mélangées, où à 15 km d’écart, on ne parlait pas la même langue, on n’avait pas les mêmes dieux.
C’est cette réalité multiple, aujourd’hui en particulier, que le sionisme voudrait nier. Mais la Palestine a toujours été une terre de mélange.
Si je saute quelques siècles, les sionistes disent : quand l’empereur Titus prend Jérusalem en 70 après Jésus-Christ et détruit le second temple, des centaines de milliers, des millions de juifs, disent-ils, se seraient répandus partout en Méditerranée et en Orient.
Les Juifs d’aujourd’hui seraient leurs descendants. Vous voyez que je n’ai pas vraiment le type proche-oriental avec mes cheveux blancs.
La réalité est têtue. Les Juifs d’aujourd’hui sont des descendants de convertis de différentes époques et de différentes régions.
Pour moi qui suis Ashkénaze – donc Juif d’Europe orientale – probablement issu de l’empire Khazar, qui était un empire turco-slave.
Pour les Juifs d’Afrique du Nord, des Berbères judaïsés.
Et les descendants des Judéens de l’Antiquité sont essentiellement les Palestiniens qui n’ont pas bougé, qui ont été tour à tour juifs, chrétiens, musulmans, et puis un petit peu les trois à la fois, puisque pendant plus d’un millénaire, en Palestine, il y a en gros un peu plus de 80% de musulmans, 10 à 15% de chrétiens et 5% de juifs.
Les Palestiniens ont toujours eu la conscience qu’ils étaient les gardiens des lieux saints des trois religions monothéistes et ces trois religions, avant l’arrivée du sionisme, ont cohabité en paix.
Leila Shahid raconte que son grand-père était maire de Jérusalem à la fin de l’empire ottoman. Dans le conseil municipal, il y avait des conseillers municipaux musulmans, chrétiens, juifs. Tout le monde vivait en bonne entente.
Donc, première chose que je vous enlève, c’est l’exil et le retour. Je reprends là-dessus ce que Shlomo Sand a écrit : il n’y a eu ni exil, ni retour.
Les Palestiniens sont un peuple autochtone et probablement les descendants des autochtones d’autrefois, qui étaient les Judéens.
L’antisémitisme
Une deuxième idée que je voudrais enlever : le sionisme a combattu l’antisémitisme.
J’expliquerai tout à l’heure ce qu’est le sionisme, mais d’entrée, ce que je veux dire, c’est qu’est l’antisémitisme.
Il y a eu historiquement l’antijudaïsme chrétien.
Quand les chrétiens ont pris le pouvoir à la fin de l’empire romain, vers le 5ᵉ siècle, ils étaient en concurrence avec le judaïsme, qui était une religion prosélyte. Quand ils prennent le pouvoir, ils prennent toute une série de mesures. Ils enferment les Juifs dans des quartiers réservés qui porteront les noms de « juderias » en Espagne, de ghetto plus tard, en Europe. Ils interdisent aux Juifs la possession de la terre.

Ecclesia et Synagoga façade principale de ND de Paris © DP
Ils confinent les Juifs dans des métiers interdits aux chrétiens : banquiers, usuriers, et ils profèrent contre les juifs toute une série de stigmatisations : ils veulent dominer le monde, ils commettent des crimes rituels et, surtout, qu’ils sont le peuple déicide.
Donc, on va avoir 15 siècles d’antijudaïsme chrétien, ponctué par des expulsions, des stigmatisations, des massacres.
À Strasbourg, en 1348, on va brûler 2 000 Juifs accusés de propager la peste noire.
En Espagne, où 5% de la population était juive, on va les forcer à se convertir, et ceux qui ne se convertissent pas vont être brûlés ou expulsés.
En Ukraine, il y aura plus de 100 000 Juifs massacrés par les cosaques au 17ᵉ siècle.
Cet antijudaïsme chrétien va se transformer, au 19ᵉ siècle, en antisémitisme racial.
Première chose : le mot antisémite est un mot impropre, mais c’est le mot de l’ennemi, c’est Wilhelm Marr, un des premiers théoriciens racialistes, qui a inventé ce mot-là.
Mais les Sémites, ça n’existe pas. Les Aryens non plus, même les Indo-européens. C’est remis en doute par un assez grand nombre d’anthropologues aujourd’hui.
Et il y avait des langues sémitiques : l’araméen, l’arabe, l’hébreu.
Il y avait des peuples sémitiques dans l’Antiquité, mais déjà les Arabes, disent qu’ils sont sémites aujourd’hui, mais pas les Berbères, ni les Égyptiens.
Et le mot Palestine vient des Philistins, qui n’étaient pas des sémites.
Les Juifs sont des convertis, donc ce ne sont évidemment pas des Sémites. Donc ce mot-là est tout à fait impropre, mais il a été inventé à des fins racialistes.
Ce racialisme qui apparaît au 18ᵉ siècle et qui est en vogue en ce moment avec la montée de l’extrême droite en France, correspond à une période où, parce que l’Europe domine le monde, elle va inventer les races supérieures et les races inférieures.
Des races inférieures dans les pays dominés, ce sera l’Amérindien, le Noir, l’Arabe, et en Europe, ce sont les Juifs et les Tziganes.
Et il va y avoir un consensus antisémite en Europe qui va gagner toutes les élites dans le courant de la deuxième moitié du 19ᵉ siècle. Il va gagner la France (cf. l’affaire Dreyfus), mais ça commence déjà avec le général Boulanger.
Cette vague va gagner l’Autriche, où il y aura un maire antisémite, à Vienne, pendant une dizaine d’années, alors que 15% de la population de Vienne était juive.
Elle va gagner l’Allemagne, mais surtout la Russie. Je dis surtout la Russie, parce que, à la fin du 19ᵉ siècle, 60% des Juifs du monde entier vivent dans un seul pays, c’est l’empire russe.
Pour moi, il nous faut revoir l’idée que les Juifs étaient tous des banquiers. Dans l’empire russe c’étaient des prolétaires.
Dans l’empire russe, il y avait 6 millions de Juifs sur 135 millions d’habitants au premier recensement, en 1881. Ils sont colporteurs, ouvriers, artisans, commerçants. Ce ne sont pas des banquiers.
Mais c’est un peuple qui sait lire et écrire, parce que c’est le peuple du livre et parce qu’ils connaissent l’hébreu religieux. Et ils connaissent la langue du coin, et ils joueront un rôle fondamental dans la révolution [russe, 1905-1917].
Naissance du sionisme
Donc, le sionisme va naître dans cet univers-là. C’est une réaction à l’antisémitisme. Mais c’est la pire des réactions et je vais expliquer pourquoi.
Le sionisme déclare dès le début, donc quand Theodor Herzl, en 1894, écrit son livre « l’État des Juifs » que Juifs et non-Juifs ne peuvent pas vivre ensemble. Cette théorie de la séparation déclare, il y a 130 ans maintenant, que le vivre ensemble dans l’égalité des droits est impossible, et donc ce n’est pas la peine de lutter contre l’antisémitisme, il n’y a qu’une seule solution : partir.
Je vous fais une petite comparaison : imaginez aujourd’hui. Parmi les plus discriminés en Europe, il y a les Tziganes. Imaginez qu’il y ait des dirigeants tziganes qui disent : « ce n’est pas possible la discrimination qu’on subit. Il nous faut un État ». Et qu’il fasse un congrès, au hasard, à Bâle, en se demandant s’ils vont créer l’état Tsigane en Roumanie ou en Inde. On comprend bien que c’est absurde, que ça serait la guerre.
C’est ça qui s’est passé pour le sionisme, c’est-à-dire qu’il y avait une discrimination évidente. Il y avait un racisme terrible. Il y avait une politique de pogroms organisés en Europe de l’Est. Mes deux grand-mères – paternelle et maternelle – ont été des survivantes du pogrom de Kichinev.
La réaction, ça a été de dire : on part et on crée un État.

Theodor Herzl en 1904 © DP
Donc, ils n’ont pas combattu l’antisémitisme, ils vont s’appuyer dessus.
Theodor Herzl va rencontrer tous les antisémites de l’époque en leur disant : « votre intérêt et le nôtre est le même : que les juifs quittent l’Europe ».
Édouard Drumont, le chef des antidreyfusards, écrira ce verset : ce monsieur fait notre bonheur en faisant le sien.
Guillaume II, l’empereur d’Allemagne, quand il apprend qu’il y a un congrès sioniste en préparation qui, initialement, devait avoir lieu à Munich, écrira à son ministre de l’Intérieur : « ne mettez aucun obstacle à un monsieur qui veut nous débarrasser des juifs ».
Donc, Herzl rencontrera Plehve [Vyacheslav von Plehve, 1846-1904], l’organisateur des pogroms en Russie, le ministre de l’Intérieur du Tsar [1902-1904].
Et les deux hommes tomberont d’accord sur le fait que les juifs doivent quitter la Russie. Et Plehve ira intercéder auprès du sultan ottoman pour favoriser l’implantation sioniste.
Sionistes et antisémites
Je vais parler du rapport des sionistes avec des antisémites particuliers, les chrétiens sionistes.
Aujourd’hui, ils jouent un rôle fondamental. Vous devez savoir que l’essentiel de la colonisation de la Cisjordanie a été financé par les chrétiens sionistes, qui sont des antisémites redoutables.
Ce courant est apparu chez les évangélistes anglo-saxons dès le 17ᵉ siècle. Comme dans le protestantisme, la bible est traduite dans la langue du coin.

Trois personnalités en 1925 Edmund Allenby (g.) Arthur Balfour (c.) Herbert Samuel (dr.) ©DP
Les personnages de la bible sont devenus des personnages de tous les jours, et dans ce courant protestant anglais, les juifs doivent rentrer en Terre Sainte, chasser le mal Armageddon, c’est-à-dire les arabes, puis se convertir à la vraie foi, sinon ils disparaîtront. Ce sont des millénaristes. Ils sont aujourd’hui 95 millions aux États-Unis. Ils ont un argent fou. Ce sont eux qui décident en partie de qui est le futur président des États-Unis. Ce sont eux qui imposent aujourd’hui un soutien absolu à l’état génocidaire israélien.
Mais ce courant-là existait depuis le 17ᵉ siècle, et parmi les chrétiens sionistes, il y avait Arthur Balfour, celui qui va faire la jolie déclaration Balfour. Balfour était un antisémite qui, quand il avait été premier ministre en 1905, avait promulgué des lois contre les juifs qui venaient semer la révolution à Londres. Et le même Balfour envoie une belle lettre au mouvement sioniste, à Lord Rothschild, qui était le financier du mouvement sioniste, en lui disant : « vous allez avoir ce que vous voulez, nous allons conquérir ce territoire, la Palestine, nous vous le donnons comme futur foyer juif ».
Est-ce qu’il y a une contradiction entre le Balfour antisémite et le Balfour sioniste ? Il n’y en a pas, je vais reprendre les mots d’Hannah Arendt, célèbre philosophe juive allemande : « pour les antisémites, les juifs étaient des parias asiatiques inassimilables en Europe, et ils devenaient des colons européens en Asie s’ils acceptaient d’immigrer là-bas ». Et c’est ce virage-là que le sionisme a fait.
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(*) Le collectif a été créé après le 7 octobre et manifeste tous les samedis matin dans Gap pour exiger le cessez-le-feu immédiat à Gaza.
Ce collectif rassemble :
- Des associations : ATTAC, le Mouvement de la Paix, la Ligue des Droits de l’Homme, l’AFPS, l’Association France-Palestine Solidarité 05, les Gilets Jaunes
- Des syndicats : Solidaires, Sden-CGT 05, FO
- Des organisations politiques : le NPA 05, la FI 05, Ensemble! 05, EELV 05, PCF 05
La conférence s’est tenue à la Cinémathèque d’Images de Montagne (CIM de Gap) avec la présence de la Librairie la Loupiote.
Elle a été suivie d’un moment convivial d’échanges avec un repas partagé par la Cantine Solidaire et le Trio Musical.