D’où vient cette confiance dans les officines libérales dès qu’il s’agit d’éducation ? Même à Mediapart ! Au risque de se tromper du tout au tout sur la nature des incontestables difficultés de notre école.
L’article de Faïza Zerouala [1] a un excellent titre, centré sur notre problème principal, celui de la forte inégalité de résultats de notre école. Mais, si elle signale que l’enquête Pisa est contestée, c’est sans dire un seul mot du pourquoi. Existe-t-il un autre domaine que l’éducation où ce que produit une officine de la très libérale OCDE serait repris sans hésitation ? En ce qui concerne les sciences, Pisa donne les USA à égalité avec la France. Or, selon une enquête rapportée par Le Monde[2], « Un quart des Américains (26 %) ignorent que la Terre tourne autour du Soleil et plus de la moitié (52 %) ne savent pas que l’homme a évolué à partir d’espèces précédentes d’animaux. … Sur neuf questions portant sur des connaissances élémentaires en physique et en biologie, le score moyen des réponses exactes a été de seulement 6,5…. résultats très médiocres concernant les connaissances scientifiques ». A comparer à 20% des européens seulement (et c’est déjà beaucoup !) pour estimer qu’Homo sapiens ne s’est pas développé à partir d’espèces antérieures. Comment Pisa peut-il passer à côté d’une telle énormité ?
C’est que, très probablement, ces questions ne sont pas posées. Probablement, puisque Pisa ne donne pas accès à ses questions (de manière, dit l’OCDE, à pouvoir les réutiliser). Imagine t-on des journalistes qui accepteraient de commenter les résultats d’un sondage ou d’une enquête sans connaître les questions ? Et c’est pourtant tout l’espace médiatique du pays qui y sacrifie ! De quoi s’étonner n’est-il pas ?
On ne connaît pas les questions, mais on connaît la problématique. Il s‘agit de vérifier l’aptitude des élèves confrontées à des « questions concrètes ». Didacticien des maths et des sciences, je connais surtout ces domaines. Et pas grand-chose je l’avoue quant à l’enseignement correspondant en Asie. Mais on peut discuter du reste. En maths par exemple, il existe en France une marque, accentuée en 4ème, « la rupture démonstrative ». On démontre, et on y consacre une bonne partie de l’enseignement (du moins jusqu’à la récente réforme des collèges). Et cette exigence s’étend en amont par des demandes systématiques de « justification » de ce qu’on avance. Dans toute l’aire anglo-saxonne la démonstration est réservée aux élèves plus âgés, et encore, aux USA c’est souvent en option. Comme Pisa ne traite jamais ceci (la justification), la comparaison est difficile. Et c’est bien pire en sciences.
Mais ça ne veut pas dire automatiquement que c’est nous qui avons raison. Pisa souligne la difficulté des élèves français à s’engager dans des réponses, même fausses. Timidité et réserve. Un blocage moins présent ailleurs. Mais directement lié à cette exigence de justification. Qui est un choix socio-politique donc, mais que Pisa néglige en alignant la demande uniquement sur d’autres systèmes de choix, certes légitimes, mais différents.
Mais où l’affaire dérape vraiment c’est quand Pisa, et tous les journalistes à sa suite, traite son classement comme s’il était profondément révélateur. Mais de quoi ?
Ainsi si on va de la Finlande à l’Islande (35 pays), et qu’on ramène les écarts à une note sur 20 pour que ce soit plus parlant, on obtient les écarts suivants :
En sciences, 2, 8 sur 20 (pour la France 1,36)
En compréhension de l’écrit, 1,67sur 20 (pour la France 1,02)
En mathématiques, 0,9 sur 20 (pour la France 0,7)
Au pire donc, 35 pays se tiennent en 3 points sur 20 (en maths, en moins d’un point). Et je ne parle pas du grotesque qu’il y a à relever des variations encore plus minimes entre enquêtes pour un pays donné (progrès, recul, maintien), tellement minimes que dans ces conditions, elles mesurent plus le bougé des questions et Pisa eux-mêmes que celui des pays.
Imagine t-on un professeur qui jugerait « excellente » une note à 18, « moyenne » celle à 17 et « désastreuse » celle à 16 ? On retrouve là, d’évidence, la manipulation par « l’évaluation », classique de la « gouvernance libérale », devant laquelle tout être raisonnable devrait s’incliner[i]…
En revanche, le drame lui bien pesant est l’inégalité de notre système scolaire, souvent plus marqué qu’ailleurs. En effet, à méthodologie égale et scores à peu près semblables entre pays, les effets d’inégalité rapportés par Pisa sont nets en défaveur de la France. Mêmes s’ils sont plus ou moins marqués. Pour l’Allemagne, il est donné une hauteur de l’explication des écarts de performance en sciences par le niveau socio-économique de 16% ; en France, 20%. La « résilience » (qui mesure la hauteur à laquelle les élèves performent au dessus de ce que les origines sociales devraient donner), est de 35% en Allemagne, mais quand même de 26% en France. Ceci sans jamais perdre de vue qu’il s’agit de réponses aux items construits par Pisa, et de notions (comme la résilience) définies par lui.
La difficulté est de hauteur variable, mais elle est présente dans de nombreux pays. Et, en France, non seulement elle est importante, mais elle est malheureusement corroborée par tellement d’autres études bien plus sérieuses ! Et là il y a une situation de plus en plus préoccupante. Pour la première fois dans notre longue histoire scolaire, une catégorie donnée de la population est de plus en plus systématiquement moins performante que les générations socialement équivalentes du passé. C’est une brisure dont la portée est considérable, et dont nous (comme beaucoup d’autres pays) allons payer le prix sur de longues durées, même si on s’attache à la résorber au plus vite. Mais laisser supposer que ce sont les préceptes libéraux de Pisa ou les réformes désastreuses du gouvernement Valls qui vont y parvenir, il faudrait le prouver. Pas se contenter de l’affirmer sur le mode archi connu : vous ne trouvez pas que notre système de santé est inégal ? Alors détruisons le…
Samy Johsua. Publié sur Médiapart.
[1]https://www.mediapart.fr/journal/france/061216/pisa-2015-l-ecole-francai…
[2] http://mobile.lemonde.fr/ameriques/article/2014/02/15/un-quart-des-ameri…