Cette conférence a été donnée, le 5 avril 2024, lors d’une soirée à l’initiative du collectif 05 pour une paix juste et durable en Palestine (*). C’est Pierre Stambul qui avait été invité à intervenir. Nos camarades d’ENSEMBLE! 05 – qui sont parties prenantes de ce collectif – ont jugé utile de faire largement connaître son contenu. Nous le publions en 4 parties. Voici la partie 3/4.
Palestine-Israël : quelles perspectives de paix et quelles solutions ? 3/4
Par Pierre Stambul, le 5 avril 2024
Une gauche sioniste ?
Existe-t-il donc une gauche sioniste ? Je vais un petit peu énumérer tous les crimes qu’elle a commis contre les palestiniens, qui sont majeurs.
Déjà, cette gauche sioniste va faire quelque chose d’assez horrible. En 1933, Hitler arrive au pouvoir, et Ben Gourion, qui dirige l’Agence juive, négocie avec les autorités nazies les accords de Haavara.
Haavara en hébreu veut dire transfert. Ces accords vont permettre l’immigration de 60 000 Juifs allemands fortunés en Palestine mandataire.
C’était un accord très bizarre, réservé à ces riches-là. Les pauvres, ils sont allés crever, ils ont cherché à aller en Suisse, en France… et beaucoup sont morts.
C’est cet accord qui a obligé les Juifs riches à laisser l’essentiel de leurs biens en Allemagne et obligé les Juifs de Palestine à consommer allemand. Ça a été énormément critiqué. Les Juifs américains ont été tout à fait contre. Ils avaient décrété le boycott de l’Allemagne nazie. Mais, cet accord a permis à Hitler – puisqu’il n’y a pas eu boycott – d’avoir un libre accès au marché de l’acier, au marché du pétrole avec lequel il a pu façonner sa puissance militaire.

Conférence sioniste extraordinaire de Biltmore mai 1942 © DP
En pleine guerre, en 1942, lors du congrès sioniste de Biltmore, on pouvait s’attendre – on est pleine extermination nazie – à ce que la résolution finale soit « on va mettre tous nos moyens pour combattre Hitler ».
La résolution finale, ça a été « nous concevrons un état juif sur l’ensemble de la Palestine », et pour eux l’ensemble la Palestine n’avait pas de frontières. Ça allait, y compris en Jordanie et au Sud-Liban.
Après la guerre en 1948, il n’y a plus de débat historique sur la guerre de 48. Ben Gourion a tout de suite dit « les Arabes sont partis d’eux-mêmes », on ne disait pas les Palestiniens. Et c’est une version que beaucoup de gens ont acceptée.
Les Palestiniens ont immédiatement expliqué qu’ils avaient été victimes d’un véritable nettoyage ethnique programmé.
Il aura fallu attendre l’ouverture des archives israéliennes en 1988 pour que tous les historiens israéliens – qu’ils soient sionistes comme Benny Morris, qu’ils soient antisionistes comme Shlomo Sand, Ilan Pappe, Avi Shlaim ou Tom Segev – confirment la version palestinienne : il y a eu nettoyage ethnique prémédité.
J’ai rencontré à Gaza des gens – des bédouins notamment – qui m’ont raconté la Nakba. Comment l’aviation a joué son rôle. Comment, dans tous les villages, les sionistes avaient les noms des gens qu’il fallait abattre pour que les autres s’en aillent… C’était en gros « vous partez ou vous mourrez ».
Et quand il y a le fantasme, « alors, vous voulez jeter les Juifs à la mer », il y a eu la réalité : les Palestiniens de Jaffa et de Haïfa ont été jetés à la mer puisqu’ils sont partis en bateau. On n’inverse pas les rôles sur ce qui s’est passé.
Cette gauche sioniste obtient 55% des voix aux premières élections en Israël.
Elle en est maintenant à moins de 10% parce que, pour paraphraser Jean-Marie Le Pen, les électeurs ont fini par préférer l’original à la copie, et qu’ils n’avaient plus besoin de cette gauche sioniste. Elle est toujours aux manettes en 1956, avec Moshé Dayan dans l’attaque de l’Égypte de Nasser, avec les impérialistes français et anglais, parce que Nasser avait nationalisé le canal de Suez. Au passage, elle occupe Gaza où il y aura plusieurs centaines de morts.
La guerre de 1967, a été présentée comme une guerre d’auto-défense d’Israël. Moi, j’ai eu « la chance » d’avoir dans ma famille un général d’extrême droite qui m’a expliqué, dès 1967, que tous les plans d’attaque étaient prêts et qui m’a expliqué, dès 1967, que la colonisation avait commencé.
Donc non seulement en 67, c’est Israël qui attaque et qui occupe en six jours la Cisjordanie, Jérusalem, le Golan, Gaza, le Sinaï.
Mais, dès 1967, des ministres tout à fait laïques comme Yigal Allon vont commencer la colonisation. Ils vont expulser plusieurs milliers de Palestiniens de la vieille ville de Jérusalem autour du Mur des lamentations. Ils vont construire les premières colonies dans la vallée du Jourdain, ou à Beit Homa.
Donc, l’idée colonie égale extrême-droite est fausse. Ce sont les sociaux-démocrates qui ont créé les premières colonies en 1967.
Cette gauche sioniste va perdre le pouvoir en 1977. Elle ne l’aura plus que brièvement ou dans des gouvernements de coalition. Mais sachez quand même que :
- le mur qui balafre la Cisjordanie, c’est Fuad Ben-Eliezer, ministre des Travaux publics et secrétaire général du parti travailliste, qui est à la manœuvre.
- l’attaque contre le Liban en 2006, c’est Amir Peretz, secrétaire général du parti travailliste.
- Le président de la Histadrout – Arnon Bar-David – siège à la Confédération Syndicale Internationale avec la CGT, la CFDT et FO. Donc il y a du boulot syndical pour les virer…
- Et le secrétaire général de la Histadrout, il y a quinze jours, visitait une usine d’armement Elbit, grande fabrique d’armes israéliennes. Sur un gigantesque obus, il a écrit : « avec le soutien des travailleurs israéliens ».
C’était juste pour en dire un peu plus sur ces dirigeants. Voilà ce courant politique-là, il est en train de disparaître et on va parler de la droite.
La droite sioniste, ce sont des fascistes pas récents, des fascistes qui ont un siècle.

Zeev Jabotinsky dans les années 30 © DP
Il y a une scission dans le mouvement sioniste qui commence en 1920 et dont l’idéologue est Vladimir Jabotinsky [1880-1940] qui était un juif d’Odessa. Ce courant va lui-même s’appeler le courant révisionniste, et il va passer au terrorisme à peu près tout de suite.
Il passera au terrorisme contre les palestiniens, mais aussi tuera un dirigeant travailliste, Haïm Arlozorov.
Dans ces courants armés des révisionnistes, va apparaître l’Irgoun, dont le chef sera Menahem Begin. L’Irgoun est fondée en 1931. Menahem Begin sera plus tard premier ministre pendant de nombreuses années après 1977.
L’Irgoun fera scission en 1939 et apparaîtra un groupe encore plus radical, le groupe Stern ou Lehi. Son dirigeant historique sera, après la mort de Stern, Yitzhak Shamir. Il sera, lui aussi, premier ministre, durant sept ans, en Israël.
Ces gens étaient des fascistes. Jabotinsky était un grand admirateur de Mussolini. La radio des révisionnistes était à Civita Vecchia en Italie.
Mussolini parlait régulièrement de son ami, le fasciste juif Jabotinsky.
Jabotinsky avait créé une milice armée qui existe toujours : le Betar, de sinistre réputation. Le Betar faisait des entraînements armés dans l’Italie fasciste à la fin des années 30.
Le secrétaire particulier de Jabotinsky, qui s’appelait Bension Netanyahou, est le père de Benjamin Netanyahou.
La filiation est plus que forte. Après l’arrivée au pouvoir de Begin, en 1977, tous les premiers ministres de ce courant-là – dont Ariel Sharon, Ehoud Olmert, Naftali Bennett – ou tous les dirigeants politiques – Ayelet Shaked, Avigdor Lieberman, etc. – se réclament de Jabotinsky, c’est-à-dire d’un courant qui était un courant fasciste.

Avraham Stern, créateur de l’Irgoun puis du Lehi © DP
Et même, pour le groupe Stern, courant collabo. Les anglais arrêtent l’immigration juive en Palestine en 1939, parce qu’il y a eu une révolte palestinienne qui a fait 12 000 morts, qui a été réprimée avec une grande sauvagerie par les britanniques, avec l’aide des milices sionistes. Les anglais ont peur, à la veille de la 2ᵉ guerre mondiale, que le monde arabe se retourne contre eux. Donc, ils arrêtent l’immigration juive et, du coup, l’extrême droite sioniste leur déclare la guerre. L’Irgoun a arrêté sa guerre contre les anglais au moment de l’invasion de la France par les nazis, mais le groupe Stern a continué.
Donc, sachez que, pendant 7 ans, le premier ministre Yitzhak Shamir qui a dirigé Israël, était un ancien collabo qui a assassiné des soldats britanniques, en 42, 43, 44, au moment où l’extermination battait son plein. Ils assassineront Lord Moyne, le haut représentant britannique au Caire, en 1944.
Ces gens-là qu’on retrouve aujourd’hui, qui réalisent sans aucun problème un génocide et qui appellent tous courants confondus à tuer aussi les femmes et les enfants, ce courant-là n’est pas tout à fait sorti de nulle part.
Rabin et les accords d’Oslo
Je vais vous parler de Rabin et des accords d’Oslo : Là aussi, il y a des illusions que je voudrais vous enlever.
D’abord Yitzhak Rabin, pendant la guerre de 48, est un des trois généraux préférés de Ben Gourion, avec Moshe Dayan et Yigal Allon. Il est coupable de grands crimes de guerre. Si vous avez vu le film Tanturra, c’est un crime de guerre, un village de 250 habitants, un village de pêcheurs au sud d’Haïfa, dont toute la population a été massacrée. C’était la brigade Alexandroni, c’était Rabin.
L’évacuation, avec tous les guillemets qu’il faut mettre, de la ville palestinienne de Ramla, qui a été une ville de 17 000 habitants et où toute la population a été déportée, c’était également Yitzhak Rabin. Il avait ce passé-là.
Plus tard… Il y a quelques jours, on fêtait la Journée de la Terre, le 30 mars. La Journée de la Terre, c’est une révolte des paysans palestiniens d’Israël en 1976. Elle a été réprimée avec une grande violence avec une vingtaine de morts. C’est Yitzhak Rabin.
L’attaque contre le siège de l’OLP à Tunis en 1986, une centaine de morts, dont un soldat tunisien, les numéros 2 et 3 de l’OLP qui sont tués. C’est toujours Yitzhak Rabin.
Durant la première intifada, avec le discours de Rabin « brisez-leur les jambes et les os », il y aura un peu plus de mille morts. C’est encore Yitzhak Rabin.
Alors, allez-vous me dire : oui, mais en 1993, il signe les accords d’Oslo.
Qu’est-ce qui a été signé à Oslo ?

Mocellement-du-territoire-palestinien-par-les-accords-dOslo
La seule chose qui est signée, en dehors des heures d’ouverture des check points, c’est l’obligation pour l’occupé d’assurer la sécurité de l’occupant. C’est ce qu’on appelle la coopération sécuritaire.
C’est-à-dire ce qui fait institutionnellement de l’autorité palestinienne une autorité collaborationniste, dont le rôle est d’assurer la sécurité de l’occupant.
Et on s’aperçoit aujourd’hui que ça continue. Il y a quelques jours, la police de Mahmoud Abbas a essayé d’attaquer des combattants à Tulkarem : c’est la suite logique. Elle a tué Nizar Banat, il y a deux ans.
C’est son boulot. Je veux dire que rien d’autre n’a été signé.
Les questions vives que posent les Palestiniens, à savoir un État palestinien, l’arrêt de la colonisation, la libération des prisonniers, le retour des réfugiés, ce sont vraiment les grandes questions. On en a causé à Oslo, et on a reporté, on verra plus tard. Donc, ça a été un marché de dupes.
Il y avait, au moment de la signature des accords d’Oslo, 150 000 colons. Il y en a 900 000 maintenant.
Et on peut aller plus loin. Dans les 26 mois qui séparent les accords d’Oslo de l’assassinat de Rabin par l’extrême droite, il y a 60 000 nouveaux colons qui sont installés.
De quoi s’agissait-il ?
Le virage sans fin du 21ᵉ siècle
Je vous ai décrit ce qui amène au virage sans fin qu’on a depuis le début du 21ᵉ siècle.
Au début du 21ᵉ siècle, il y a les ultimes négociations, où les États-Unis vont montrer évidemment ce qu’ils sont, à savoir des complices totaux du sionisme. Il y a des négociations qui ont été décrites dans le livre de Charles Enderlin entre Barak, Clinton et Arafat.
Et on propose à Arafat que la capitale soit Aboutis, à 15 km de Jérusalem. Les réfugiés, on va en prendre quelques-uns, mais pas trop, peut-être 4 ou 5 000 (il y a plusieurs millions de réfugiés). Les prisonniers, on verra au compte-goutte. On va en libérer un peu et tu signes.
Arafat n’a pas signé. Clinton le prend au collet. C’est Enderlin qui décrit la scène. Et Clinton lui dit « tu signes, sinon tu es un homme mort et nous te ferons porter la responsabilité de l’échec ».
Les deux se sont déroulés. Il a été un homme mort et on lui a fait porter la responsabilité de l’échec.
Le lendemain, Ehoud Barak, travailliste, a déclaré : « nous avons fait des offres généreuses que Yasser Arafat a refusées. Nous n’avons plus de partenaire pour la paix ». Et ça a été un basculement complet et définitif de l’opinion israélienne du côté de la guerre à outrance, du côté du fait qu’il fallait écraser les Palestiniens.
Depuis, on a une extrême droite qui est devenue complètement hégémonique dans tous les secteurs de la société israélienne.
Y compris les secteurs qu’ils n’avaient pas : ils étaient hégémoniques chez les colons, c’est compréhensible. Ils sont hégémoniques chez les religieux, je vous ai expliqué que c’est après la conquête de 1967 qu’ils le sont devenus.
Mais ils vont devenir hégémoniques chez les Misrahims et les Séfarades, donc les Juifs du monde arabe, qui votent massivement pour l’extrême droite. Hélas, il n’y a pas qu’en Israël que les pauvres et les discriminés votent pour l’extrême-droite. La France et les États-Unis ne font pas exception à cette chose-là. Ils vont devenir hégémoniques chez les Russes, ils vont devenir hégémoniques dans l’armée.
Donc si, dans le débat, vous me dites « mais quand même, il y a eu des manifestations contre Netanyahou » je vous répondrai « ces manifestations, ce sont les contradictions internes de la société israélienne, laïcs contre religieux, Ashkénazes contre Séfarades, Russes contre tous les autres, colons contre Israéliens européanisés, mais ça ne concerne pas les Palestiniens ».
Les dirigeants de l’opposition à Netanyahou sur la Palestine disent les mêmes choses. Naftali Bennett, qui avait été un moment premier ministre à la place de Netanyahou, avait déclaré en 2013, « j’ai tué beaucoup d’Arabes dans ma vie. Je ne vois pas où est le problème ». Vous imaginez un premier ministre qui dirait : « j’ai tué beaucoup de Juifs dans ma vie. Je ne vois pas où est le problème » ?
Ayelet Shaked, ministre de l’Intérieur et de la Justice, déclare – et ça explique ce qui se passe à Gaza aujourd’hui – : « les femmes palestiniennes élèvent des serpents. Il faut les exterminer dans l’œuf ».
On comprend pourquoi, aujourd’hui, il y a les ordres de tuer les femmes et les enfants aussi. Benny Gantz, qui est pressenti pour succéder à Netanyahou, en 2014, au moment de [l’opération militaire] « Bordure protectrice », a dit « je réduirai Gaza à l’âge de pierre ».
Netanyahou pourrait dire : trop tard, c’est déjà fait.
C’est pour vous dire qu’il n’y aura pas de rupture du front intérieur dans la société israélienne s’il n’y a pas de sanctions.
Deux fois dans son existence, l’état d’Israël a été sanctionné et deux fois, ils ont cédé instantanément. Mais sans sanction, il ne se passera rien. D’où l’énormité de notre responsabilité à nous aujourd’hui.
[…]
Pour lire la suite de la conférence…
(*) Le collectif a été créé après le 7 octobre et manifeste tous les samedis matin dans Gap pour exiger le cessez-le-feu immédiat à Gaza.
Ce collectif rassemble :
- Des associations : ATTAC, le Mouvement de la Paix, la Ligue des Droits de l’Homme, l’AFPS, l’Association France-Palestine Solidarité 05, les Gilets Jaunes
- Des syndicats : Solidaires, Sden-CGT 05, FO
- Des organisations politiques : le NPA 05, la FI 05, Ensemble! 05, EELV 05, PCF 05
La conférence s’est tenue à la Cinémathèque d’Images de Montagne (CIM de Gap) avec la présence de la Librairie la Loupiote.
Elle a été suivie d’un moment convivial d’échanges avec un repas partagé par la Cantine Solidaire et le Trio Musical.